Chalon sur Saône

Le quotidien au commissariat de Chalon sur Saône (2) : l’accueil et le groupe d’appui judiciaire
 « Ils rencontrent toute la misère du monde »

Le quotidien au commissariat de Chalon sur Saône (2) : l’accueil et le groupe d’appui judiciaire
 « Ils rencontrent toute la misère du monde »

« Ils rencontrent toute la misère du monde » dit le commissaire Pic. De plus, la première image qu’a le public de la police, ce sont eux qui la donnent, les ADS, adjoints de sécurité, qui sont placés à l’accueil de l’hôtel de police. Lourde charge, donc, pour de très jeunes gens qui sont en apprentissage et dont la plupart visent l’école de police.

Ce mercredi 24 mars, du monde se presse derrière la porte, beaucoup sont convoqués par des enquêteurs, d’autres viennent pointer, certains voudraient déposer plainte, il leur faudra en expliquer le motif dès l’accueil, il n’est pas toujours facile à dire. 

Les locaux du commissariat de Chalon-sur-Saône souffrent, à l’instar de tous les commissariats de France, des ravages du temps. Des travaux de réfection ont redonné à certains espaces un coup de propre, et ce n’est pas du luxe. L’accueil, lui, pêche par exiguïté, et puisqu’il n’est pas question d’installer la police nationale dans de nouveaux espaces, eh bien il faut faire avec ce qui est : une confidentialité difficile, voire impossible, à respecter. Quand bien même on attendrait à l’extérieur, ceux qui sont en salle d’attente entendent presque tout, et la salle d’attente, on le voit, peut se remplir vite. 

Escroquerie aux tickets PCS

Se présente un homme d’environ 50 ans ou un peu moins. Une chemise fantaisie sous un blouson sobre, une grande enveloppe en kraft à la main. « Je viens déposer plainte, on m’a dit de revenir avec les justificatifs, j’ai toutes les photocopies », dit-il en montrant l’enveloppe. « Oui monsieur, une plainte pourquoi ? – Pour escroquerie. – Par internet ? – Oui. » L’ADS lui pose des questions de plus en plus précises pour circonscrire les faits, l’homme lui répond à voix de plus en plus basse. On lui faisait acheter des tickets PCS au bureau de tabac et il en communiquait le code. Ces tickets permettent de recharger des cartes de paiement anonymes et intraçables. « Mais ? Vous avez fait ce qu’on demandait ? – Ben, pour avoir une personne… - Pour une dame ? C’était pour une dame ? » Et le plaignant de lâcher dans un souffle, « oui ». Son préjudice, sur 3 mois ? 15 330 euros. « Il se faisait passer pour une femme qui devait venir chez moi. Je me suis fait avoir comme un con. » L’ADS ne commente pas. Il va voir avec son collègue, « parce que ça, c’est assez long ». 

« La plainte c’est le socle de l’enquête » selon un  officier de police judiciaire

Ce monsieur sera reçu par un des trois policiers affectés au GAJ, le groupe d’appui judiciaire. Ce sont « les plaintiers », les agents qui prennent les plaintes, ils sont rattachés à la BSU, la brigade de sûreté urbaine, le service des enquêteurs. Avant ce monsieur, on s’occupe d’une femme qui attendait. Son véhicule a été dégradé, le plaintier va avec elle constater les dégâts. Celui qui nous a reçu aime son poste. Un poste a priori ingrat et pourtant central, car le contenu de la plainte est crucial pour les suites, alors « on essaie d’y mettre un maximum d’éléments », et cela prend du temps. Au passage, les plaintiers ne font pas que cela, car le commandant Roux, chef de la BSU, leur a délégué ce qu’ils appellent « le petit judiciaire » : tout ce qui est contraventionnel, les non-paiements de pensions alimentaires, les vols à l’étalage, la non-présentation d’enfant, les enquêtes administratives pour acquisition d’arme.

La maxime du GAJ : « Pas d’infraction pénale, pas de plainte »

