Faits divers
ASSISES DE SAONE ET LOIRE - Une 4e journée marquée par un malaise de l'accusée et l'intervention d'une équipe médicale
Publié le 17 Décembre 2020 à 21h26
Il est plus de 18 heures, ce jeudi 17 décembre, lorsque la présidente interroge Catherine de Conto, l’accusée, au 4e jour de son procès devant la Cour d’assises de Saône-et-Loire. Dans la nuit du 5 février 2018, cette mère a étouffé son fils, âgé de 8 ans. Elle l’a tué alors qu’il dormait, puis a mis en scène un cambriolage.
Elle n’a reculé devant aucune manipulation
Au fil du temps elle a adapté son récit au gré des évolutions de l’enquête, elle a trouvé d’autres pistes, d’autres accusations, elle n’a reculé devant aucune manipulation de nombreux corps de métiers, à commencer par les corps de secours cette nuit-là. Sa mise en scène exigeait, pensait-elle (c’est ce qu’elle affirme), qu’elle enferme la tête de son garçon dans un sac plastique. Ce geste, relevait la présidente mardi après-midi, interroge. Le sac en plastique est « le premier objet le plus dangereux qui soit, pour tout parent », donc les parents sont ultra vigilants. Que faut-il avoir dans le ventre, dans un ventre maternel, pour être capable, alors que l’enfant vient de mourir (des mains de sa mère), de lui recouvrir la tête avec un sac ? On ne sait pas.
Il est acquis en revanche que l’accusée n’allait pas bien.
Une personnalité « as if »
Catherine de Conto a fait un malaise ce matin, qui a nécessité plus d’une heure de suspension et l’intervention du SAMU. Un confrère journaliste a utilisé une bonne image pour expliquer ce malaise : une autre experte donne ce matin des éléments psychologiques qu’on a peu ou prou déjà entendus hier, mais c’est comme si elle achevait d’enfoncer le clou, et au moment où elle l’achève, l’accusée a vrillé. « Narcissique », « immature », « absence d’émotion », « froideur », « carence sur le plan affectif », « anesthésie émotionnelle » décrivent une femme qui vit avec un faux self, une personnalité « as if ».
Elle enfouissait tout ce qui pouvait contrarier ses efforts pour « donner le change »
On n’en finit plus en effet de remâcher les mêmes éléments, toujours éclairés un peu différemment selon les témoins. Elle n’allait pas bien, et puis elle a tué son fils, le 5 février 2018. Y avait-il des signes annonciateurs ?
À la barre, la sœur aînée de Catherine de Conto raconte cette petite sœur (4 ans d’écart), plus ouverte qu’elle, enfant, mais qui adulte a enchaîné « les galères », et échouait en permanence à parvenir à la vie que menaient ses sœurs : une famille, une maison. La psychologue hier a insisté sur le banal conformisme de cette femme qui enfouissait tout ce qui pouvait contrarier ses efforts pour « donner le change ». La sœur remarque incidemment que, finalement, Catherine était dans la répétition de ses difficultés.
« Il manifestait quelque chose de l’ordre de l’insécurité »
Et ce fils ? Sa tante témoigne : « Il donnait tout le temps des coups de pied à sa maman, quand il était petit. » La présidente traduit : « Il manifestait quelque chose de l’ordre de l’insécurité. Quelque chose n’allait pas, pour lui. » La maman se tourne vers des professionnels : orthophonie et centre médico-psycho-pédagogique. Mais, observe la présidente : « L’étape numéro 2, c’est : je réfléchis, et je me demande ce qui ne va pas chez moi. » Cette étape n’a jamais existé, tout indique que l’accusée a toujours tout fait pour tenir le coup, sans se confier, sans aide psychologique, sans travail thérapeutique. Elle se dit « forte », ce que d’autres traduisent par « froide et fermée ». On sait que l’accusée prenait des antidépresseurs et des anxiolytiques, on sait qu’elle n’a jamais initié la moindre démarche psychothérapeutique pour se soigner, pour changer la donne, ou au moins l’infléchir.
Une usure, comme un éreintement, à court de ressources
Luca semblait néanmoins heureux. Tout le monde le dit. Sa mère, les années passant, ne l’était plus que par instants. Le témoignage du père de sa fille, puis du père « non confirmé » de Luca aident à dresser un tableau qui donne un peu de chair à des récits jusqu’ici plus osseux. Chair par intermittence toutefois, et plus du tout lors de l’interrogatoire de l’accusée, anesthésiée peut être par des anxiolytiques qui l’aident à tenir le coup pendant les longues journées du procès au cours desquelles on a beaucoup parlé d’elle comme si elle n’était pas là, ce qui donne toujours une impression étrange.
Pourquoi il n’était pas question qu’elle se suicide
Mais l’impression la plus étrange pourtant que dégage cette journée c’est qu’à force de disséquer des expertises et de recueillir des témoignages pour tâcher de comprendre comment il lui a été possible d’aller assassiner son fils, de sang-froid semble-t-il, puis d’organiser un théâtre par-dessus la scène de crime, de mentir au SAMU, de mentir à tout le monde, à tout le monde, vraiment, à force, le petit s’efface. Et c’est ainsi qu’elle peut, peu après 18 heures ce jeudi, prendre un air responsable et attentionné pour expliquer pourquoi il n’était pas question qu’elle se suicide : son oncle et sa tante ont un enfant qui s’est suicidé, « et ça, ça fait trop de mal à ceux qui restent. Je ne peux pas faire ça. »
« Parce que ça fait trop de mal à ceux qui restent »
Cette phrase ne provoque aucun remous dans la salle et pourtant elle vient d’une femme qui a avoué ce lundi avoir tué, de ses mains, un enfant. Son fils. Cette phrase est hors sol, complètement déconnectée, elle fait froid. Cette phrase surgit alors que trois juges, six jurés et deux remplaçants au cas où, un avocat général, l’avocate des parties civiles, lui font face. Dans la salle, sa fille, l’aînée, 26 ans, est présente. Et la mère vient dire, s’excusant auprès de ses proches d’évoquer publiquement ce qui fut si douloureux pour eux, que se suicider, c’était pas pensable, parce que ça fait trop de mal à ceux qui restent. C’est fou.
La phrase flotte dans la salle bercée par la nuit
Quelques minutes plus tard, l’avocat général, Clémence Perreau, revient sur le déroulé des gestes cette nuit-là, l’accusée semble craquer, envahie quelques secondes, puis se ressaisit. Sur les suites : « En fait, cette histoire, je la nourris dans ma tête, on me dit ‘t’es pas capable de faire ça’, alors... » La présidente reprend les éléments de vie exposés par les différents témoins aujourd’hui. L’accusée parle d’elle, calmement, mais cette phrase… Son suicide n’était pas possible parce que ça, « ça fait trop de mal à ceux qui restent », la phrase subsiste, elle est là, elle flotte dans la salle bercée par la nuit, le grésillement des néons, et la voix de l’accusée qui raconte sa vie.
Ça ressemble à la vie, mais c’est un simulacre
Cette phrase signe à la fois ses carences et son souci de paraître humainement investie (conforme à ce qui est convenable), mais un souci plaqué, comme les photos et les décorations sur les murs et la porte de la chambre du petit, « qui semblent plaquées » disait la présidente : ça ressemble à la vie, mais c’est un simulacre. Cette phrase contient toutes les expertises psy versées à la procédure, cette phrase raconte comment son moi social (ne pas se suicider parce que ça fait trop de mal aux autres) est « complétement opposé », disait madame Laurent hier, à son moi intime (j’ai assassiné mon petit). Bien sûr, c’est son moment, le moment du procès pendant lequel elle se raconte et n’est plus ramenée à n’être qu’une criminelle. D’ailleurs elle n’est pas réductible à cela, mais elle est jugée pour cela. Alors vient obstinément se superposer à cette phrase incroyable, et comme pour empêcher son oubli, le corps du petit, cet enfant sacrifié.
Florence Saint-Arroman
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