Chalon sur Saône

Jean-Luc Petit, Chalonnais globe-trotter : « Être photographe, c’est une façon d’être »

Jean-Luc Petit, Chalonnais globe-trotter : « Être photographe, c’est une façon d’être »

L’ici et l’ailleurs. Vous le connaissez sans le connaître. À la fois proche et lointain, figure locale et globe-trotter, le photographe Jean-Luc Petit parcourt le monde depuis 35 ans, armé de son boitier. Paris Match, Le Point, L’Express, Point de vue, Time Magazine, New York Times, Dove en Italie, ses photos sont publiées dans les plus grands magazines français et étrangers. Mais aussi ICI, dans notre région : Bourgogne Magazine, Aventures des Toiles : des amitiés qui demeurent, malgré les échappées régulières aux 4 coins du monde.

Ne cherchez pas de dénominateur commun, d’unité ou de spécialité. Quand on s’embarque dans l’aventure de la photographie de presse, on est curieux de tout, avide de découvertes, de l’humain, de ses différences surtout : le sport, les personnalités, les créateurs, l’art… L’œil se fait, le regard s’affine – ou s’affirme. Et de tout cela, on fait sa signature. Quel photographe êtes-vous, Jean-Luc Petit ?

Les débuts : le sport dans tous ses états

Mettez trois ingrédients dans un shaker : le sport, le voyage, la presse magazine. Secouez, et vous obtenez un cocktail parfait. Parfait pour le jeune photographe Jean-Luc Petit, en 1988 : « J’étais sportif à l’époque (rugby à Chalon) et ce qui me passionnait, c’était la presse magazine. Photographier, c’est un amusement, c’est génial. »

Dans ces années 90, trois agences de presse faisaient de Paris la capitale du photojournalisme argentique : Gamma, Sipa et Sygma. Après une année passée à l’agence Sipa, Jean-Luc Petit signe avec Gamma, qui crée un département « Sport aventure ». Il intègre une équipe de 5 jeunes photographes, spécialisée dans les raids du monde entier : le Paris-Dakar, le Marathon des sables, les JO, l’équipe a couvert les événements sportifs de la planète. 

Ouvrir son objectif sur le monde

À couvrir les mêmes événements, on rencontre les mêmes personnes. Toujours au sein de l’agence Gamma, Jean-Luc Petit passe au département « Magazine » pour diversifier les sujets.

Les varans de Komodo ont été le sujet le plus vendu parmi les réalisations du photographe. « Nous avons passé un mois sur l’ile de Komodo, à 3 dans une cabane, loin des zones pour touristes, dans des conditions assez compliquées. Il n’y a rien sur cette ile, on a même eu faim. L’agence voulait qu’on fasse du Jurassik Park. J’étais couché dans un trou, le varan venait au-dessus, à 20 cm de moi. Mes compagnons avaient des bâtons fourchus en bois pour le repousser au cas où. Des bâtons de bois, c’était dérisoire. J’étais inconscient du danger. Et c’est là que tu réalises que, quand tu fais des photos, tu oublies tout ! Rétrospectivement, tu te dis que tu as été fou. En fait, c’est un bouclier, les photos. » Un bouclier, expression intéressante dans la bouche de ce journaliste aguerri. Et en effet, lors des séances photos, Jean-Luc explique qu’il se sent comme galvanisé, sûr de son fait. Non pas invincible ni inconscient, mais intuitif. Tout se passe comme si, derrière l’objectif, il se sentait en pleine possession de ses sens, plus aiguisés qu’à l’ordinaire.  

Les tribus du Yémen, les grandes familles en Afrique, les enfants héritiers d’un trône, les chefs d’État… Quand on apprend, on se déprend aussi des idées toutes faites : « J’ai fait pas mal de portraits de l’aristocratie dans le monde entier. J’avais des préjugés sur les “aristos”, mais ils sont tombés au fur et à mesure de mes rencontres. Ici comme ailleurs, on croise des gens charmants, polis, attentionnés ou tout le contraire ! Ce n’est pas l’argent qui dicte la conduite, c’est l’éducation et le cœur. »

« C’est souvent moi qui choisis mes sujets. Les tribus, au départ, ça n’intéressait personne. Je suis quand même parti au Yémen, je me suis débrouillé pour trouver le financement : je propose un synopsis de la réalisation du sujet à des journaux, qui peuvent mettre une garantie financière. Finalement, ça a plu. Je suis souvent retourné au Yémen. »

Le voyage, est-ce le rêve ?