Ce jour-là, arrive un couple qui a eu un accrochage en voiture. Ils ont fait un constat mais l’autre personne n’en voulait pas, insistait pour que le constat raconte ce qu’elle avait décidé. Le couple dit qu’on les a menacés de les frapper, or cela ne constitue pas, dans ce contexte, une infraction. Pas d’infraction pénale, pas de plainte. C’est logique quand on y pense, mais on n’a pas tous ingéré le code pénal pour le savoir. Ce couple ne comprend pas qu’on lui oppose un refus. En revanche, pour signaler une difficulté ou un problème, on peut toujours faire une main courante (1).
Quand les conditions de commission d’une infraction ne permettent aucune enquête utile, c’est-à-dire sans aucune chance d’élucidation, la plainte est classée sans suite. Le procureur de la République, Damien Savarzeix, a dressé un tableau qui permet aux plaintiers de le faire eux-mêmes dans le cadre d’une instruction permanente, depuis octobre 2018, cela facilite leur travail.
Quand la plainte a des chances de suite, elle monte chez le commandant Roux (chef de la BSU, service enquêteur) qui les attribue à un OPJ (officier de police judiciaire) ou à un plaintier dans les cas qui s’y prêtent. Les plaintes sont ainsi redistribuées, affectées. « On n’est pas là pour vendre du rêve, insiste l’agent, on dit aux gens quand leurs plaintes ne peuvent pas avoir de suite. » La maison de la justice et du droit peut aider à orienter les justiciables, selon que leurs problèmes relèvent du pénal, du commercial, du civil, etc. Mais quand il y a infraction pénale, alors il faut déposer plainte, car certaines affaires se résolvent par rapprochement, on ne sait jamais. 

Les victimes de violences intrafamiliales

Les victimes sont à l’esprit de tous les policiers. Gradés ou pas, en tenue ou pas, ils en parlent tous, parce que leur mission quotidienne, c’est de protéger. « S’il y a violences intra-familiales, on regarde d’abord le caractère d’urgence, c’est-à-dire le danger auquel la personne est exposée. S’il y a péril, on priorise la mise à l’abri. La personne va rencontrer une des intervenantes sociales du réseau VIF municipal – dans le même couloir – qui s’occupe de sa prise en charge, puis on prend la plainte. Il faut deux ou trois heures, alors on bloque un créneau. Notre but : boucler tout ça dans les 24 heures. Nous, les victimes, on en prend soin. » La veille, à trois, ils ont pris 30 plaintes, c’est considérable, ils tiennent parce qu’ils s’entraident. Sans solidarité entre eux, ça ne marcherait pas. « Moi je kiffe le rapport humain. J’aime la procédure, j’aime acter, j’aime enquêter, poser des questions. Il y a des victimes qui me font monter les larmes aux yeux. » D’une manière générale les victimes sont orientées vers l’association France-victimes, ex-AMAVIP. « En France, il y a encore des pas à faire dans l’accompagnement des victimes. »

« J’ai un fils difficile, son comportement et tout, je l’ai mis dehors, je veux de l’aide »

Pendant ce temps-là, à l’accueil, on entend crier des jeunes hommes qui viennent d’être placés en garde à vue et qui essaient de communiquer entre eux, sans y parvenir. Les policiers y sont habitués. « C’est pas tout le temps comme ça, heureusement. » Un homme vient pointer dans le cadre d’un contrôle judiciaire, un autre vient également signer, il est assigné à résidence. Une avocate se présente pour un homme en situation irrégulière, placé en rétention, puis une femme, qui voudrait « voir l’assistante sociale », parce que « j’ai un fils difficile, son comportement et tout, je l’ai mis dehors, je veux de l’aide ». Elle sera reçue par l’intervenante sociale du VIF (2) qui va passer des appels et organiser rapidement l’étayage demandé, d’autant plus vite que le fils est mineur. 

Eclaircir ce qui est parfois exposé confusément

Une femme plus âgée commence par être claire, « je viens porter plainte », puis l’est beaucoup moins, « elle m’a traitée de sale p…, et ceux du dessous ont été frappés trois fois. » Il va falloir éclaircir ce fatras. Une autre maman voudrait voir « le policier qui s’occupe des affaires de mon fils. J’ai des informations à lui donner. » Son fils est soupçonné de faits très graves. Elle sera convoquée. Le téléphone sonne régulièrement. La sœur d’un gardé à vue vient récupérer le véhicule de son frère, on va demander au frère en question s’il est d’accord. Les cris émanant d’une des cellules de garde à vue ne cessent pas. On va jeter un œil sur les écrans des caméras, dans la salle de poste, juste derrière l’accueil : en R16 (nom de la cellule), un homme, son masque sur sa tête, crie, beugle, tape sur la porte. Il génère à lui tout seul un stress diffus et constant. On va passer dans cette aile du bâtiment, où cohabitent le poste, les cellules, la salle de pause, la salle d’entretien avec l’avocat. 

Florence Saint-Arroman

(1) Sur la différence entre une plainte et une main courante : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F11182
(2) Réseau VIF : https://www.info-chalon.com/articles/2018/02/07/35675/Une-histoire-de-personnes-de-rencontres-et-de-respect

A suivre, Le quotidien au commissariat (3) : le poste et les gardes à vue