Chalon sur Saône

A Chalon-sur-Saône, Jean-François Drillien, l’infatigable innovateur…

A Chalon-sur-Saône, Jean-François Drillien, l’infatigable innovateur…

Inutile de présenter Jean-François Drillien, intrépide figure chalonnaise des pompes funèbres du Boulevard. Mais retracer son parcours professionnel est aussi intéressant que difficile. Précisément parce que ce bûcheur infatigable (n’ayons pas peur des pléonasmes) ne s’est pas contenté d’innover dans son domaine, il a œuvré sur beaucoup d’autres fronts. Comment résumer une vie quand on en a vécu plusieurs ?

Du cheval à l’ambulance 

Au début du XXe siècle, au 10 du Boulevard, on louait sa voiture à cheval à La Grande Remise, chez M. Moissenet. L’entrée de l’écurie se situait rue Gauthey, donnant sur une cour. On organisait régulièrement des concours hippiques, le cheval était roi sur les pavés du Boul’. Ce fonds de commerce comptait 18 chevaux en 1921, quand M. Devif le rachète, en y ajoutant un service : le transport de personnes décédées. Le service de pompes funèbres est créé.

Seize ans après, en 1937, Georges Drillien, le père de Jean-François, en devient acquéreur et la famille s’installe dans l’immeuble, qui verra naître Jean-François en 1938. Il reste 4 chevaux, 4 corbillards attelés, une voiture. Jean-François Drillien se souvient de l’écurie — sa chambre était située au-dessus — et du bruit nocturne que faisaient les fers des chevaux en remuant sur les pavés. « Ma mère, précise-t-il dans un sourire, redoutait qu’une étincelle déclenche un incendie ! ». « Cocasse, Lisette », il n’a pas oublié non plus le nom des chevaux ni le vieux palefrenier qui agitait son fouet dans la cour de l’écurie.

Georges Drillien va innover : en plus de la location de voitures, du service postal (entre Saint-Marcel, Saint-Jean-des-Vignes et Chalon), il crée un nouveau volet à son activité : le service d’ambulance. En effet, il achète en 1938 une ambulance au gazogène. La notion de service public — se rendre utile à sa ville et à ses concitoyens — est très ancrée dans la famille Drillien ; elle perdurera et dictera les choix de Jean-François.

Le service public avant tout

Au retour de la guerre d’Algérie où il a servi en tant qu’officier, Jean-François Drillien suivra une formation de « conseiller chargé de l’organisation et du suivi des obsèques » à Rouen puis Lyon, au sein des PFG (Pompes funèbres générales). Dès 1963, il réorganise l’entreprise familiale, fragilisée par la maladie de son père, avant d’en reprendre la direction au décès de ce dernier, en 1967.

À partir de là, notre homme révèle son tempérament énergique de précurseur : avoir toujours une longueur d’avance sur la législation et sur les besoins des concitoyens. « Si vous voulez comparer, voici quelques chiffres : en 1940, seulement 3 ambulances étaient disponibles pour tout le département ; en 1964, nous, nous en avions 5 au service de Chalon. Nous avons été les premiers à faire transformer un break Citroën en ambulance par un carrossier parisien. Les ambulances faisaient environ 3 000 sorties par an pour la ville de Chalon. Nous avons été la toute première entreprise privée en France dont les véhicules étaient en liaison radio avec les services publics (hôpital, gendarmerie, police). Dans les années 70-80, nous étions 29 à travailler dans le magasin. L’entreprise servait de référence dans la profession, elle a été classée « entreprise pilote » pour les services de la concurrence des prix de Saône-et-Loire et Côte-d’Or. Je peux vous dire que je travaillais 365 jours sur 365 et j’étais joignable 24 h/24. La nuit, c’est moi qui assurais le service ambulance. C’est simple : pendant 7 ans, j’ai pris 0 vacance, et rares étaient les fêtes que je pouvais passer en famille sans être appelé. »

En ce qui concerne le transport des défunts, il faut rappeler qu’à cette époque déjà, à l’hôpital comme ailleurs, la mort reste taboue : très vite évacués des hôpitaux, et en toute discrétion, on ramenait les corps à leur domicile. En imposant les véhicules homologués, la législation a mis un terme aux transports clandestins. L’entreprise Drillien fut, dès 1976, la première du département et peut-être de France à obtenir l’agrément pour le transport de corps avant mise en bière.

