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L'épée de Damoclès nommée réchauffement climatique s'abat de plus en plus pesamment sur notre tête...

L'épée de Damoclès nommée réchauffement climatique s'abat de plus en plus pesamment sur notre tête...

Déjà vieux serpent de mer aux antipodes de l’arlésienne, le réchauffement climatique n’en finit pas de provoquer moult remous. L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), cramponnée à son bâton de pèlerin afin de pouvoir amplifier la dynamique de la bagarre contre la dégénérescence du climat dans les territoires, positionne les collectivités locales au premier plan. Interview pour info-chalon.com de Patricia Dubois.

En quoi consiste votre fonction ?

«Je suis chargée de mission Territoires et Adaptation au Changement Climatique. L’objectif, c’est de pouvoir accompagner les collectivités locales dans leur stratégie de transition écologique, et plus spécifiquement sur leur stratégie d’adaptation, c’est-à-dire d’anticipation des effets du changement climatique à leur échelle. »

Comment se comporte la Bourgogne Franche-Comté en termes de changement climatique ?

« C’est une question vaste ! Quand on parle de changement climatique, en fait on parle de climat, et quand on parle de climat il faut regarder dans le rétroviseur, et notamment les trente dernières années au minimum pour voir les tendances climatiques. C’est le travail qu’on a mené l’an passé avec l’association Alterre-Bourgogne Franche-Comté, dans le cadre d’une publication qui s’intitule : « Les temps changent en Bourgogne-Franche-Comté, adaptons-nous », qui nous a permis de mettre en lumière les tendances climatiques passées sur la région Bourgogne-Franche-Comté. On a pu observer deux choses qui sont tangibles, c’est que les manifestations du changement climatique sont d’ores et déjà présentes, et on observe une accélération des phénomènes climatiques à l’échelle de la Bourgogne-Franche-Comté. Pour vous donner quelques indicateurs qui sont assez intéressants à mettre en lumière, on a une hausse moyenne des températures depuis 1961 de plus d’ 1,2° C  à l’échelle de la Région Bourgogne-Franche-Comté, et en termes d’événements intenses, on a observé une intensification et une accélération du nombre de vagues de chaleur notamment depuis vingt ans. On en a eu à peu près trente-cinq durant ce laps de temps, et on en a eu dix-neuf ces dix dernières années. Il faut noter que ces vagues ne sont plus uniquement limitées à la période estivale juillet -août, mais on commence à observer des canicules au mois de juin pendant la période d’activité. En 2019 il y a eu le décalage du Brevet au niveau national pour cause de canicule. Donc on observe bien qu’il y a des manifestations de plus en plus fréquentes, et de plus en plus intenses.

On constate cette accélération du phénomène, en égard aux arrêtés « Sécheresse » qu’on a pu observer ces quatre dernières années, de plus en plus précoces, et de plus en plus intenses.

Depuis 2017 on est en arrêté « Sécheresse » tous les ans. Ces quelques éléments permettent de circonscrire ce que l’on a pu observer dans le cadre des travaux menés l’an passé, qui mettent bien en évidence que le changement climatique est présent. Il faut noter que tous les domaines d’activité sont concernés, avec plus ou moins d’intensité, mais en fait on note des impacts et des vulnérabilités fortes au niveau régional sur tous les sujets. Sur les écosystèmes naturels on a entre autres pu observer le développement de certains parasites ravageurs, je pense notamment aux scolytes sur les sapins et les épicéas en 2019 ; on a eu le dépérissement de milliers d’hectares d’hêtres suite à la sécheresse de 2010 également. Ca, c’est sur la partie écosystème, la forêt, la biodiversité sont impactées et vulnérables. Nous avons aussi observé sur les activités économiques des conséquences et des vulnérabilités fortes sur le milieu agricole, qui est quand même l’ADN de notre région avec des sécheresses agricoles de plus en plus intenses.

Ceci impacte notamment l’action fourrage  notamment pour les vaches, et on a eu une augmentation des coûts de fourrage par exemple pour les AOP de lait de montagne, des charges supplémentaires pour les agriculteurs obligés d’acheter du fourrage. On parle du deuxième hiver,  Il faut faire des réserves pour l’hiver, mais aussi pour l’été, puisqu’on n’a plus accès à l’herbe en continu. Pour la partie viticole, et le Grand Chalon est concerné, avec une avancée de l’ensemble des stades phénologiques de la vigne. Du débourrement à la véraison jusqu’à la date des vendanges, on remarque de sept à douze jours d’avance depuis 1987. Au sujet de l’activité touristique, ça ne concerne pas spécifiquement le Grand Chalon, mais on constate néanmoins l’assèchement de certains cours d’eau,  de plus en plus fréquent et de plus en plus long. Notamment à la lumière de ce qu’on a pu observer sur la rivière du Doubs, qui a été asséchée pendant près de quatre-cinq mois en 2018 sur près de quatorze kilomètres.

En termes de paysage c’est un marqueur fort, et puis en termes d’impact sur la biodiversité aquatique, la baisse des débits a un impact également sur les activités et la navigation sur certains cours d’eau. Ce sont des illustrations de la manifestation des événements climatiques en région. Sur la santé humaine, on a pu observer des augmentations de pathologie importantes liées à la chaleur et à la canicule, qui touchent principalement les personnes fragiles, mais aussi  de plus en plus de personnes : coups de chaud, déshydratation, la capacité de récupération de nos organismes est mise à rude épreuve. »

 Et par rapport aux autres régions françaises ?

