Chalon sur Saône
La mort est leur lot quotidien. Ils s'en acquittent avec l'humanité qui sied à la finitude.
Publié le 01 Novembre 2018 à 09h21
C’est la Toussaint, journée emblématique de l’hommage rendu aux trépassés le lendemain officiellement du jour J, consacré en ce qui le concerne aux vivants. Pour le Centre funéraire Rolet, posté au n°115 de l’Avenue Boucicaut à Chalon-sur-Saône depuis un an, et dont la maison-mère est à Sancé (aux portes de Mâcon) depuis 1978, La Grande Faucheuse modélise les us et coutumes de l’établissement à longueur de temps. Laura Rebimba, la responsable, et Manuel Rodrigues, le conseiller en marbrerie, sont les seuls occupants du Centre. Quelle vision ont-ils de l’arrachement à la vie ? Toute la problématique réside ici…
Donner de la vie à la mort
La fin en soi, majoritairement à son corps défendant, acte bien souvent drapé dans des épaisseurs taboues et boursouflé de mystères insondables, il est nettement préférable de la maîtriser de A à Z. Laura se jette à l’eau : « J’ai toujours eu besoin de voir les personnes décédées de mon entourage, et j’ai à chaque fois trouvé que les pompes funèbres faisaient un travail assez formidable. La mort est la suite de la vie. Quand ce sont des enfants, ça fait mal. On voit la vie différemment, on sait que ça peut s’arrêter dans la minute qui suit. Ca permet de relativiser et de se dire que nous ne sommes pas les plus malheureux. » Volontiers loquace, Manuel livre le fond de sa pensée. » Ca reste encore dans nos cultures latines des sujets qu’on n’aborde pas avec aisance. Au fond de nous on a cette pudeur. Je n’étais pas destiné du tout à ce métier (il a quarante ans de marbrerie derrière lui et six mois chez Rolet à Chalon, ses pas le menant également à Louhans et SancéN.D.L.R.). Là où je me sens le mieux, c’est quand je dois accompagner les familles, les épauler, dans la peine. J’ai des épaules assez solides, des oreilles assez écartées, et je suis une éponge, pas par voyeurisme, mais par solidarité. La mort fait partie de la vie, c’est notre profession, et nous sommes prêts à recommencer le lendemain. Je suis d’une génération où on se dit que ça viendra quand ça viendra. Ca peut être dans un accident, ou dans n’importe quelles circonstances. Le problème n’est pas de partir, c’est de laisser les autres. J’y pense plus longtemps maintenant en rentrant à la maison.»
Cela va bien au-delà des froids schémas en vigueur
Laura a changé son fusil d’épaule au fil des coups du sort, empirisme et pragmatisme le lui chuchotant. «Je refusais complètement ce métier, car trop prenant en voyant mon papa agir dans ce milieu. Je suis née dedans, j’ai été bercée par ça. A l’heure actuelle, qu’est-ce que je suis fière de mon père ! Je me suis lancé un défi : réussir vies professionnelle et personnelle. A présent ça me suit partout, ça ne me quitte pas, car on a partagé des moments avec les gens. C’est une question d’empathie. Après, il y a ceux qui gèrent bien, et ceux qui gèrent mal. Je préfère trop faire que pas assez. C’est un métier, une passion, un hobby, notre vie sociale. La plupart des personnes pensent qu’on est des robots, qu’on n’a pas de cœur, mais Manu et moi ce n’est pas ça. Pour un petit dossier tout bête par exemple on va passer des heures et des heures. » Et Manuel de renchérir à sa manière. «Face à la mort on est tous égaux. Il faut du respect, qu’il n’y ait pas d’ambiguïtés. Nous devons rester humbles, à ce moment-là on doit tout oublier, et rester pour la personne. Ce sont des métiers passionnants, Laura et moi ne pourrions rien faire d’autre. »
Du particulièrement bon, et du « politiquement incorrect »
Manuel botte en touche quant aux souvenirs sortant de l’ordinaire, préférant les enfouir au chaud de son for intérieur. Contrairement à sa collègue, qui s’épanche disertement. «A mes débuts, ça faisait trois semaines que je travaillais, je commençais à recevoir les familles, et une petite jeune est venue pour sa grand-mère, l’hôpital refusant qu’elle la voit à cause d’un problème de maladie. J’ai bataillé durant deux jours consécutifs pour que ce soit possible. Elle est revenue deux-trois jours après la cérémonie et m’a offert un cadeau. Je me suis sentie très gênée, il s’agissait du livre préféré de sa grand-mère. Elle m’a remerciée et m’a dit qu’elle ne m’oublierait jamais. J’étais très, très fière. J’ai reçu d’autres cadeaux, mais celui-ci m’a marquée, j’étais son seul pilier. Avec cette expérience je me donne à fond, car c’est une satisfaction personnelle de voir le sourire des gens quand ils sont dans le deuil. » Pour ce qui a trait à un stigmate, la jeune femme ne tergiverse pas longuement. « Une vieille dame avait fait un contrat obsèques. Elle est décédée, et on a donc organisé ses obsèques. Elle voulait un service religieux avec une crémation. On a donc prévenu la famille, et annoncé les modalités. Le jour dit mon collègue et moi sommes arrivés à Crissey, alors qu’il n’y avait eu personne à la fermeture du cercueil. On a attendu vingt minutes avec le prêtre, jusqu’au moment où on a su que personne ne viendrait. La cérémonie, d’environ un quart d’heure, a eu lieu, avec le prêtre, mon collègue et moi… » Une sensation malaisée due vraisemblablement au manque de charisme pendant son existence de la défunte, sans commune mesure toutefois avec les engueulades et bagarres constatées en d’autres circonstances…
Un jour, le glissement vers la perte des repères basés sur le bon sens…
Tant que tout ne sera pas paramétré, millimétré, aux dépens de la dignité humaine, l’essoufflement et la lassitude ne rôderont pas dans les parages. Proche de la retraite, Manuel appréhende énormément ce qu’il pourrait assimiler à une traversée du désert. Il sait par exemple des choses que même les enfants ignorent…Laura, elle, a encore beaucoup à construire, et sait pertinemment qu’un jour une chape de plomb lui tombera dessus, à savoir la redoutée déshumanisation, laquelle sabordera le bel ordonnancement…
Michel Poiriault
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