Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Six heures d’audience pour de très jeunes trafiquants

TRIBUNAL DE CHALON -  Six heures d’audience pour de très jeunes trafiquants

De Louhans, celui-ci se fournissait à Lyon, « parce qu’ici c’est beaucoup trop cher, à Lyon c’est large moins cher ! » Quatre très jeunes gens sont jugés pour un trafic de cannabis à la cité Saint-Claude, à Louhans.

Ils sont quatre, âgés de 18 à 20 ans. Seul le plus âgé comparaît libre (contrôlé judiciaire), les autres sont dans le box, en détention provisoire depuis le 30 avril dernier. Ils sont jugés, ce lundi 3 mai, selon la procédure de comparution immédiate pour trafic de stupéfiant, la prévention court du 11 août 2020 au 16 avril 2021. L’audience va durer 6 heures pour ce seul dossier.
Audience stups, audience de dupes, mais personne n’est dupe et surtout pas les magistrats. On croit reconnaître chez les prévenus une forme de jeunesse dans leurs réponses dont certaines font sourire tout le monde. Le plus âgé, ML, semble plus aguerri. D’octobre 2020 à janvier 2021, il se trouvait à Marseille où il trafiquait (10 000 euros sur deux mois, 400 euros de bénéfice par jour pour compléter son ARE de 900 euros par mois). Il fut interpellé, jugé et relaxé. Il dit qu’il s’en est saisi comme d’une chance de pas y revenir : revenu à Louhans il aurait tout arrêté. 

Départ de l’enquête : un contrôle pour tapage au pied d’un immeuble
Au départ de l’enquête, une intervention des gendarmes à la cité Saint-Claude, le 1er août 2020, à 1 heure du matin, appelés par des riverains parce qu’un petit groupe de jeunes fait du bruit au pied d’un immeuble. Dans le survêtement de MH, lequel se trouve dans le box : 8,12 grammes de cannabis, et 560 euros en petites coupures. Dans son téléphone, des photos de liasses de billets, des vidéos qui montrent des pains de cannabis, etc., mais aussi des notes qui tiennent des comptes, avec des noms, des sommes. Une enquête démarre, les enquêteurs exploitent la téléphonie, les mises sur écoute, entendent des acheteurs. Lundi dernier, on interpelle.

De la cocaïne chez V. fait l’objet d’une autre procédure
Le second prévenu, V, 19 ans, n’a « rien à voir du tout avec les autres ». Certes il deale, mais mène ses affaires, comme il dit, tout seul. « Sinon on a des problèmes, les gens parlent. » Il a jeté de la cocaïne par la fenêtre, quand les gendarmes sont venus perquisitionner : contraint de faire la nourrice, dit-il. La cocaïne fait l’objet d’une autre procédure. Comme quoi on peut avoir des problèmes quand même dans ces circuits qui sont surtout des circuits à problèmes, de toute façon. Il ne vend pas vers le lycée « parce qu’il y a toujours les flics, là-bas », il ne vend qu’au H. Ce bâtiment qui a donné son nom à une petite bande. 

 « Ben rien, on se pose, on joue au foot, normal, quoi »
La bande du H est réputée, là-bas, même si « ben rien, on se pose, on joue au foot, normal, quoi ». Les déclarations semblent souvent improbables, la présidente Caporali enchaîne les questions sans leur laisser le temps de souffler, elle s’étonne des contradictions, des invraisemblances aussi, « vous comprenez qu’on ait du mal à croire que... ». Au bout d’une heure trente, on en est toujours au second prévenu, c’est dire. Il explique comment, de 10 joints par jour qu’il ne payait pas mais qu’il « grattait », il est passé à 3 joints par jour et pourtant s’est mis, là, à revendre, « mais juste pour ma conse ». Que personne ne trouve ça cohérent ne change rien à sa position. 

