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« Chers djihadistes… », réédition d’un attentat de Philippe Muray contre l’ère hyperfestive et post-historique

« Chers djihadistes… », réédition d’un attentat de Philippe Muray contre l’ère hyperfestive et post-historique

Initialement publié en janvier 2002, soit quelques mois après les Attentats du 11 septembre 2001, un court essai de Philippe Muray a été récemment réédité aux éditions des Mille et une nuits : « Chers djihadistes... »* Le sentiment d’Info-Chalon.com.

Quelques mois après les Attentats du 11 septembre 2001, Philippe Muray publiait un assez court essai, intitulé Chers djihadistes

Commençant comme une lettre que l’on écrit à de proches correspondants pour dialoguer, celui-ci se présente sous la forme d’une missive que Muray, s’exprimant au nom et du point de vue de l’ « Occident », adresserait, non pas aux auteurs des attentats de New York – ils sont un peu tous décédés au moment de la parution…-, mais à leurs « coreligionnaires », si tant est que l’on puisse en l’espèce employer un tel terme.

Loin des discours habituels, auxquels nous sommes habitués, souvent d’une rare pauvreté intellectuelle, Muray leur explique pourquoi ils ont d’ores et déjà perdu le combat qu’ils pensent mener contre l’Occident, quand bien même, « entrés avec fureur dans notre magasin de porcelaine », on pourrait croire qu’il n’en est encore rien. Ce faisant, il livre surtout un portrait au vitriol de ce que sont devenues nos sociétés, qu’il qualifie de « post-historiques », « hyperfestives »**, peuplées de morts-vivants.

« Peuplées de morts-vivants ». C’est précisément sur cette dernière idée, c’est-à-dire que les Occidentaux sont depuis longtemps bien plus morts que vivants, que Muray conclut sa longue – peut-être un peu longue – missive, notamment à l’aide d’une phrase au style reconnaissable en tous : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus morts. »

Pour être honnête, ce n’est sans doute pas le meilleur livre de Muray, du moins si on le compare à L’Empire du Bien, aux Exorcismes spirituels ou à son Céline. Cela reste néanmoins puissant, tout simplement peut-être parce que, derrière, comme toujours avec Muray, se trouve une façon de penser hors des sentiers battus. En outre, l’ouvrage étant parsemé de fulgurances, mise en valeur par une langue exceptionnelle, qu’on la goûte ou non, il se dévore facilement. Dans tous les cas, c’est probablement à lire, malgré quelques longueurs. Ne serait-ce que parce que cela a tout de même autrement de la gueule que ce que l’on peut lire et entendre ici et là sur le sujet, notamment en période d’élection…

Samuel Bon

*Philippe Muray, Chers djihadistes…, éditions Mille et une nuits, (2002) 2016 ; 118 p, 13,20 euros

**Pour mieux cerner ces concepts, se reporter au « dictionnaire intime » que Muray entreprise de confectionner à partir de 1991, intitulé Le Portatif en hommage au Dictionnaire philosophique de Voltaire, surnommé Le Portatif par ses lecteurs (Philippe Muray, Le Portatif, éditions Mille et une nuits, (2006) 2014, 95 p, 10, 20 euros)

 

EXTRAITS :

« Notre plus belle réussite vient encore de ce que nous avons obtenu de nos populations qu’elles désirent ce que, dans ce domaine comme dans d’autres, elles subissent. » (p 15)

« Il n’y a plus de monde. Le terme de ‘’mondialisation’’ lui-même est chargé d’escamoter cette disparition. » (p 19)

« Vous éclairez vos lanternes avec nos vessies. » (p 19)

« De la vie sexuelle, il ne reste que les images. » (p 25)

« Cette angoisse de séparation que nous avons résolue en ne nous séparant plus jamais. Et, d’ailleurs, la verroterie des nouvelles technologies de la communication nous l’interdirait, si seulement nous étions effleurés de cette tentation. Mais nous ne la ressentons pas. Personne n’est en mesure, dans notre monde qui sera bientôt le vôtre, et qui l’est déjà en un sens, de se séparer de personne. » (p 84)

« Il y a bien longtemps déjà, en effet, que la sphère publique et la sphère privée, chez nous, ont fusionné sous les exigences de la transparence. » (p 113)

« Il est plus facile de mourir pour un Dieu que de lui survivre. » (p 115)