Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Si vous sortez de prison, vous irez où ? – Chez moi. – Chez vous, il y a votre femme »

TRIBUNAL DE CHALON - « Si vous sortez de prison, vous irez où ? – Chez moi. – Chez vous, il y a votre femme »

L’audience est presque close lorsque le prévenu, jusque là tassé le dos contre la paroi, bras croisés sur la poitrine, lance quelque chose en kabyle à la victime. La présidente bondit pour qu’il arrête, puis lui demande ce qu’il a dit. « J’ai dit : ‘Va te coucher !’ - Non mais vous vous croyez où, là ? rugit la juge. « Elle n’a pas le droit à la parole », insiste le prévenu.

Il est né en Algérie en 1953. Il a trois enfants mais pas de cette femme-là, qui se tient assise au fond de la salle, avec un strip sous l’œil droit qui rassemble les bords de la chair qui s’est fendue sous les coups et l’hématome consécutif. Ils se sont mariés au pays, ils vivent à Chalon dans un appartement dont il est le seul preneur. Elle parle et comprend à peine le français, elle ne parle pas l’arabe non plus, seulement le kabyle. Son mari est poursuivi pour des violences habituelles sur elle, de novembre 2017 au 8 novembre 2019, mais aussi pour des violences aggravées le 9 novembre 2019 (avec un pied de chaise, 2 jours d’ITT) et le 22 décembre (avec un couteau et en état d’ivresse, 15 jours d’ITT pour sa femme), violences accompagnées de menaces de mort (« aujourd’hui je vais te tuer »).

La présidente checke rapidement : « Vous me voyez ? Vous m’entendez ? Vous êtes-là ? »

Nous sommes le 26 décembre, à l’audience des comparutions immédiates, et le malaise est perceptible d’entrée. Cet homme semble perdu. La présidente Delatronchette checke rapidement ses fonctions de base : « Vous me voyez ? Vous m’entendez ? Vous êtes-là ? » Il répond « d’accord » à tout. « Vous êtes assisté par maître Varlet.  – D’accord. » Ledit maître Varlet semble lui aussi dépassé par ce client, et pourtant les avocats sont rompus à la diversité qu’offre le genre humain. « Nous souhaitons un délai de droit pour préparer sa défense, et nous souhaitons une expertise psychiatrique. Il faut des réponses, le tribunal a bien vu la confusion de monsieur. Il a le droit de comprendre les questions que vous lui posez et de participer aux débats. Or s’il ne comprend rien, vous jugeriez une coquille vide, ce qu’aucun tribunal ne ferait. »

« La victime, comme vous dites, elle veut du pognon, mais… »

Christel Benedetti, substitut du procureur, partage ce regard : « On a en effet des éléments tout au long de la procédure qui indiquent que monsieur ne comprend pas tout. » Elle ne s’oppose pas à l’expertise. Du box, le prévenu regarde la victime, mais d’un air inchangé, platement. Il ne travaille pas (on comprend qu’il n’a jamais travaillé, mais on n’est pas sûr), « inapte ». « Vous avez des problèmes de santé ? l’interroge la présidente. – Oui. Cardiaque, diabète. – Et des problèmes de tête ? – Non. – On se pose des questions sur votre état. – Mon état, il n’est pas fort. – La victime dit que vous avez des problèmes avec l’alcool. » Outch. Point sensible. Il devient véhément : « Non c’est faux. La victime, comme vous dites, elle veut du pognon, mais moi je ne suis pas banquier à donner de l’argent comme ça ! » Il fait le geste de celui qui palpe une liasse de billets.

« Si vous sortez de prison, vous irez où ? – Chez moi. – Chez vous, il y a votre femme »

Le rapport de l’enquête sociale rapide mentionne, lui aussi, qu’il est « difficile d’avoir une conversation. Difficultés de compréhension et d’expression. » Le prévenu a été placé en détention provisoire le 24 décembre, il y a deux jours. Que faire en attendant qu’il soit jugé ? La présidente fait le tour des possibilités : « Si vous sortez de prison, vous irez où ? – Chez moi. – Chez vous, il y a votre femme. – Non, elle est partie. – Comment vous le savez ? – Elle est partie en Algérie. – Elle est là, monsieur, elle est dans la salle. » Il dit des trucs que nous ne comprenons pas. A son casier, une seule condamnation, en 2005 : refus de se soumettre aux tests de mesure de l’état alcoolique, il intervient en disant « non-non ». « Vous arrêtez de me couper ! » ordonne la juge.

Elle avait peur que son mari ait froid en garde à vue

La police aurait conseillé à un ami de cette famille d’accompagner la victime pour lui traduire ce qu’elle ne comprend pas, autant dire presque tout. « Est-ce que madame demande une réparation de son préjudice ? » Pendant qu’il traduit, une femme assise à côté de la victime lui souffle « non, non », et la victime dit « non ». Elle s’est réfugiée chez cette femme, sa belle-sœur. Elle fait trop de cauchemars, et ne dort pas si elle se trouve seule chez elle. La substitut du procureur requiert le maintien en détention du prévenu, pour protéger la victime. « Quand des policiers l’ont accompagnée chez elle pour qu’elle y prenne des vêtements, elle voulait un pull pour son mari, elle avait peur qu’il ait froid en garde à vue. » Maître Varlet plaide pour un contrôle judiciaire strict : « C’est une conjugopathie. Si le couple est séparé il n’y aura plus de problème. »

Il est maintenu en détention : « D’accord. »

Le prévenu invective alors son épouse, et la présidente lui demande où il se croit, ce que d’ailleurs tout le monde voudrait savoir. A cette fin, le tribunal ordonne une expertise psychiatrique et désigne l’expert. Il ne semble pas content du tout, oppose un regard bas. « Le tribunal ordonne votre maintien en détention. » et là il répond « d’accord ». Il sera jugé début février.

Florence Saint-Arroman