A Louhans on paie cher son cannabis
Avec le 3e prévenu, E, on acquiert deux convictions : à Louhans on paie cher son cannabis, et à Louhans, on gratte beaucoup, aussi. Ce garçon plaide pour lui-même avoir revendu faute d’argent à la maison. Il fut contacté par Snapchat, « y a des propositions à plein de gens en même temps, comme ça ». Jugé en mars avec deux des co-prévenus (V et ML) pour des violences aggravées, il dit que ça l’a définitivement calmé. « Mes parents étaient dans un état pas possible, et j’ai même pris contact avec le Kairn parce que j’arrive pas à me passer de mes joints du soir, pour dormir. » 

« Ma mère était au courant, oui, mais elle me disait `T’es majeur, démerde toi’ »
L’audience est compliquée. La présidente connaît très bien le dossier et creuse les questions des liens entre les uns et les autres, y compris avec des personnes nommées dans l’enquête, pas inquiétées dans ce dossier mais qui sait. Entre mensonges et déclarations sincères sur leurs vies, leurs amitiés d’enfants, les petits gars de la cité se défendent comme ils peuvent. « Ma mère était au courant, oui, mais elle me disait `T’es majeur, démerde toi’. » Des heures plus tard, celui-ci dira qu’au contraire elle lui a toujours dit d’arrêter. Cette femme envisagerait de déménager pour couper son fils de ses fréquentations, de ce méchant milieu. Aujourd’hui il travaille, « il est une aide importante à la maison ».

Et encore les problèmes d’audition des enquêteurs !
L’interrogatoire du 4e, MH, 18 ans, est long et corsé parce que visiblement il avait une activité de trafic importante. Lui, il se fournissait à Chalon, à la gare, vers « Sofiane ». E soutenait ne pas connaître ce MH qui est assis juste à côté de lui, pas davantage qu’un certain « Sosa » dont le nom revient souvent dans la procédure. Mais, non, non, il ne voit pas, d’autant que c’est sans compter les problèmes d’audition dont semblent frappés tous les enquêteurs de France, qui, à force de mal entendre, écrivent n’importe quoi n’importe comment. Pourtant, lui dit la présidente, « Sosa, c’est le pseudo de MH sur Insta ».

« J’vais arrêter d’faire d’la merde »
Il est 18h30 et la comparution immédiate est loin d’être terminée, le tribunal aborde ce qu’on appelle « la personnalité » des prévenus. Présidente et procureur confrontent les jeunes à leurs résolutions (« J’vais arrêter d’faire d’la merde »). Ils sont jeunes, ont de petits casiers, jeunes eux aussi, mais leurs activités de trafic ne font aucun doute et l’on sait qu’il est difficile d’arrêter, d’en sortir, et aussi de se sevrer puisque consommer contraint à acheter, acheter oblige à être en contact, le cercle est très piégeant. 

« Il y a bien eu trafic de stupéfiants avec la bande du H »
Anne-Lise Peron, substitut du procureur reprend tout ce qui est à charge contre chaque prévenu, éléments de l’enquête, auditions des consommateurs. Elle distingue les niveaux de participation des uns et des autres, remarque que celui qui se trouvait à Marseille d’octobre à janvier n’a certes pas été actif à Louhans sur cette période, alors même qu’il reconnaît lucrativement trafiquer alors sur Marseille, mais le tribunal n’est pas saisi pour ces faits-là. Bref, « il y a bien eu trafic de stupéfiants avec la bande du H, et c’est grave. Le trafic trouble l’ordre public, alimente une économie souterraine. (...) La justice doit être ferme, et sévère, il faut que ce trafic qui dure depuis plusieurs années cesse. Car vu ce qu’ont donné les peines de sursis probatoire par trois d’entre eux on peut douter du sens que cela a eu pour eux. »

« Il a violé le cadre de son sursis probatoire dès le lendemain de sa condamnation »
Elle requiert contre MH, casier vierge (il est majeur depuis le 16 janvier), une peine de 12 mois de prison avec maintien en détention. Contre E., « son nom ressort le plus souvent », « il a violé le cadre de son sursis probatoire dès le lendemain de sa condamnation », une peine de 12 mois avec maintien en détention et révocation de 4 mois du sursis probatoire de mars dernier. La même peine est demandée contre V., membre actif de la bande du H. A l’encontre de ML, elle requiert 8 mois de prison et révocation du SP de mars dernier à hauteur de 4 mois.

