Chalon sur Saône
Chibanis de Chalon-sur-Saône - Mémoires d’exil et discrétion
Publié le 24 Septembre 2015 à 07h38
Les Chibanis , «cheveux blancs » ou « vieillard » en arabe, ce sont ces travailleurs immigrés désormais vieillissants, venus en France chercher du travail pendant les trente glorieuses. Lundi 21 septembre, le tribunal des prudhommes de Paris a rendu une décision qui fera date puisque la SNCF doit désormais des dommages et intérêts à plus de 800 chibanis marocains, discriminés pendant leur carrière et pour leur pension de retraite. Interview pour info-chalon.com de Valérie Cuzol.
Entre 150.000 et 230.000 euros, voilà ce que devrait toucher chacun les travailleurs d’origine marocaine employés par la SNCF et recrutés dès les années soixante-dix. La SNCF avait signé avec la majorité d’entre eux un contrat de droit privé pour travailleur étranger. Or, malgré les années, ces cheminots n’ont pu accéder à un statut de cadre ou d’agent. Les premières démarches ont été entamées en 2001, les premiers recours datent de 2005 et coïncident avec le départ à la retraite des premiers arrivants. Leur retraite est très inférieure à celle de leurs collègues français. Entre famille restée au pays et leur existence souvent solitaire en foyer, c’est un exil particulier que vit cette communauté.
Au-delà de cette décision de justice inédite qui risque de faire jurisprudence pour le statut des travailleurs étrangers en France, nous sommes allés la rencontre de Valérie Cuzol, enseignante au CIFA de Mercurey qui prépare une thèse de sociologie sur les Chibanis de Chalon-sur-Saône à l’Université Lyon 2 avec l’institut Max Weber de Lyon. Son travail a déjà inspiré un documentaire, projeté en avril dernier au musée Nicéphore Niepce qui rend hommage aux chibanis chalonnais.
Que représente selon vous pour la communauté des Chibanis dans son ensemble cette décision du tribunal des prud’hommes de Paris ?
Valérie Cuzol : Je pense que cela s’inscrit dans un besoin de reconnaissance évident. C’est une communauté discrète et silencieuse, qui souffre d’une invisibilité sociale. Ils sont assez peu revendicatifs mais depuis quelques temps, on s’intéresse davantage à leur sort. Ce jugement parisien s’inscrit aussi dans une suite de petites victoires. C’est un long chemin pour la reconnaissance et la dignité, un combat pour la citoyenneté. Les Chibanis marocains de la SNCF ont commencé leurs démarches voilà quinze ans mais ce procès n’est médiatisé que depuis quelques années.
Vous avez travaillé sur l’histoire des Chibanis de Chalon-sur-Saône. Comment les définiriez-vous ?
Je me suis attachée à leur parcours de vie dans le cadre d’un travail universitaire de Master et intéressée à huit personnes plus précisément. C’est une enquête biographique sous forme de récits de vie. Ce sont des personnes discrètes, des gens qu’on n’a pas voulu voir. Ils ne sont pas effacés, ils participent à la vie associative de leur quartier. Ils sont particulièrement lucides sur leur sort et très informés. Leur parole a toujours été portée par le passé mais on les écoutait moins. Depuis quelques années, on va plus directement à leur rencontre. Ils ne se résument pas à l’espace social du travail. La plupart des immigrés chalonnais ont travaillé dans l’industrie et le bâtiment. Aujourd’hui, 40 % des immigrés chalonnais ont plus de 55 ans. Ceux arrivés dans les années 60 ont souffert du manque de logement et d'accueil à Chalon, personne n'avait anticipé l'arrivée massive de ces jeunes travailleurs. Ils logeaient dans des baraquements ou "squattaient" des appartements vides, sans confort ni commodités, avant de se faire déloger, quartier Saint-Cosme et Verrerie ou encore le long du canal. Il y a eu aussi pas mal de discrimination. Ils ont été victimes d’un triple déni : de mémoire, de reconnaissance et de contribution à notre histoire. Peu de traces institutionnelles existent de leurs parcours, à Chalon comme ailleurs. Comme tout ce qui concerne la mémoire de l’immigration, ces sujets de recherche sont très peu investis. Mais les choses changent
Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?
C’est toujours une curiosité personnelle. Quand je voyais parfois ces vieux travailleurs immigrés se regrouper sur des bancs et discuter, j’avais toujours eu envie de savoir ce qu’ils se racontaient. Chaque histoire est singulière mais souvent d’une grande richesse. Le musée Niepce s’est intéressé à mon travail et nous avons réalisé un documentaire de trente minutes, qui a été projeté pour la première fois en avril dernier et a suscité des heures de débats. Leurs vies, leurs histoires ne peuvent laisser indifférent.
Propos recueillis par Florence Genestier
Valérie Cuzol a travaillé au film « Chibanis, mémoires d’exils » avec les vidéastes Luc Torres et Laurent Folléa à la demande du Musée Nicéphore Niepce. Le film retrace les parcours de Camil Sari, Mohammed Metleine, Abdelrahim Tajedine, trois chibanis chalonnais. Le film sera projeté lors d’une soirée spéciale le 6 novembre à la maison de quartier des Aubépins.
A relire, notre article sur a conférence au musée Niepce : http://info-chalon.com/articles/chalon-sur-saone/2015/04/15/13013/les-chibanis-de-chalon-sur-saone-a-l-honneur/
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