Chalon sur Saône

TRIBUNAL DE CHALON - 12 mois de prison avec sursis pour un ex- religieux de la communauté de Saint-Jean

TRIBUNAL DE CHALON - 12 mois de prison avec sursis pour un ex- religieux de la communauté de Saint-Jean

A la barre du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône, ce vendredi 29 avril, Régis est un malaise vivant. Agé de 57 ans, cet ancien religieux de la communauté Saint-Jean de Notre-Dame-de-Rimont, à Fley est poursuivi pour deux agressions sexuelles. L’une sur un majeur en 2015, l’autre sur un mineur en 2009. Des agissements commis au sein d’une communauté religieuse déjà théâtre de faits similaires.

Les mains posées à plat sur la barre, Régis se tient très droit et parle beaucoup, de façon hachée, sans finir toutes ses phrases, en regardant sans ciller le tribunal. Cheveux blancs, petites lunettes, pull bleu marine et pantalon assorti, l’ancien religieux qui a rompu ses vœux depuis 2015 reconnaît les faits, mais on sent qu’il n’a pas totalement compris ce qui l’a poussé à,  deux fois, poser sa main sur le sexe d’un frère mexicain particulièrement beau qu’il a croisé dans le couloir de sa communauté en mars 2015 ou toucher le sexe d’un jeune adolescent de 13 ans en 2009.  Au fil des questions précises des magistrats, l’ancien frère tâche d’expliquer ses pulsions, longtemps réfrénées. Très régulièrement, il cite le travail qu’il accomplit avec son psychologue, évoque aussi le groupe de parole d’homosexuels chrétiens auquel il participe désormais. Mais ses propos butent contre l’humiliation ou les souffrances infligées aux victimes. Pour l’ancien moine, son intimité de quelques minutes avec l’adolescent de 13 ans qui s’inquiétait de détails mécaniques et physiques typiquement virils était surtout dictée par l’envie d’aider et non par la satisfaction d’une envie sexuelle de sa part. C’est ce qu’essaie de lui faire dire ouvertement la présidente Therme au fil de l’audience. C’est, à chaque fois, ce que Régis évite de déclarer avec clarté.

Deux agressions reprochées mais des pulsions répétées

En mars 2015, un responsable de la communauté Saint-Jean de Notre-Dame-de-Rimont en Saône-et-Loire contacte le commissariat de Dijon pour dénoncer les actes commis par un frère de la communauté sur un autre. Régis a posé, deux fois, sa main sur le sexe d’un étranger en visite au prieuré. Logeant dans la cellule en face de la sienne, le frère agressé est suffisamment inquiet pour bloquer, la nuit, sa porte par une chaise. Lors de son audition pour cette première affaire, Régis raconte aussi des faits remontant à 2009, à l’égard d’un mineur lors d’un camp de vacances dans le Cantal. L’adolescent s’était ouvert au religieux de problèmes physiques et sexuels. Plutôt que de l‘envoyer vers un médecin, le moine lui propose de l’aider. Le jeune homme après avoir réfléchi et admis le secret de ce coup de main particulier, tombe pantalon et caleçon. Le religieux tente, une fois sans succès de décalotter son pénis. Les choses s’arrêtent-là. Le jeune homme ne s’est pas considéré comme victime jusqu’à deux jours avant l‘audience de ce vendredi où il finit par se porter partie civile.

« Vous étiez là pour fournir à ces jeunes une aide spirituelle et aucunement médicale …» pointe la présidente du tribunal. L’enquête de personnalité conduite sur Régis fait aussi resurgir une affaire à Abidjan, où dix à 15 jeunes gens, en 2008, auraient aussi, connu ce type d’attouchements « serviables ». L’un d’eux, âgé de 24 ans, a parlé, et Régis a été rapatrié en France. Aucune poursuite n’est engagée, faute de témoignages, au sujet des faits commis en Côte-d’Ivoire. La question en suspens demeure : pourquoi, alors que ces tendances étaient connues de la hiérarchie du religieux, ce dernier s’est-il retrouvé à encadrer un camp de jeunes dans le Cantal en 2009, un an après son retour d’Afrique ?

 D’autre part, la communauté a remarqué que Régis, connecté à internet, fréquente des sites pornographiques et homosexuels et lui interdit tout accès à un ordinateur. Peu à peu, la communauté Saint-Jean lui restreint tout contact possible avec de jeunes gens mais il continue d’être aumônier à l’hôpital de Chalon, avant de revenir sur ses vœux perpétuels juste après l’épisode avec le religieux mexicain. Ce dernier acte a été la « goutte d’eau », qui a entraîné la procédure judiciaire et l’exclusion de Régis.

