Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - "Elle dit que quand vous buvez, vous la frappez. Elle dit qu’une fois vous l’avez tasée"

TRIBUNAL DE CHALON - "Elle dit que quand vous buvez, vous la frappez. Elle dit qu’une fois vous l’avez tasée"

"Elle a d’autres traces sur le corps, elle dit que ce sont des coups de ciseaux et de couteaux, même au niveau de l’aine. Elle dit qu’elle a fui votre logement, seulement vêtue d’un soutien-gorge et d’un caleçon, et qu’une dame lui a donné une couverture. »

Audience de comparutions immédiates ce jeudi 13 février. Le président Dufour expose au prévenu, A. X., 49 ans, le contenu de la plainte posée contre lui en décembre dernier. Le prévenu est en détention provisoire depuis le 20 décembre. Ce dossier a été renvoyé le 23, puis en janvier. Maître Leray intervient en défense, maître Bibard représente la victime. Elle est dans la salle. Elle est venue à chaque audience, toujours coiffée d’un bonnet que personne ne lui demande d’ôter.

« Elle dit que vous êtes méchant, qu’elle a très peur de vous »

« Elle dit qu’elle a fui votre logement, seulement vêtue d’un soutien-gorge et d’un caleçon, et qu’une dame lui a donné une couverture » : cette phrase semble contenir la substance de sa vie, sa vie actuelle. « Elle dit que vous l’insultez régulièrement, que vous la traitez de ‘pute’. Elle dit que vous êtes méchant, qu’elle a très peur de vous, qu’elle veut être tranquille. Elle dit que vous buvez, elle dit qu’elle aussi elle est alcoolique. »

Des petits discours qui le mettent en scène en travailleur social

Lui, posé sur le banc du box, le buste, le cou et le visage tendus vers les juges, semble boire les paroles du président, et leur oppose, avec une constance et un aplomb qui finissent par être flippants, des petits discours qui le mettent en scène en travailleur social, dévoué à maintenir cette femme à flot. C’est elle qui a mis ses actions en échec, parce qu’elle boit pire qu’un templier et qu’avec ça, que voulez-vous, elle est la proie de tous les sales types de la ville.

« Il y a des personnes qui profitent d’elle, la situation est beaucoup plus alarmante que ça »

Il y a du vrai là-dedans, plaidera maître Leray, « il est incontestable que madame est une victime. De qui ? On ne sait pas. Elle a souffert dans sa chair, elle me fait de la peine. Elle est mal entourée. Elle s’alcoolise beaucoup, elle a des capacités mentales réduites, elle est souvent incohérente, il lui faut une mesure de protection, c’est le plus urgent. Il y a des personnes qui profitent d’elle, elle subit d’autres violences, la situation est beaucoup plus alarmante que ça. »

Jo la savonnette

L’avocate plaide une relaxe, « parce que monsieur conteste ». Oui, en dépit des 11 mains courantes, des témoignages concordants des voisins de la victime mais aussi des travailleurs sociaux qui la suivent, en dépit des certificats médicaux, des procès-verbaux de la police qui un jour l’a placé en dégrisement (« Ben ça, c’est l’appréciation des agents de police, moi j’avais bu un verre ou deux »), il conteste. Le président le confronte à tous les éléments du dossier, en vain. C’est Jo la savonnette qui se trouve dans le box.

Ce ton, posé, calme, duquel ne pointe qu’un zest d’exaspération

Autant il est patent qu’elle a versé dans le ruisseau depuis un moment, autant il s’efforce de « bien présenter ». Ses années de fac, son diplôme universitaire. Son penchant altruiste qui l’emmène au-delà du raisonnable sinon il ne serait pas là. Sa fille, qui va elle aussi faire des études supérieures. Et ce ton, posé, calme, duquel ne pointe qu’un zest d’exaspération puisqu’il doit, inlassablement, répondre à ce juge insistant comme on répondrait à un enfant qui décidément ne veut rien entendre, que sa lecture du dossier est celle d’un aveugle.