Colombie, Vietnam, Cameroun, Guyane, Égypte, Cuba, NY, Istanbul… On ne fera pas la liste des pays et des villes que Jean-Luc Petit a foulées du pied, boitier en main. Elle serait longue et sûrement pas exhaustive. Pas de litanie inutile donc. Le voyage, quelle que soit sa destination, ça se prépare, on ne s’envole pas pour un ailleurs, la tête vide. Demande d’informations auprès des ambassades, démarches de visa, recherche de contacts, d’aides : le travail en amont est important. Malgré tous les préparatifs, rien n’est fixé définitivement. Partir en reconnaissance, rencontrer des gens, échanger avec eux expose aussi à modifier les sujets. C’est sur place qu’on saisit ce qui capte vraiment l’intérêt. Et on s’adapte, aussi, à tous les impondérables. « Au Maroc par exemple, si tu n’es pas sur place, tu ne fais rien. Un rendez-vous ne se fixe pas avec certitude par téléphone. Leur fonctionnement n’est pas le nôtre. Quand j’ai fait le portrait de l’ancien président du Yémen, malgré tous les contacts pris au préalable, on m’a baladé longtemps : le rendez-vous était chaque fois reporté pour n’importe quelle raison. Il faut s’adapter. »

D’où vient cette envie de voyager ? Jean-Luc Petit n’a pas voyagé avec ses parents dans son enfance. « Aujourd’hui, c’est devenu beaucoup plus simple de voyager, et plus accessible financièrement. Mes deux filles ont vécu le même mode de vie que moi. Jusqu’à leurs18 ans, elles m’accompagnaient aux 4 coins de la planète. Elles adorent voyager aujourd’hui. »

Le voyage s’est démocratisé, c’est un fait. Est-ce un progrès ? Pas si sûr que ça. Jean-Luc Petit développe son point de vue : « Avant, il n’y avait que des touristes initiés, c’est-à-dire qu’ils voyageaient pour une bonne raison : découvrir, apprendre, comprendre, en un mot : s’élever. Et je trouve important qu’on trouve des financements pour aider ceux-là, car il en reste. Aujourd’hui, on assiste à autre chose de plus inquiétant : des hordes de touristes qui envahissent tout et ne viennent rien chercher, qui suivent un guide sans voir, qui se gavent aux tables parce que c’est “tout compris”. Je trouve d’ailleurs cette expression particulièrement vulgaire, ça ne grandit pas les gens. Un exemple : des touristes qui jouent au golf dans un hôtel de luxe : où est l’intérêt de partir si loin pour faire des activités que vous pouvez faire dans votre région ? Un autre exemple : des agences de voyages proposent à des Chinois et Japonais de faire le tour de l’Europe en 3 jours, vous imaginez ? Ils courent, carnet de cartes postales en main, et vous disent : on veut faire la même photo. Quel sens y a-t-il dans tout cela ? On a ubérisé le voyage. Résultats ? C’est avilissant pour les gens, c’est une catastrophe écologique et économique : à Venise, les cuisiniers sont souvent des Pakistanais, ça ne fait pas vivre les Italiens. Sans compter que les villes se transforment en airbnb ! Le voyage démocratique, ça nourrit 4 types derrière leur plateforme, ça oui. Tu sais quel est le bruit international aujourd’hui ? Brrrrrrrr : celui des roulettes de valises ! »

L’ici ou l’ailleurs ?

