Chalon sur Saône

Le quartier Saint-Cosme autrefois : rencontre avec Germaine Moreau

Le quartier Saint-Cosme autrefois : rencontre avec Germaine Moreau

Aujourd’hui nonagénaire (90 ans), Germaine Moreau a conservé une mémoire hors du commun sur son enfance à Saint-Cosme. Pour Info-chalon.com, elle ouvre les portes de son appartement et de ses souvenirs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Une vie fourmillante

Née en 1929 dans la Grande Rue Saint-Cosme, Madame Moreau y a vécu jusqu’en 1947. Elle se souvient de la vie fourmillante de son quartier : « Mes parents tenaient une boucherie au numéro 37. C’était un quartier très populeux et très commerçant. On trouvait toutes sortes de commerces, j’ai fait la liste de ceux de la Grande Rue Saint-Cosme et des rues adjacentes. » En effet, la variété et le nombre de commerces sont remarquables : on ne compte pas moins de 38 boutiques dans ces quelques rues ! Chaque type de commerce est recensé, avec le nombre : « 10 épiceries, 2 maréchaux-ferrants, 4 débits de boisson, 1 brodeuse, 3 boulangers, 1 magasin de charbon, 2 bouchers, 1 bric brac… », les noms courent ainsi sur une page. Sans compter les entreprises, grandes pourvoyeuses d’emplois : AGAZ (usine à gaz), l’usine thermique, la sucrerie, la brasserie, la ciergerie, le dépôt des établissements Gros (commerce de fer) et les abattoirs entre autres.

Germaine évoque aussi les lieux de culte : sœurs dominicaines, sœurs St Vincent de Paul et bien sûr l’église Saint-Cosme, flanquée de chaque côté d’une école de filles et d’une autre de garçons. Ces derniers sont les témoins d’une époque révolue.

Canal du centre

Révolu et regretté (il sera bouché en 1959), le canal du centre que Germaine apercevait au bout de sa rue. Elle se rappelle le chemin de halage avec ses ânes qui tiraient des péniches. Des péniches nombreuses qui traversaient Chalon, chargeant et déchargeant leurs marchandises dans les bassins.

Il y a aussi le pont « des fainéants », qui enjambait le canal entre la Grande Rue Saint-Cosme et la rue Porte de Lyon. D’où venait ce nom ? Peut-être des badauds qui s’y accoudaient, discutaient et assistaient aux manœuvres, attendant qu’on les embauche.

Les festivités avant la guerre

Comment oublier les fêtes de Saint-Cosme qui duraient 15 jours ? C’était juste avant la rentrée des classes, qui avait lieu le 1er octobre. Les forains arrivaient, à la grande joie des enfants qui assistaient au montage des manèges : « Il y avait les chevaux de bois, les balançoires, le cricri et, juste devant la boucherie de mes parents, le manège de bicyclettes » commente Germaine avec un sourire ravi. La fête prenait les dimensions d’alors : « deux chapiteaux de bals obstruaient les rues de l’Alma et Sébastopol. Et le samedi soir, c’était la retraite aux flambeaux jusqu’à la nuit, avec les lampions portés par tous les enfants, en musique. On pouvait déguster le vin nouveau et les corniottes*. »

1936 : les congés payés

Germaine n’a que 7 ans, mais elle se souvient d’un « remue-ménage » dans les rues du quartier, qu’elle ne comprend pas : tout le personnel des entreprises débraye, c’est un bouleversement ! Pourquoi ? Les congés payés, demandés et enfin obtenus par la CGT. Avant cette date, rappelons que les ouvriers ne se reposaient que le dimanche, et n’étaient payés que lorsqu’ils travaillaient.

Début de la guerre de 39-45

Entre 10 et 15 ans, Germaine vit les événements de la Seconde guerre mondiale à travers ses yeux de jeune Saintcosmienne. Mais il s’agit d’événements « qu’on n’oublie pas » et Germaine a pris soin de les écrire pour y mettre de l’ordre.

La première affiche de mobilisation générale, avec ses deux drapeaux tricolores, elle l’a vue sur le mur de la maison Vagneur, à l’angle de sa rue et de la rue Victor-Hugo (aujourd’hui club « La Passerelle »).

La première alerte : dans la nuit, vers 2 h, on la tire du lit, et les habitants du quartier se réunissent dans les prés Saint-Cosme (actuellement l’emplacement de l’hôpital). Elle a encore l’image de cette personne âgée, transportée sur un brancard, à la suite d’un malaise.