Confronté à ses actes, mais rien à faire

Ah ce juge ! Ce juge qui s’étonne que des policiers emmènent à l’hôpital quelqu’un qui n’aurait bu que deux verres d’une boisson alcoolisée. Ce juge qui fait une lecture détaillée du casier ! « 2005, 1 an avec sursis, agression sexuelle avec menace d’une arme ; 2007, 5 mois pour outrage et violences ; 2008, 2 ans de prison pour violences aggravées par conjoint ou concubin… Tiens donc ? » Impassible en surface, l’homme, toujours penché vers le tribunal, répond : « Oui, j’avais pris une bouteille de whisky sur la tête. » Le président s’étonne : « Vous recevez une bouteille sur la tête et on vous condamne à deux ans ? » Y a pas d’justice, comme on l’entend souvent. C’est bien l’avis du prévenu.

13 condamnations, plusieurs pour des violences

A son casier, encore des violences sur conjoint, des violences contre les forces de l’ordre, des non déclarations de changement d’adresse (il est inscrit au FIJAIS depuis l’agression sexuelle), violence sur personne vulnérable et séquestration, violences, conduites sous l’empire de l’alcool… « Vous ne trouvez pas qu’il y a beaucoup de violences à votre casier judiciaire. » Position du prévenu : ça, c’était « avant ». Il a rencontré la victime en 2017, n’avait avec elle qu’une relation sexuelle et certes pas amoureuse, il vivait chez lui. Les voisins de la femme (elle a environ 35 ans) disent qu’il était chez elle tout le temps, et même parfois la virait du domicile : elle dormait dehors.

« Je n’étais pas en état d’ébriété, je fêtais la fin de mon sursis mis à l’épreuve »

Du coup le président lit les rapports du moment, celui du CPIP (1), par exemple. « Le comportement de monsieur a mis en échec le projet, il est venu en état d’ébriété. » Grosse lassitude dans le box devant autant d’incompréhensions : « Alors, je n’étais pas en état d’ébriété, je fêtais la fin de mon sursis mis à l’épreuve. J’avais bu du vin, en mangeant. » La CPAM demande un renvoi sur intérêts civils. Le dernier certificat médical établi par un médecin légiste relève des blessures et lésions graves (dont un hématome sous dural à l’hémisphère droit du cerveau, et des cicatrices d’âges différents mais dont certaines sont récentes). Maître Bibard s’associe à cette demande et synthétise un versant du dossier : « Madame a été le souffre-douleur de cet homme. »

« On est frappé par les explications de monsieur, très détachées, très froides »

« Personnalité inquiétante », dit Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur. « On est frappé par les explications de monsieur, très détachées, très froides, mais incohérentes, aussi. Il se positionne comme un tuteur alors que tout démontre le contraire. (…) Impulsif, violent, n’a jamais intégré le sens de la loi, n’a pas de recul critique sur son parcours pénal. » Elle requiert 5 ans de prison dont 1 an serait assorti d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans. Interdiction de contact, obligation d’indemniser la victime, interdiction de paraître à son domicile, obligations de soins. Maintien en détention pour les 4 ans fermes.

A combien de titres la jeune femme est-elle victime ?

Maître Leray reprend l’historique du dossier, regarde son autre versant. Elle s’étonne de l’intervention tardive de la justice pour des faits de violence sur conjoint. La première plainte date de l’automne 2018, la première audition de septembre 2019, « il a fallu les faits de décembre et 15 jours d’ITT pour qu’on bouge. » A combien de titres la jeune femme, qui erre en ville comme à Skid Row*, est-elle victime ?

4 ans de prison ferme, puis deux ans sous main de justice

Le tribunal suit les réquisitions. 5 ans (dont 1 assorti d’un sursis mis à l’épreuve). L’homme dans le box se contient, il est traversé pourtant par une onde de choc. Il regarde la victime : « Tu es contente de toi, maintenant ? 5 ans d’emprisonnement ! – Monsieur taisez-vous et laissez la victime tranquille ! tonne le président. Vous avez 10 jours pour faire appel. »

Florence Saint-Arroman

* Skid Row – l’impasse où l’on glisse (Joseph Kessel, « Avec les alcooliques anonymes »)

(1) Conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation