Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON : « Pour un gitan, c'est un amour ! »

TRIBUNAL DE CHALON  : « Pour un gitan, c'est un amour ! »

Frédéric X. se tient assis le dos impeccablement droit et les bras croisés. Visage doux, voix douce. Il est pourtant déféré devant la chambre des comparutions immédiates pour violences conjugales. Le 19 juin dernier une dispute de trop, le couple s'insulte. « Baise tes morts », l'injure suprême. Puis 5 coups au visage, le nez, la lèvre, le crâne. Frédéric vient de casser le nez de la mère de ses 5 enfants, sa compagne depuis 20 ans.

20 ans émaillés d'insultes et de reproches. « A une époque il ramenait des copains qui squattaient à la caravane. On vivait tous dedans. J'avais pas mon intimité, je dormais sur le canapé clic-clac. » raconte la victime. Pour autant « ça allait ». Mais depuis mai 2016, à partir du décès du père de la compagne, qui devait, on l'imagine, tenir un peu en respect le conjoint de sa fille, ça part en vrille. « Depuis, il est violent », et suspicieux.

Le tribunal décrit des scènes au cours desquelles il lui tirait les cheveux, l'étranglait, lui crachait dessus, l'insultait, et concluait qu'il « se donnerait la mort » si elle le quittait. La passion dans ses largeurs effrayantes. Il est même allé jusqu'à la menacer de son fusil (sans permis). « La famille » aurait menacé de l'enfermer, de la séquestrer, si elle disait à la police qu'il détenait une arme. Chez ces gens-là, on n'cause pas monsieur, on n'cause pas. Du reste avant l'audience « on » lui a bien recommandé de « fermer sa gueule ».

La victime, une longue femme au visage éprouvé mais pas sans noblesse, offre un profil atypique dans ce contexte : 2 mains courantes en 2016 puis une plainte. Elle reconnaît ne pas se laisser faire, répondre et se défendre, « c'est vrai, je m'en prenais souvent à lui ». Elle ne courbe pas l'échine, elle aurait même le verbe bien trop haut pour les hommes de la communauté. Elle expose que son compagnon a cette fois-ci passé des limites et qu'il n'est pas question de s'installer dans une telle situation. Puis elle lance : « S'il veut me reprendre, il me reprend, mais qu'il comprenne qu'il y a des limites. S'il ne veut pas, eh bien chacun fait sa vie de son côté. »

Maître Diry qui intervient pour elle semble regretter la procédure de comparution immédiate pour un homme « sans casier », d'une part, et parce que la victime n'a pas eu le temps de s'apaiser. « Les violences, c'est un drame. L'incarcération d'un père, c'est un drame aussi. » Que faire ? « Elle veut que ça s'arrête, pas qu'il aille en prison. » Pour une ITT supérieure à 15 jours, ce qui est considérable, l'avocat sollicite un renvoi sur intérêts civils. « La plainte était nécessaire, elle le met face à ses responsabilités. »

Confronté à ses actes et à leurs conséquences par les juges, toutes des femmes, le prévenu ne se départit pas de son calme et au contraire demande à consulter un psy « quitte à quitter le foyer familial ». Il aime sa femme et ses enfants, mais il allait mal l'an dernier, il a cessé de s'alimenter correctement pendant quelques mois, il a perdu beaucoup de poids. Le couple avait fini par faire chambre à part, l'un dans la caravane, l'autre dans l'algeco attenant. Il s'en veut de ne pas avoir ofert de meilleures conditions de vie à sa tribu, mais il est illettré, sans éducation, « il s'est fait tout seul », plaide Maître Giudicelli venu de Lyon pour la peine.

Le procureur avait requis un mandat de dépôt, soit une incarcération immédiate, ce qui est presque habituel en matière de violences conjugales. L'avocat lyonnais retaille la cote, comme son confrère pour la partie civile : « Ne faut-il pas privilégier la reprise possible ? 20 ans de vie commune et 5 enfants, ils tiennent l'un à l'autre et le disent. Mais c'est les gens du voyage, vous voyez ses frères et ses amis ? (les derniers rangs du public ne sont occupés que par des hommes venus soutenir Frédéric) Ah ils ne sont pas tous psychologues, c'est le moins que l'on puisse dire. » Et Maître Giudicelli d'oser un « il n'a pas de casier judiciaire alors qu'il est des gens du voyage, et que la délinquance fait partie de leur ADN ». Gonflé.

Mais ce propos hors limite glisse sur la communauté présente car l'enjeu c'est d'éviter la prison : « Il se donnerait la mort, là-bas » dira un ancien dans le public.

Dans ces conditions le verdict tombe comme une douche bienfaisante : 18 mois de prison, dont 9 mois avec sursis et un suivi mise à l'épreuve de 2 ans, obligation de soins et de travailler. Pas de mandat de dépôt, peine aménageable. Le tribunal impose aussi une interdiction de contact avec la victime, histoire que tout le monde reprenne ses esprits, « cette interdiction pourra être levée plus tard ».

Le meilleur ami de Frédéric est dans la salle : « Je vous assure, pour un gitan, c'est un amour ! »

 

Florence Saint-Arroman