« C’est leurs conditions de vies qui les unit »
Il est 19h30. Quatre avocats vont plaider pour leurs jeunes clients. Maître Pépin s’y colle en premier pour ML, revenu sur Louhans mi-janvier 2021. « Dans ce dossier, on s’interroge sur le rôle de son cousin. » Maître Öztürk prend la suite, pour MH, concerné sur une période de 3 mois (à partir du jour où il est devenu majeur), qui « reconnaît les faits » mais « c’est leurs conditions de vies qui les unit. Lui il ne vit pas au H mais dans une maison pour éviter justement les problèmes ». En fait ça commence quand il arrête sa scolarité, sauf qu’à chaque contrôle on ne trouve jamais du produit à être vendu sur lui, donc « beaucoup d’apparences contre lui ». 

« On voit bien qu’il veut faire le malin, frimer »
Le parquet désigne MH comme la tête du réseau, or, observe maître Özturk, « sur toutes ses photos on voit bien qu’il veut faire le malin, frimer », « il est très centré sur lui-même ». « Se faire payer par des virements ? A-t-on déjà vu ça dans un trafic ? Il faudrait être le dernier des idiots... » Oui, toute sa famille est très gentille avec lui. Pourquoi ? Pendant toute son école primaire, de 2005 à 2009, son instituteur l’agresse, des agressions sexuelles. On ne sort pas indemne de ce genre de vécu. La personne qui en avait la responsabilité l’a trahi. Vous ne pouvez pas comme ça le mettre directement en prison, il faut lui faire confiance, pour qu’il reprenne confiance. »

« 230 euros, 100 grammes, et 15 à 16 consommateurs pour 4 prévenus »
Maître Duquennoy, pour V., « rappelle quelques chiffres » : « chez mon client, 230 euros, 100 grammes, et 15 à 16 consommateurs pour 4 prévenus » ... L’avocat demande au tribunal de respecter les proportions de tout, et d’individualiser les peines. Chaque avocat évoque un « père jo » ou « Perrejaud », ou quoi que ce soit qui se prononce ainsi, qui occupe une belle place dans la procédure « et qui pourtant n’est pas là ». 

« Sa mère a du mal à joindre les deux bouts, eh oui, ça marque ! »
A 20h15, maître Vaucher ferme la marche pour E. « De bonne foi, il a reconnu les infractions, mais il est lui-même consommateur, pourtant, pour le ministère public tout le monde a un rôle central, même lui, chez qui on n’a pas trouvé de numéraire ni de drogue. » « Perjo » revient dans la boucle, désigné comme un fournisseur, « mais il n’est pas là ». « Oui c’est la vie du quartier et sa loi c’est de ne rien dire. Chacun traficote tout seul dans son coin. Il voit son meilleur ami mourir, sa mère a du mal à joindre les deux bouts, eh oui, ça marque ! (...) Et là, maintenant il travaille, il dit ‘je gagne fièrement 800 euros’, donc l’effet recherché par la condamnation de mars, il est là. »

21 heures, le tribunal rend ses décisions
ML est relaxé pour la période d’août au 16 janvier 2021, déclaré coupable du surplus, condamné à une peine de 6 mois de prison aménagée ab initio en détention à domicile sous surveillance électronique.
V. est condamné à une peine de 8 mois de prison et à une révocation de 3 mois du sursis probatoire de mars dernier : 11 mois en tout, il sera convoqué par le juge de l’application des peines. Il lui est interdit de paraître sur la commune de Louhans pendant 2 ans.
« Compte tenu de l’ampleur et de la durée du trafic » : 2 incarcérations (16 mois et 10 mois)
E. est condamné à 12 mois de prison, avec son maintien en détention, et 4 mois de son sursis probatoire sont révoqués, le tribunal ordonne son incarcération immédiate : 16 mois au centre pénitentiaire. Le gosse (il est né en 2002) prend sur lui mais il est soufflé, la sanction a un côté game over qui le scotche, il ne s’y attendait.
MH est condamné à 18 mois de prison dont 8 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec obligations de travailler, de suivre des soins en addicto, interdiction de contact avec les co-auteurs. Maintien en détention pour la partie ferme. Il encaisse, lui aussi, lui qui ne pensait pas « être attrapé en tant que majeur ».

Florence Saint-Arroman