Chalon dans la rue

CHALON DANS LA RUE 2018 – Avec « France profonde », la Compagnie La Grosse situation jette de belles pierres dans nos jardins

CHALON DANS LA RUE 2018 – Avec « France profonde », la Compagnie La Grosse situation jette de belles pierres dans nos jardins

Pour terminer son voyage au cœur du Festival des arts de la rue de Chalon, info-chalon.com est allé voir, dimanche soir, un spectacle détecté par hasard, en croisant une affiche confondue avec de la réclame pour une boucherie-charcuterie : « France profonde », de la Compagnie La Grosse situation. Info-chalon.com a bien fait.

« Nulle terre sans guerre ». C’est ce qu’assènent trois Sioux, à moins qu’il ne s’agisse d’une autre tribu d’indiens d’Amérique du Nord, au tout début de France profonde, le spectacle de la Compagnie La Grosse situation. Puis, tout en creusant le sol des Granges Forestier, ils s’expliquent. En narrant à grands traits l’histoire de la paysannerie des origines supposées à l’exode rural du XXème siècle, sans pour autant oublier de faire un détour par ce Moyen-Âge où elle était « incontrôlable » et par l’avènement du droit de propriété sous la Révolution puis la République, ils démontrent, avec humour, parfois avec émotion, que ceux qui sont attachés à la terre qu’ils cultivent ont toujours été en guerre, plus exactement des « dommages collatéraux » de guerres. Et qu’aujourd’hui, c’est une guerre de type économique qui les décime, vide les campagnes de France, étend chaque jour un peu plus le domaine des déserts ruraux.

Ce prologue terminé, les spectateurs sont conduits à une sorte d’agora où des élèves d’un lycée agricole de la Creuse préparent avec une « théâtreuse » un spectacle sur le monde agricole. Fini le rappel historique. On est à notre époque. Et là, tout y passe : mainmise des chambres d’agriculture sur le monde agricole ; suicides confidentiels mais fréquents d’agriculteurs ; injonctions contradictoires de consommateurs embobioïsés voulant manger sain pour pas cher ; solitude amoureuse et misère sexuelle de légions d’agriculteurs ; Notre-Dame-des-Landes ; salon de l’agriculture de Paris ; manifs d’agris de la FNSEA avec le traditionnel épandage de lisier ; Bruxelles et ses aides agricoles ciblées et productivistes ; détresse des uns et révolte des autres. C’est à la fois drôle, touchant, pertinent et passionnant. Surtout, tous les points de vue peuvent s’exprimer : celui d’un jeune fils d’agriculteurs qui n’a jamais quitté sa Creuse natale et veut reprendre l’exploitation familiale, comme celui de femmes et d’hommes qui, pas convaincus par l’agriculture dite « conventionnelle », cherchent d’autres moyens de travailler la terre, en la respectant. Aucun parti n’est pris. Si bien que toute la complexité d’une situation où se heurtent des intérêts contradictoires et difficilement conciliables peut apparaître au grand jour, en même temps que son caractère tragique, que nous ne voyons pas toujours, faute d’en percevoir les enjeux. On ne peut plus se contenter de charger l’agriculteur du coin de crimes auxquels il est, fondamentalement étranger, prisonnier qu’il est d’un système délirant. On ne peut plus applaudir les grands discours de ceux qui ne savent pas ce que c’est que cultiver la terre, comme un chien répondant aux stimuli envoyés par Pavlov pour le conditionner à saliver. On ne peut plus guère que s’interroger, s’efforcer de comprendre.

« Ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre ». C’est ainsi que Frédéric Lenoir a choisi de traduire ce qu’écrivait Baruch Spinoza au tout début de son Traité théologico-politique, dans un joli essai sur ce philosophe encore trop méconnu. Info-chalon.com ignore si La Grosse situation a lu ce dernier. Une chose est sûre en revanche : cela pourrait être sa devise. Et le résultat, qui ne peut qu’élever celles et ceux qui le trouveront sur leur chemin, est magnifique. Pour terminer la 32ème édition du Festival de Chalon dans la Rue, info-chalon.com n’aurait pas pu mieux tomber.

Samuel Bon