Jean-Luc Petit a fait du voyage son quotidien. Il s’envole pour la Corée comme vous partez faire vos courses. Et malgré toutes les beautés du monde happées par son regard de photojournaliste, il a fait le choix de son port d’attache : Chalon. Est-ce à dire qu’aucune ville étrangère n’a eu sa préférence ? « Je crois qu’il n’est pas facile de vivre ailleurs, loin de ses racines. Ma fille aînée, qui habite à Rio, ressent le besoin de rentrer pour les fêtes, pour nous voir et pour se retrouver, elle. Bien sûr, je me sens particulièrement bien dans certains endroits : New York, Rome, Séoul, ce sont de grandes villes et pourtant, on ne se sent pas écrasé. J’aime la lumière du Maroc, de l’Égypte. Mais j’ai un métier où les lendemains sont aléatoires, c’est pour ça que j’ai besoin d’un socle. Donc j’ai choisi la meilleure formule pour moi : être ici et partir souvent. »

La Bourgogne

L’ici, c’est aussi les collaborations fidèles depuis 25 ans. Quand Dominique Bruillot monte le Bourgogne magazine, c’est tout naturellement qu’il demande à son ami Jean-Luc Petit de l’illustrer avec ses portraits parfois insolites, décapants, révélateurs des caractères de ses sujets. Il collabore régulièrement avec Le Grand Chalon, et couvre le festival Chalon dans la rue. Portraits de personnalités locales, sujets culturels variés, Jean-Luc Petit met autant d’énergie dans son travail sur le local qu’à l’international. « Une collectivité me fait confiance, j’ai carte blanche pour travailler selon mes choix, alors oui, c’est précieux. »

Sa carrière emprunte les chemins les plus divers, l’essentiel est de nourrir la curiosité. « Tu as déjà fait des photos de mode ? » lui demande un jour François Gadrey, fondateur du magazine Aventures des Toiles. Voilà un nouvel espace de jeu, dans lequel le photographe va pouvoir déployer toute sa fantaisie.

C’est quoi, être photographe ?

 « On ne va pas se raconter d’histoire, assène Jean-Luc, la photo, ce n’est pas une technique compliquée. Et surtout, dès qu’on l’a, il faut vite l’évacuer. Après, c’est l’idée. Le photographe, c’est celui qui a des idées, qui laisse la place à ce qu’il a envie de faire. Quand le numérique est arrivé, beaucoup de photographes ont disparu, parce que ceux-là n’avaient que la technique. »

Avoir des idées, c’est d’abord s’imprégner du travail de la personne dont on fait le portrait, discuter avec elle et saisir ses spécificités. Le tout, orchestré dans une mise en scène révélatrice. Explication par l’exemple : c’est une première pour le photographe, il fait le portrait d’une artiste décédée, Marion Heilmann (47 ans) alias Léonard Lamb, son nom d’artiste. Comment témoigner de son univers à travers une photo de couverture et une double page ? « J’ai longuement discuté avec son compagnon, puis j’ai reconstitué un décor dans une grange avec des éléments qui parlent d’elle : une marionnette qu’elle a créée, et qui est présente dans la majorité de ses toiles, une boîte “Delirium” qui évoque le côté délirant de ses toiles, etc. En regardant le résultat, son compagnon me dit : Tu as toute l’histoire, sur ta photo. »

La plus grande difficulté, c’est de rester visible à une époque où les réseaux sociaux nous noient dans un flux d’images. « Aujourd’hui, tout le monde est photographe. Il suffit d’acheter un boitier et d’ouvrir une page Facebook en disant : je suis photographe. Mais être photographe, ce n’est pas ça. Ça, c’est faire des photos, c’est différent. Être photographe, c’est une façon de vivre, une façon d’être. Même si je n’ai pas de boitier, je suis en permanence en train de photographier. Faire des expos pour garder une visibilité, se montrer, ce n’est pas trop mon truc, on reste dans l’entre-soi. Il y a l’édition aussi, ça m’intéresse davantage. »

Vision d’esthète

« Tout m’intéresse. Je reste à l’affut de tout ce qui se fait dans l’art : le street art, la sculpture, la peinture et je vais régulièrement aux biennales. Mais je fais le tri, parce que j’ai trop vu de soi-disant artistes. Je ne fais le sujet que si je suis convaincu. J’aime l’élégance, ce qui est beau, même dans les pays difficiles, je préfère chercher le beau. »

Un conseil pour devenir photographe ? « Sois curieux de tout ce qui se fait, cultive-toi. »

Avec les années, le regard s’aiguise. Chaque cliché est la somme de tout ce que le photographe a vécu. Finalement, c’est peut-être là la seule signature véritable.

Nathalie DUNAND

 

Les photographies de Jean-Luc Petit sont visibles sur le site https://www.jeanlucpetit.fr/