Chalon sur Saône

Assises de Saône-et-Loire - Triple infanticide de Gergy : une mère à la personnalité « fragile, instable et dépressive »

Assises de Saône-et-Loire -  Triple infanticide de Gergy : une mère à la personnalité « fragile, instable et dépressive »

Mercredi a été le jour des psychiatres, qui ont avancé diagnostics et hypothèses sur le comportement de la mère infanticide. Ce jeudi matin, l’avocate générale a requis 22 ans de prison contre Céline Rubey pour triple meurtre aggravé. L’altération de son discernement au moment des faits a été reconnu par le jury qui l'a condamnée à vingt ans de réclusion.

C’est l’éternel et lancinant mystère des procès d’Assises. Plus le crime est odieux ou inexplicable, plus on s’attend à découvrir dans le box un monstre, un malade, un ou une accusée qui nous rassure sur l’humanité en arborant un signe distinctif – une marque physique, une maladie mentale - qui la bannit de cette humanité. Le parcours personnel de Céline Rubey, 33 ans, qui a tué ses trois enfants le 1ernovembre 2013 est pourtant – si l’on excepte sa conversion et sa pratique radicale de l’Islam – tristement banal. Elle ressemble à beaucoup d’autres jeunes mamans de son âge en Saône-et-Loire. Famille, amis, professionnels de l’enfance :  personne n’a rien vu venir , ni le désespoir qu'elle portait, ni ses conséquences criminelles.

 

Deux analyses psychiatriques : « état limite » et dépression masquée

Pour le Dr Canterino, expert-psychiatre de Lyon, le « problème central de Céline Rubey, « c’est la dépression. C’est une personnalité « état limite », avec un moi mal constitué. » La jeune femme a toujours été plus ou moins en dépression depuis l’enfance. Un état latent  qui s’est aggravé avec son avortement à l’âge de 22 ans.  « La dépression cachée grossit et un jour explose, explique l’expert. Le fanatisme religieux dans lequel elle s’est enfermée a comblé le vide dépressif. Pour elle, c'état un cadre. Ce sont des personnes en constante recherche d’étayage et de soutien. Au moment des faits, elle n’était pas délirante, il y avait une forte altération du discernement mais pas d’abolition. Elle est accessible à la sanction pénale, et a toujours été impressionnable et influençable du fait de sa dépressivité.»

 

« Comment expliquez-vous que tout le monde- communauté musulmane famille, amis, éducateurs - n’ait rien vu arriver ? », questionne le président Brugère.  « A-t-elle occulté ses difficultés ? »

-  C’est tout à fait ça, répond le Dr Canterino. Elle essaie toujours de ne pas être en dépression. Elle ne contrôle rien, elle va au fil de l’eau. Au moment des faits, elle était complètement déterminée car complètement déprimée. »

Le 22 juin 2013, alors que Céline vit seule avec ses fils à Chatenoy-le-Royal, elle traverse un épisode délirant mystique, qui se solde par un internement psychiatrique et la perte temporaire de la garde de ses enfants. Elle entend des voix, est persuadée « d’avoir une mission »,que ses enfants sont des prophètes. Elle cherche une voisine qui n’existe pas pour garder les jumeaux et se rend avec des amis de la communauté musulmane à une fête. Elle s’écroule sur la scène victime d’un malaise et se blesse au visage. Elle tient des propos incohérents. De retour à son domicile, elle a perdu les clés de son appartement et parle des jumeaux « morts ». Son frère, qui habite sur le même palier qu’elle, prévient les pompiers. La porte de son appartement est défoncée. Contrairement à ce qu’elle a dit et fait croire à son entourage, les jumeaux sont seuls dans l’appartement, déshydratés mais vivants. Aux urgences, elle tient des propos incohérents. Une mesure de placement des enfants est décidée. Le plus grand, Liam est envoyé au foyer de l’enfance à Mâcon. Elle récupère, après un séjour de soins  à Sevrey, les petits pendant l’été. Une éducatrice spécialisée suit sérieusement  la mesure éducative, trouve, comme tout le monde que « la maman est fatiguée, mais à l’écoute de ses enfants, bien dans sa peau ». La professionnelle affirme à la barre que la situation lui paraissait « sous contrôle ».

Céline Rubey est à l’époque de sa crise mystique très marquée par le suicide d’un de ses oncles, n’arrive pas à en parler dans la communauté musulmane. C’est aussi l’époque où elle échange beaucoup sur facebook avec le coach autoproclamé de la vérité universelle, qui brouille tous ses repères. Ce triste personnage semble l’avoir convaincue qu’elle avait une « mission » à remplir. Elle a aussi des idées délirantes depuis le mois de mai mais n’en parle pas. Après cet épisode aigu du 22 juin, Céline Rubey coupe tout lien avec la religion et communauté musulmanes de Chatenoy. 

Elle est hébergée dans la maison de sa mère à Gergy, est aidée quotidiennement par une nounou amie de la famille. Elle est très entourée, renoue avec des amies d’enfance, sa mère et son compagnon l'encadrent. Le dimanche précédant la Toussaint fatale, la famille est de sortie au restaurant. Rires, jeux, balades. 

A Sevrey, en juin, on lui avait prescrit des médicaments qu’elle arrête de prendre trois semaines avant le drame, sur les conseils du « coach de vie ». Un coach avec qui elle décide de rompre tout contact le 31 octobre. Le 1er novembre 2013, elle se lève avec des envies de suicide. Elle est déterminée à en finir. Le Dr Lavie, un autre expert psychiatre, parle lui de « suicide altruiste » - terme cruellement technique - pour le meurtre des trois garçonnets. « Pour les protéger, elle a voulu partir avec eux. Elle n’est pas dans le délire mais veut en finir avec la vie, dans une dépression profonde. » Avant de passer à l’acte, elle cherche la meilleure façon de s’éliminer sur internet. Elle prend des cachets, mélange les pilules, boit du whisky, tente de se couper les veines avec un couteau et de s’asphyxier avec un sac en plastique. Comme elle a fait pour les enfants. Un réflexe de survie l’en empêche. Elle commet ses actes vers 13 h, le vendredi 1ernovembre 2013. C’est à 19 h, inquiète de la réponse téléphonique de Céline, qui articule à peine à l'autre bout du fl, que sa mère découvre le drame.

 

Florence Genestier