Chalon sur Saône

CHALON - ASSISES DE SAONE ET LOIRE - Triple infanticide de Gergy : pardon et émotion

CHALON - ASSISES DE SAONE ET LOIRE - Triple infanticide de Gergy : pardon et émotion

Après la condamnation à vingt ans de réclusion criminelle de Céline Rubey ce jeudi après-midi pour avoir étouffé ses trois enfants le 1er novembre 2013, Info-chalon.com revient sur les plaidoiries et le réquisitoire.

Me Géraldine Wendel est « la voix des papas » des enfants disparus pendant le procès. On a bien peu évoqué les enfants pendant l’audience, sinon par fulgurances ou par photos. Beaucoup moins que le rapport que Céline Rubey entretenait avec ses trois fils ou les hommes en général. Elle a eu ses trois garçons sans que jamais les pères ne soient à ses côtés. Sa vie, d’après les psychiatres et psychologues, a été marquée par le manque et la quête paternels. Entre Mustapha, géniteur de Liam, qui n’était pas prêt à assumer sa paternité et le père des jumeaux, qu’elle a quitté avant de lui avoir dit qu’elle était enceinte, difficile de ne pas voir de point commun.

La faute des pères ?

« La seule faute des pères dans cette histoire a été leur absence » souligne Me Wendel.  Or, 2013 marque pourtant les retrouvailles des deux pères et des enfants de Céline. Une démarche à laquelle elle a réfléchi. Elle demande en mai 2013 au père des jumeaux de les reconnaître, ce qu’il fait. « Il remarque que l’un deux lui ressemble trait pour trait au même âge », reprend la partie civile. Lors de l’épisode de bouffée délirante que traverse Céline en juin 2013, le papa des jumeaux prend contact avec le juge des enfants. Devant la cour mardi, il brandit la photo des jumeaux : c’est tout ce qui lui reste. « Comment croire à la dangerosité de ce père, fier des petits, que Céline Rubey a accusé d’attouchements ? » proteste l’avocate. « Des jumeaux, Zayd et Imran, on ne sait pas grand-chose, ils étaient  si petits. 18 mois. Des bébés. » Liam, le fils de Mustapha et de Céline, âgé de six ans a lui plus été évoqué. Une relation fusionnelle avec sa mère. Pendant quatre ans, il est élevé par Amin, le compagnon de Céline, qui « lui donne ses premiers biberons ». Amin, très attaché à Liam, était toujours en contact avec Céline "pour le gosse".

Liam avait appris l’alphabet arabe. Au contraire de son père, il savait le réciter. Mustapha avait juste commencé à nouer un lien affectif avec lui. Le gamin en avait besoin. Mustapha, se sentait prêt à prendre une place. La place des pères, une question que Céline avait abordé avec l’éducatrice chargé de son suivi socio-familial depuis juin. « Liam voulait un train en cadeau, rappelle l’avocate. » Son père lui avait, en prévision du prochain rendez-vous, acheté un petit skateboard. Il le déposera sur son lit de mort.

« Le premier des jumeaux s’est agité frénétiquement pendant l’asphyxie. Elle a retiré l’air du sac pour le deuxième, pour que ça aille plus vite. Les experts nous ont dit que l’asphyxie d’un enfant durait une minute. Quand on agonise, c’est long, une minute. Elle a été implacable, impitoyable, déterminée. Liam, drogué au valium, s’est davantage débattu et a appelé au secours. Je ne vois pas comment on peut qualifier de mort douce le fait d’être étouffé par un sac plastique ». Et Me Wendel montre la photo des enfants vivants aux jurés. Des petites bouilles souriantes. Elle a préféré ce souvenir-là aux photos de la scène de crime et de l’autopsie. Une plaidoirie courte, sans pathos exacerbé et efficace.

 

La gorge serrée

Pour Caroline Mollier, l’avocate générale, le réquisitoire sera prononcé « la gorge serrée. » La jeune parquetière était de permanence ce 22 juin 2013, lors de la crise délirante de Céline à Chatenoy. Elle se souvient de l’angoisse des forces de l’ordre et de la sienne propre à la pensée de découvrir des jumeaux morts, une fois la porte de l’appartement enfoncée. De son soulagement aussi quand on lui a annoncé que les bébés allaient bien. C’est elle qui saisit le juge des enfants. « S’ils ont été rendus à leur mère dès le 5 juillet, c’est que le danger constaté le 22 juin n’existait plus. ». Elle énumère les qualités de l’accusée. Evoque sa « dépression latente et sévère qui couve depuis l’enfance ». Sa forte détermination aussi : « Céline est une fille qui ne fait pas les choses à moitié. Elle se lance dans la religion « à fond ». Malheureusement, elle croise de mauvaises personnes. »  L’avocate générale regrette que les recherches n’aient pu permettre de poursuivre le gourou autoproclamé pour « abus de faiblesse ». Beaucoup de messages ont été effacés. Si on sait qu’il a dit à Céline de « rendre ses enfants aux pères », aucune preuve d’incitation au crime n’a été retrouvée. « 5392 messages échanges téléphoniques, SMS ou discussions ont eu lieu entre l’accusée et cet homme. Elle est totalement sous son emprise, même si elle est capable de s’affirmer face à lui. »

