Livres

On a lu « Dix ans de mariage – une enquête dans la vallée de la Chevreuse »

On a lu « Dix ans de mariage – une enquête dans la vallée de la Chevreuse »

Erreur judiciaire ou crime parfait ? Julien Mucchielli revient sur une affaire criminelle dont la procédure fut minée par les manques de précautions et de rigueur. Une enquête passée au crible.

François Darcy a-t-il tué sa femme, une nuit de février 2012 dans un creux de la Vallée de la Chevreuse ? L’homme, jugé aux assises en 2016 puis en 2018, fut dit coupable à deux reprises, et condamné, en appel, à trente ans de réclusion criminelle. Ce verdict, comme toute décision de justice, a valeur de vérité judiciaire. Certes, dit le journaliste spécialisé, mais comment la considérer alors qu’il est sorti de chaque procès, « avec la même impression de mystère total ».

 

Pour la collection « Les Invisibles » dirigée par Antoine Albertini aux éditions JC Lattès, le journaliste judiciaire Julien Mucchielli a retravaillé l’entier dossier de cette affaire. Le livre est sorti, il s’appelle « Dix ans de mariage ». Dix ans : le compteur du temps s’est arrêté au moment où le cœur de Sylvie Darcy, affolé par les flammes qui avaient saisi leur voiture, a cessé de battre. Les conditions desquelles ce drame a surgi furent reconstituées et labourées par l’enquête, jusqu’à ce qu’un juge rende une ordonnance de mise en accusation contre le mari. 

 

Le livre offre une vue panoramique

Le récit de Julien Mucchielli ne néglige rien de cette lourde procédure, il offre une vue panoramique qu’un procès ne donne pas de cette façon, et pour cause. Tout procès est une re-présentation de tous les actes que rassemble un dossier, de tous les procès-verbaux, de toutes les expertises, de toutes les auditions, re-présentation par la parole. Tout procès (et toute audience) passe du fait au droit : le fait est que cette femme est morte dans la nuit du 26 février 2012, et que sa mort n’était pas accidentelle. Qui l’a tuée ? Un faisceau d’indices se monte très vite à charge contre son mari, pour autant, écrit Julien Mucchielli, « la justice est faite pour expliquer, et, dans cette affaire, elle s’est montrée paresseuse ».

 

« Dix ans de mariage » devrait ravir les amateurs de polar

Ce livre est l’illustration du tiroir : un crime est commis à un moment T, et il faudra, dans un lieu clos, en un temps limité, le présenter à nouveau, en une construction par la parole qui devra donner une image fidèle de ce qui s’est passé. Le journaliste est ici comme l’élève qu’on croit assoupi mais qui finit par lever la main en disant : « Je n’ai pas compris, je crois que votre explication ne tient pas ». « Dix ans de mariage » devrait ravir les amateurs de polars, ceux qui adorent percer l’énigme avant la fin. Qu’ils viennent essayer ici, et qu’ils prennent garde à leurs dents car elles pourraient s’ébrécher sur l’écheveau d’éléments objectifs mâtinés de torsions qui dès le début (la scène de crime abondamment fréquentée avant qu’on ne la fige, une reconstitution toute en contorsions, les projections inévitables des uns interprétant l’attitude de l’époux à la lumière de leurs représentations, des experts qui ne peuvent trancher) grèvent le poids objectif de l’enquête que le récit reprend minutieusement.

 

« Un doute plane pour toujours »

L’histoire du tiroir est la suivante : tels faits prennent-ils place de façon certaine dans tel tiroir aménagé dans le code pénal ? Ici, la réponse est oui, la mort de Sylvie Darcy est d’origine criminelle. Peut-on, sans aucun doute, placer son mari dans ce tiroir et le condamner ? Les éléments matériels ne souffrent-ils aucune critique ? François Darcy est incarcéré pour longtemps, il se dit toujours innocent, en dépit des charges retenues contre lui. « Un doute plane pour toujours » conclut le récit, c’est la pire des configurations possibles en matière criminelle.

 

Allez rencontrer cette histoire, elle vous donnera des clés mais sans leurs serrures. Allez rencontrer cette histoire et ces vies déployées, une certitude chevillée à l’esprit : jamais, jamais un crime ne survient « comme ça », jamais.

 

Florence Saint-Arroman