 

Des « aménagements pervers »

« En même temps que je le faisais, je me disais, c’est épouvantable d’avoir fait ça, qu’est-ce que tu fais, ça n’est pas normal », raconte Régis à la barre. L’expert psychiatre mandaté n’a pas détecté de troubles psychiatriques. L’ancien frère exprime peu ses sentiments. L’expert ne le qualifie pas de manipulateur mais note « d’évidents troubles de la sexualité » relève quelques « aménagements pervers » et s’alarme du manque de compassion envers ses victimes. Il remarque aussi des « troubles de l’identité ». Le prévenu raconte avoir été abusé sexuellement par son cousin à l’âge de 11 ans et n’avoir vécu qu’une sexualité furtive, avant de s’engager. Il dit avoir régulièrement parlé de ses attirances à sa hiérarchie. Mais il n’arrive pas, seul, à dompter ses pulsions, comme il l’a réussi les premières années. Le prévenu dit avoir compris certaines clés de son comportement grâce à sa psychothérapie, entamée l’an dernier.

Pour le parquet, « l’acte de contrition du prévenu est partiel ». Evoquant les faits d’Abidjan, qui ne font l’objet d’aucune poursuite pénale, Charles Prost évoque un « abus d’autorité », et « l’utilisation d’un prétexte fallacieux pour « tâter » ces jeunes, au cours « d’un jeu pseudo-médical tragique, sans aucune compétence de sa part mais dans le sens de ses pulsions perverses». Un stratagème répété avec la jeune victime de 2009, alors âgée de 13 ans. « Une victime qui vient de se déclarer comme telle avec le recul et le discernement qu’elle n’avait pas quand les faits ont été commis ». La reconnaissance des faits n’est pas totale et leur répétition inquiétante, selon M. Prost, comme l’agression subie par le religieux étranger quadragénaire, « dans la surprise et la violence ». « Face à son désir, le prévenu ne se rend pas compte qu’il a en face de lui un être humain. Ce n’est pas parce qu’il a été victime d’abus, qu’il doit, lui aussi transformer d’autres personnes en victimes. Il a violé des règles, des vœux et des vies aussi.  »  Le parquet a requis 18 mois de prison et cinq ans de suivi socio-judiciaire.

Se libérer d’un poids

Pour l’avocate de la défense, Marie Pierre Dominjon, du barreau de Lyon « son client a reconnu les faits. Il veut se libérer de quelque chose qui lui pèse. Il fait comme il peut, étape par étape. Il n’a jamais été aidé au cours de sa vie au sujet de tout ce qui le tourmentait. » Elevé dans une famille pieuse et stricte, où le dialogue et encore moins sur des questions intimes ne prenait de place,  l’avocate rappelle qu’au temps de la jeunesse de Régis, l’homosexualité était encore une infraction en France (dépénalisée en 1982).  Son client  a « une fascination pour le sexe masculin au moment de la puberté. C’est une souffrance pour lui. Avec le jeune adolescent dans le Cantal, il a clairement profité de l’effet d’aubaine ». Elle regrette que la communauté dont Régis état membre ne l’ait pas suffisamment encadré, voire n’ait pu à ce point l’aider efficacement. Et était parfaitement au courant du malaise et des tentations de ce religieux, qui avait confié ses états d’âme. « C’est plus par peur du scandale que pour l’aider à comprendre son comportement qu’on l’a rapatrié d’Abidjan en urgence en 2008 »

Condamné à un an de prison avec sursis, et à un suivi judiciaire strict (obligation de soins et interdiction d’entrer en contact avec des mineurs pendant trois ans), le prévenu a été aussi inscrit au fichier national des délinquants sexuels. Il devra rembourser 1500 € à la victime de 2009 et payer ses frais d’avocat.

La communauté de Saint-Jean en est à son troisième membre condamné pour agressions sexuelles et à quatre condamnations, dont une aux Assises pour viols en mai dernier. La congrégation des « petits gris » avait fait l’objet de soupçons de dérives sectaires en 2003. Elle regroupe aujourd’hui 500 moines, éclaboussés, dit la communauté par « la honte et la tristesse » de cette nouvelle condamnation. Dans un communiqué, elle a tenu à exprimer son pardon aux victimes de cette nouvelle affaire.

Florence Genestier