Saône et Loire
"La désertification médicale frappe aussi le travail des enquêteurs" ont dénoncé les gendarmes de Saône et Loire devant le député Gauvain
Publié le 22 Mai 2018 à 12h05
« Les enquêteurs n’ont pas peur du changement, on s’adapte à chaque fois. » Les regards des gendarmes sur le projet de loi justice, recueillis par Raphaël Gauvain, député de Saône-et-Loire vendredi 18 mai à Chalon-sur-Saône croisent bien sûr ceux des policiers mais s’expriment différemment : d’une part ils sont militaires, d’autre part leurs zones d’intervention sont bien différentes.
Le colonel Mattheos commande le groupement de gendarmerie de Saône-et-Loire, il se présente avec la chef des enquêteurs de police judiciaire de la gendarmerie départementale, des commandants de Châtenoy-le-Royal, Charolles, Mâcon. Le député leur expose rapidement les points sur lesquels les policiers se sont exprimés. « On a évoqué la simplification de la procédure pénale, en faisant le choix de garder le cadre de procédure pour éviter les risques de nullité (devant les tribunaux, ndla) : il vaut mieux faire évoluer que de tout chambouler. »
Le colonel Mattheos espère qu’avec la numérisation de la procédure, et l’harmonisation police-gendarmerie-justice, « on suivra mieux nos dossiers communs, et on pourra sortir de la paperasserie ». Il relève que déjà « le BEJ* donne au magistrat une vision globale de l’enquête, c’est un premier pas, mais en France on n’est pas au point sur la signature électronique. » Puis il pose la question que les policiers ont immédiatement soulevée aux aussi : « Il faut regarder comment nous pouvons gagner du temps. »
Les contrôles d’identité : « il faudrait assouplir les règles »
« La question des contrôles d’identité n’est pas reprise dans le projet, pourtant c’est quelque chose de complexe, justifier des contrôles est compliqué. La loi semble l’autoriser mais en fait c’est fragile. Il y a une suspicion a priori du gendarme ou du policier, pourtant on a des procédures internes rigoureuses pour éviter les abus, si quelqu’un abuse il est repéré rapidement et sanctionné. On devrait pouvoir procéder à des contrôles d’identité. » L’un des officiers insiste : « Assouplir les règles n’entraînera pas d’abus. »
Raphaël Gauvain interroge ses interlocuteurs sur le site de la gare TGV du Creusot, lieu sensible dans le cadre des menaces terroristes. « L’état d’urgence nous donne le droit de procéder à des contrôles administratifs, mais tout contrôle doit être motivé par une infraction, on ne peut pas arguer du risque permanent pour intervenir. » Quant à la surveillance du site : « On ne peut pas placer 2 militaires chaque jour à cet endroit », cela n’empêche nullement une vigilance permanente et accrue, mais il y a des limites de fait aux mobilisations des personnels, en gendarmerie comme ailleurs.
Les premières 24 heures de GAV : mangées en actes de procédures au détriment du travail d’enquête
Contrairement aux policiers, les gendarmes estiment que « le délai de carence avocat (l’avocat a deux heures pour se rendre en garde à vue, on doit l’attendre pour auditionner, ndla) est désormais intégré, ce n’est pas du temps perdu. C’était mal perçu au départ, on s’y est fait. » En revanche et comme les policiers, les enquêteurs de la gendarmerie déplorent que les premières 24 heures de garde à vue « sont très vite consommées, et il s’y passe peu de choses (en terme d’enquête). De fait, la prolongation, quand on la demande, nous est accordée à chaque fois. »
Amendes pour les consommateurs de stups, ou enquêtes pour arrêter les trafiquants ?
Sur la mise à l’amende des consommateurs de stupéfiants, harmonie également des enquêteurs, qu’ils soient policiers ou gendarmes : « On n’est pas complètement pour, car les consommateurs sont bien souvent impliqués aussi dans d’autres formes de délinquance (vols pour se procurer de l’argent, violences, menaces, racket, etc., ndla). » La sanction contraventionnelle permet de sanctionner « de petits délits qui souvent ne le sont pas », mais se pose la question de l’accès aux fournisseurs… question première pour les enquêteurs, « donc c’est bien si on a le choix (de mettre à l’amende, ou de poursuivre des investigations) ».
La désertification médicale frappe aussi le travail des enquêteurs
Les gendarmes sont déployés dans tout le département, et souvent en zones rurales et semi-urbaines : « On a un problème avec la médecine légale. On n’a plus de médecins légistes car depuis quelques années ils doivent venir de Dijon. Il y a donc une carence profonde pour les examens de corps, dans nos territoires, car on n’a plus l’expertise du légiste. »
Adapter les techniques d’enquête aux réalités
Le colonel Mattheos salue l’adaptation du projet de loi aux évolutions technologiques : en faire bénéficier les enquêteurs, cela va « nous aider considérablement ». Le projet de loi simplifie le recours aux interceptions par la voie des communications électronique, des géolocalisations, à l’enquête sous pseudonyme, et aux techniques spéciales d’enquête, comme le recours à l’IMSI-catcher, la sonorisation des véhicules et la captation d’images (ex : lors d’un jugement de trafiquants de drogue, récemment, les enquêteurs de Dijon ont put apporter des éléments à une enquête locale, via la sonorisation d’une voiture dont les occupants ont parlé de leurs « collègues » du Creusot, ndla). L’étude d’impact du projet explique que « La professionnalisation des délinquants, leurs capacités à dissimuler leurs activités et à s’adapter aux méthodes d’investigations traditionnelles, le développement de l’usage des messageries instantanées cryptées, ainsi que le phénomène de recours au « darknet » pour commettre des infractions, exigent une mise en œuvre élargie et simplifiée de ces techniques spéciales d’enquête. »
Les retards de paiement des interprètes et des experts tant à les faire disparaître, et pourtant…
L’entretien touche à sa fin. L’adjudante de la brigade de recherches de Chalon-sur-Saône tient à faire remonter une difficulté majeure, dont tout le monde est au courant sans que cela change quoi que ce soit à une situation tendue et illégale : les experts et les interprètes ne sont plus payés dans les temps depuis un bon moment, et cela impacte leur vie, « ce n’est pas normal, ils travaillent pour la justice. Et s’ils ne viennent plus, nous serons lésés. » « Lésés », le mot est faible, car dans les cas où la présence d’un interprète est obligatoire, son absence grève et l’enquête, et la procédure. Idem pour les audiences. Un article** qui date de 2014 faisait déjà état de l’aberration de leur cadre de travail, et du retard considérable, donc inadmissible du paiement du travail effectué. L’interprète qui témoignait, dit ce que pourraient dire ceux qui exercent en 2018 : elle « a dû s’endetter auprès de sa banque car son employeur la paie avec des mois, et parfois des années, de retard. Pourtant, elle travaille pour la police et la justice française en tant que traductrice interprète », « on se sent très précaire, confie-t-elle, or quand on travaille pour le ministère de la Justice, on est loin d’imaginer qu’on n’est pas dans le droit ».
FSA
*BEJ : bordereau d’envoi judiciaire. La plainte déposée (qui expose tous les éléments qui fondent la plainte) est envoyée au parquet, c’est un dépôt virtuel, dans une zone sécurisée.
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