À l’école, chaque matin que retentit la sirène, c’est à la cave, aménagée en classe avec des bancs de bois, que les fillettes descendent. Et c’est ainsi qu’elle passera son certificat d’études « un peu bâclé » sourit-elle. Il y avait aussi les biscuits vitaminés et les pastilles rouges distribuées chaque jour aux écolières pour pallier la privation de nourriture. « C’était le début de la crise de ravitaillement, je me souviens des longues files d’attente devant la boucherie, les jours d’ouverture étaient le vendredi et le samedi. Les tickets d’alimentation étaient répertoriés en J1, J2, J3 selon les tranches d’âge. On les retirait à la mairie. »

La débâcle française

En 1940, Germaine garde en mémoire les soldats perdus, hagards, interrogeant les habitants pour retrouver la trace de leurs unités de combat. Réfugiée chez ses grands-parents à Sevrey, au bord de la Nationale 6, elle a saisi l’affolement de la population : « C’était une grande pagaille, on voyait passer des voitures à cheval, des charrettes poussées par des gens exténués qui fuyaient les Allemands. C’est une triste vision que je n’ai jamais oubliée. »

L’occupation allemande

Puis Chalon est déclarée « Ville ouverte » par le maire, Georges Nouelle et la France divisée en deux zones : libre et occupée. Quelques réminiscences subsistent de cette occupation, les défilés des soldats allemands et leurs chansons qu’on « subissait », l’interdiction de sortir après 20 h et les tickets de rationnement, encore plus réduits.

La TSF : « il était interdit d’écouter la radio aux heures de diffusion, mais nous y restions fidèles ; même en écoute brouillée, les gens essayaient d’avoir des informations anglaises, mises en place par le Général de Gaulle, qui appelait à former un rassemblement afin de continuer la bataille (appel du 18 Juin) ; ses messages codés donnaient des ordres aux sympathisants et rebelles retranchés dans le maquis (environs de Chalon, très boisés : Corlay, Givry…) Les messages commençaient ainsi : “Les Français parlent aux Français”… “Aujourd’hui, Xe jour de la lutte du peuple français pour sa libération…”

Les parents de Germaine ne parlaient pas des événements de la guerre avec leur fille, mais elle se souvient qu’à l’école, on échangeait entre camarades, avec la réserve qu’imposait la méfiance.

La « maison de la torture »

Située au 27, c’est une maison bourgeoise de la Grande Rue Saint-Cosme. « Les S.S. l’avaient réquisitionnée pour traquer les Juifs qui essayaient de passer en zone libre. Dans ma rue, j’ai vu des couples qui couraient dans tous les sens pour échapper à leurs poursuivants, ils se débarrassaient de leurs bagages chez les habitants. Cette scène ne peut pas s’oublier. » La terrible réalité a été découverte après les hostilités : dans cette maison ont été retrouvés des instruments de torture…

Débâcle allemande et libération de Chalon

« C’était un sentiment de peur générale : les soldats allemands rentraient dans les maisons pour s’emparer de tous les moyens de locomotion (bicyclettes, chevaux et attelage dans les campagnes) et ils étaient armés ! » De son côté, le maquis continuait son travail : « ça pétaradait de toutes parts, certains nids allemands opposaient une résistance. Les habitants du quartier se réfugiaient dans les caves. »

Le 5 septembre 1944, les cloches de toutes les églises se sont mises à sonner : Chalon est libérée. « Je me suis rendue place de l’Hôtel-de-Ville, la population affluait, c’était une joie explosive, communicative, les lycéens faisaient la farandole, les gens s’embrassaient, c’est un spectacle à ne jamais oublier. »

Germaine conserve une grande tendresse pour son quartier d’enfance. Ce dimanche 29 septembre, elle a tenu à assister à la cérémonie — organisée par le comité de quartier présidé par Solange Dorey — en mémoire des habitants de Saint-Cosme, victimes de la Seconde Guerre mondiale.

Germaine est ce qu’on appelle une belle rencontre, et une mémoire admirable qui aurait à nous apprendre encore beaucoup sur l’histoire de « son quartier » !

* Corniottes : pâtisserie originaire de Louhans, composée de pâte brisée et de pâte à choux (voir Info-chalon.com pour la recette).

Merci à P. Bourdiau de la Maison des Seniors pour la mise en relation avec Germaine Moreau.