Caroline Mollier voit aussi la détermination de l’accusée dans le fait qu’elle décide toujours de mettre fin aux relations qu’elle entretient avec les hommes de sa vie. Elle conclut que les meurtres des trois fils restent « un acte prémédité et réfléchi », même si la qualification retenue n’est pas celle d’assassinat. « Tuer est un acte déterminé. Pas de folie ». S’attarde sur la déposition de Céline quand elle raconte les meurtres. La dose de valium administrée à Liam, le plus grand. Elle remarque que pour une fois, Liam s’est relevé pour prendre son doudou lapin. Ensuite, l’asphyxie des jumeaux, l’un après l’autre. « Je leur ai fait un petit bisou pour les retrouver dans un autre monde » déclare alors Céline. Elle repasse ensuite dans la chambre de Liam et, comme ses frères, l’étouffe. L’enfant aurait alors, assommé par le médicament, crié au secours. «  Elle en a fait des allers et retours. Elle a tué les trois avec beaucoup de sang froid. Rien ne peut l’arrêter sauf une intervention extérieure. Une minute d’asphyxie, c’est très long. Et douloureux. A tel point que quand elle a voulu se faire subir le même traitement, la douleur trop vive l’en a empêchée». La parquetière doute de la réelle volonté de Céline de s’autodétruire. « Les pères ont certes été longtemps absents mais sont présents. Difficile pour eux de trouver une place par rapport à une mère qui connait des hauts et des bas. » Surtout, l’avocate générale voit autour de Céline des personnes qui aurait pu s’occuper des enfants, les prendre en charge, si elle leur avait demandé de l’aide. Elle s’interroge aussi sur les mensonges de Céline à son entourage pendant l’été et les dernières semaines. S’étonne qu’incarcérée après le meurtre, dès décembre 2013, elle entretienne déjà une relation amoureuse épistolaire avec un détenu de Corbas. Rappelle la douleur réelle des deux papas qui renouaient,  à la demande d’ailleurs de l’accusée, avec leurs fils.

La peine maximum encourue pour meurtre aggravé est de trente ans. L’avocate générale requiert 22 ans de prison pour Céline avec une peine de sûreté pour les deux-tiers, la privation pendant dix ans de ses droits civiques. Elle insiste sur les efforts de réinsertion de l’accusée, les études entreprises en prison, les soins réguliers psychiatriques et psychologiques. Elle tient à ce que l’accusée soit condamnée pour ses crimes, pour ce qu’elle a fait, soit trois meurtres d’enfants.

Un lavage de cerveau

Me Grebot, lui, a tout intérêt à insister sur ce que Céline est. Une maman « attentive et douce, posée » unanimement saluée par son entourage. « Elle s’occupe bien de ses enfants et pourtant elle va leur ôter la vie ». Le défenseur s’adresse aux jurés : « vous allez essayer de la comprendre mais n’y arriverez pas. C’est une jeune femme qui n’est pas exempte de problèmes psychiques. Elle a été toujours à la recherche d’une image paternelle qu’elle n’a pas eu. Tous ces hommes qui se sont succédé dans sa vie , aucun ne pouvait être l’ancre qu’elle espérait. » Les seuls repères qui la calment, elle les trouve dans la religion. Et encore, en la pratiquant de « manière totale ». Tombe sur de mauvaises personnes. Le défenseur chalonnais évoque rapidement, le coach de l’universelle vérité. « Il va faire subir à Céline, parce qu’elle est fragile, un vrai lavage de cerveau. Elle est totalement dépendante de cet individu. Même s’il n’a pas tenu le sac ( qui a étouffé les enfants) , il a joué une part importante dans la déstabilisation de Céline Rubey ». L’avocat relève la concomitance entre les deux derniers épisodes de la vie de Céline, les bouffées délirantes du 22 juin 2013 et le meurtre de ses fils avec une multiplication d’échanges avec le coach. Cinq mille messages en un mois !

« Elle commet un acte terrible. Shootée, droguée par les médicaments pendant des mois, soudain, elle se rend compte. Un jour, elle prend conscience. Depuis, elle vit un enfer. Elle va être du fait de sa détention, protégée par des soignants,  dans un cadre. Imaginez la nouvelle peine à sa sortie ! Elle sera au ban de la société, à perpétuité, aucune des personnes qu’elle rencontrera ne pourra lui pardonner ce qu’elle a fait. Sa peine, elle l’éxécute déjà. Je vous demande de tenir compte de sa personnalité, de ce qu’elle essaie désormais de devenir. »  Me Grebot demande aux jurés une peine en deçà des réquisitions de l’avocate générale.

Quand le président Antoine Brugere redonne la parole à l’accusée, qui s’est effondrée en larmes à plusieurs reprises pendant les plaidoiries et le réquisitoire, celle-ci  indique demander pardon à ses enfants tous les jours. « Je donnerais tout pour revenir en arrière, ils me manquent terriblement » lâché-t-elle dans un sanglot.  Elle a aussi tenu à demander pardon mercredi au père des jumeaux, ce qu’elle n’avait pas fait mardi et aussi, ce jeudi  à son compagnon des années 2000 à 2004, Amin, qui était resté très attaché au petit Liam. Plus étonnamment, elle a remercié l’avocate des parties civiles pour avoir montré la photo de Liam, Zayd et Imran.

Les jurés l’ont reconnu coupable et ont aussi approuvé l’altération de son discernement au moment des crimes. Au prononcé du verdict, personne ne songeait à faire appel. Les infanticides restent des crimes rares en France, même si la Saône-et-Loire compte une nouvelle affaire de ce type depuis septembre.

Florence Genestier