Corvée aliénante ? Ce n’est pas l’avis de Jean-François Drillien. Comme son père avant lui, il a toujours placé le service public avant tout intérêt privé et il met son zèle infatigable au service de cette idée. En témoignent en outre ses activités annexes, ses formations diplômantes, et les prix qui émaillèrent sa carrière dont, entre autres : instructeur-réanimateur, certificat de capacité d’ambulancier, puis examinateur, membre du jury bénévole pour le même certificat, cours dispensés au CHU de Bourgogne, président régional de l’ANSA (Association Nationale des Sauveteurs Ambulanciers), Formateur et examinateur pour IFFPP (Institut français formation des professions du funéraire). En 1970, puis 1975, il reçoit la Croix du Mérite Ambulancier Français, puis Officier… Un autre prix couronnera son opiniâtreté, avec la création du Crématorium de Bourgogne, à Crissey.

Le combat crématiste

Si aujourd’hui la crémation est un choix courant, l’idée crématiste est entrée tardivement dans les mœurs, accusant un net retard sur l’ensemble de l’Europe. En 1963 — date à laquelle l’Église catholique lève l’interdiction de la crémation —, Chalon enregistrait 4 crémations sur l’année. Plus de 30 ans après, en 1989, ce chiffre s’élève à environ 600. Un problème surgit alors : Lyon est la ville la plus proche qui possède un crématorium ; et encore : il n’était ouvert aux autres départements que deux jours par semaine. On imagine combien était complexe la situation, quand les soins de conservation n’étaient pas aussi opérants qu’ils le sont actuellement. Un besoin s’impose donc : la création d’un crématorium en Bourgogne. Mais entre le besoin et sa réalisation s’élève un obstacle : le choix politique. Jean-François Drillien, abandonné par Robert Beau, adjoint du maire M. Perben, mènera seul le combat.

Depuis 1985, il constitue un dossier qui puisse répondre au besoin de ses concitoyens. Constatant avec amertume que la mairie ne le suivrait pas, il engage ses propres deniers et poursuit un projet, aussi risqué soit-il. C’est sur la commune de Crissey qu’il achète un terrain, face au récent cimetière Nord. En décembre 1989 est inauguré le premier crématorium de Saône-et-Loire. L’appellation est réductrice puisqu’il s’agit plus exactement d’un complexe funéraire comprenant également un funérarium (salles où la famille peut se réunir) et un parc cinéraire.

Arrêtons-nous un instant sur ce parc. Conçu en 1990 par Jean-François Drillien, le parc paysager, qui s’étend sur 2 hectares, est destiné à recevoir les cendres des défunts et, aux proches, de rendre hommage à ceux « qui ont choisi de laisser la terre aux vivants ». Ce 1er parc cinéraire privé en France a reçu le prix “Mention esthétique Paysagère” en 1995, dans le cadre du prix “Innovation à l’environnement”.

En coulisses

Derrière ce parcours professionnel foisonnant, quel homme trouve-t-on ? Un tempérament aux multiples facettes, comme l’est par essence la nature humaine.

D’abord un sportif dès son plus jeune âge : champion de Saône-et-Loire en saut en hauteur, champion de Bourgogne en vitesse 4x100 m, saut en longueur, ski… Là déjà sont les racines de son opiniâtreté et de son dynamisme : un esprit de compétition et de dépassement de soi, en un mot, un fonceur. Une deuxième facette, évoquée plus haut, est le besoin de servir sa ville et ses concitoyens. Jean-François Drillien confie dans un sourire : « Peut-être que ça remonte à mes années de jeune séminariste à Rimont ? »

Le devoir de mémoire reste chez lui un attachement profond. C’est le sens de son engagement dans la FNACA (Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie) dont il assure la présidence. « Une guerre qui a fait 30 000 victimes — dont 49 Chalonnais — on ne peut la laisser dans l’oubli, ni la date du 19 Mars 1962, qui sonne son cessez-le-feu ».

« Jovialité » est le premier mot qui m’a effleurée lorsque je l’ai rencontré. Et certainement serait-il confirmé par ses « Amis du mercredi », qui festoient une fois par semaine, sur la place de l’Hôtel-de-Ville.