Chalon sur Saône

Le Misanthrope a été sublimé par un Lambert Wilson catégorique en diable

Le Misanthrope a été sublimé par un Lambert Wilson catégorique en diable

Qui mieux que Lambert Wilson pour légitimement endosser les habits d’Alceste dans le Misanthrope ou l’atrabilaire amoureux ? Samedi soir à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône dans le cadre des Théâtrales, le magistral tout autant que monumental comédien a fait feu des quatre fers et assis son rôle épique, au profit d’une transfiguration impressionnante de réalisme. Dans les travées, chacun de compatir à son immense désarroi…

Un autre monde

Parbleu ! Morbleu ! Les propos dithyrambiques à son sujet pourraient tomber dru sans interruption, au vu d’une prestation exemplaire de bout en bout. Pour cette pièce jouée en cinq actes et mise en scène par Peter Stein, dont les trois premiers coups frappés au théâtre remontent à…1666 sur la scène du Palais-Royal à Paris, le classicisme a retrouvé soudainement de la vigueur et de sa superbe. Dans un contexte un brin suranné, les puristes d’une langue claquemurée dans ses spécificités et subtilités, auront pu s’en abreuver jusqu’à plus soif. Le français châtié a fait florès au milieu de ce qui apparaît désormais comme de l’affectation confinant à une sorte de distanciation. Les bonnes manières affluent, zélatrices d’un langage tournicotant, elles auront constitué le substrat d’une intrigue savamment dosée par un Molière au sommet de son art. La leçon sur la nature humaine pouvait se mouvoir cahin-caha…

 

Sûr de sa foi en un monde meilleur

Alceste, carré jusqu’au bout des ongles, n’est pas du genre à faire des concessions à ce que lui susurre à longueur de temps son for intérieur. » Etre franc et sincère est mon plus grand talent », a-t-il confié. Et quand il affirme mordicus qu’il hait tous les hommes, il faut voir derrière cette allégation l’ensemble des travers de ses contemporains. La couardise, l’hypocrisie, l’intérêt personnel au détriment du reste, le minable profit, l’opportunisme de mauvais aloi…le dénombrement ne connaît pas de limites. Jusqu’au-boutiste, Alceste souffre dans son esprit et sa chair, communiquant à celles et ceux dans la salle qui font preuve d’empathie, une affliction tenace. Compte tenu des traumatismes moraux endurés, sa résilience peine à se forger une âme de chef. Autour de lui le décalage est grand (les comédiens lui donnent la réplique profitablement), la douleur encore plus manifeste pour cet être bileux que tout horripile. Il est en outre habité par une controverse avec l’être aimé, répondant au prénom de Célimène. Il n’a cure de l’apaisement, même les doux sentiments ne trouvent point grâce à ses yeux…L’enfermement dans ses principes relèguent son amour au rang de subalterne. Ca fait froid dans le dos…Vivre ou survivre, le petit doigt sur la couture de l’intégrité indéfaisable ? Ou peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse des sens, quitte à « établir des ponts entre les compromissions et à se vider de sa substance élevée à la bien-pensance ? Alceste a tranché net, condamné aux travaux forcés à perpétuité de son plein gré. C’est sans bavures, avec un couteau qui remue dans la plaie, criant de vérité…

                                                                                         Michel Poiriault

                                                                                        [email protected]