«Si on regarde les tendances nationales, on est tous sur le même constat : l’observation de l’accélération des phénomènes du changement climatique. La Région est beaucoup plus sensible sur la pragmatique des sécheresses agricoles, et notamment les sensibilités par rapport à la disponibilité de la ressource en eau, puisque l’on est en tête de trois bassins versants de l’Agence de l’eau. C’est peut-être notre marqueur, notre spécificité par rapport aux événements liés à la sécheresse qui vont globalement plus nous toucher demain. Si on regarde clairement plus vers l’avenir, quand on regarde ce qu’il va se passer, on sait concrètement à quoi s’attendre à peu près.

On connaît la nature des phénomènes, globalement on sait qu’il va faire plus chaud, qu’ il y aura moins d’eau dans les cours d’eau ; il y aura une conséquence sur la ressource, que ce soit en termes d’approvisionnement en eau, et sur la biodiversité aquatique. A titre d’illustration, on a fait ce qu’on appelle un analogue de température, à savoir quelle ville correspond au climat qu’on peut observer.

On a estimé, selon les scénarios du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), que la température de Lons-le-Saunier en 2100 correspondrait à celle de Narbonne aujourd’hui…Là où on a une incertitude, c’est sur l’intensité des phénomènes. Ca va dépendre de nos activités actuelles. On sait ce qu’il va se dérouler, mais on ne sait pas à quel niveau ça va arriver. Voici ce que l’on peut retenir des travaux menés en région. »

Est-il encore possible de contrer ce qui semble inéluctable, depuis le temps que d’aucuns crient au feu ?

« Oui, je donne souvent l’image, parce qu’elle est assez parlante, du Titanic, pour expliquer que face à l’iceberg, quand on voit que ça devient inévitable, il faut un petit peu de temps pour modifier la trajectoire, c’est un peu difficile à manoeuvrer.

L’inertie du paquebot, par rapport à l’inertie climatique, elle est longue, et c’est pour ça que l’image du Titanic, ce qu’il faut garder en tête c’est qu’il faut d’ores et déjà et dès à présent des mesures très fortes et soutenues sur la réduction de la consommation d’énergie, sur nos émissions de gaz à effet de serre. Il faut travailler sur la sobriété énergétique à toutes les échelles, que ce soit les particuliers, les entreprises, les collectivités, et bien évidemment en parallèle, anticiper les conséquences  du changement climatique, c’est-à-dire de pouvoir avoir des mesures de long terme pour améliorer notre résilience. Toute la spécificité du changement climatique, c’est que les actions d’atténuation que l’on porte aujourd’hui auront des leviers et des conséquences dans quelques années. On a une inertie climatique qui fait que nous devons être dans l’anticipation, c’est le signal prioritaire. Adaptons-nous. »

Où le bât blesse-t-il le plus, autrement dit y a-t-il un point plus sensible qu’un autre ?

«La réponse est multifactorielle, il va falloir agir à tous les niveaux, il n’y a pas de petits gestes, à l’image du colibri, tous les gestes comptent. Les entreprises, les collectivités, qui ont un poids très conséquent sur les choix d’aménagement, les consommations de la ressource en eau, ont un rôle en termes de planification, d’anticipation.

C’est ça qui est intéressant quand on travaille avec cette cible-là, c’est qu’en travaillant sur l’aménagement de nouveaux quartiers par exemple, on peut agir sur la réduction de l’imperméabilisation des sols, ce qui permet une meilleure infiltration des eaux pluviales dans le sol, un meilleur rafraîchissement au niveau des centres-villes. On a des leviers à toutes les échelles, et également au niveau des particuliers. La sensibilité, la spécificité de notre Région, ça va être sur l’enjeu de la ressource en eau, et puis sur notre capacité à modifier nos centres urbains, qui sont très sensibles à la chaleur, ainsi que les activités économiques à travers les activités agricoles. Tous les domaines d’activités sont concernés, de près ou de loin par ce sujet.»

 Sur quoi, sur qui compter pour juguler la dérégulation de l’anomalie climatique ?

« A l’ADEME on a un rôle multiple, on accompagne l’ensemble des dynamiques de transition à toutes les échelles. On travaille plus spécifiquement avec les collectivités dans la démarche d’accompagnement de leur stratégie d’adaptation et d’atténuation au changement climatique, car elles sont en première ligne avec des aménagements au niveau des politiques publiques, que ce soit la gestion de l’eau, des déchets, des infrastructures. Elles sont au cœur des actions, et ce sont elles aussi qui ont les leviers majeurs pour modifier, en tout cas adapter au mieux leur territoire au climat.

En Bourgogne-Franche-Comté, notre rôle c’est de vraiment pouvoir accompagner les collectivités dans l’élaboration de leur politique. Notamment sur l’adaptation au changement climatique, on travaille sur l’élaboration de diagnostics de vulnérabilité, ce qui permet aux collectivités, à une échelle plus locale, d’identifier les zones de sensibilité, et de pouvoir construire une stratégie avec un  programme d’actions dédiées. Pour ça on a développé au niveau de l’ADEME plusieurs outils d’accompagnement, en particulier une démarche qui s’appelle Trajectoire d’adaptation au changement climatique, qui permet d’outiller les collectivités et les élus dans cette démarche de priorisation et d’identification des vulnérabilités prioritaires au niveau de leur échelle. » 

Existe-t-il des motifs d’espoir ?

« Oui, bien sûr, il faut garder espoir. Après, je pense qu’il faut avoir des mesures fortes dès à présent, rester mobilisé. L’accélération des phénomènes du changement climatique met en visibilité, d’autant plus lorsque l’on parle de changement climatique on observe de plus en plus de signaux locaux. On a tous vu une forêt en dépérissement, certains cours d’eau qui commencent à s’amoindrir, ces signaux permettent de mieux sensibiliser et de mieux mobiliser.

On note quand même une forte mobilisation ces dernières années autour du changement climatique, en égard  aux accords de Paris qu’on  a pu observer, les marches pour le climat qui sont de plus en plus présentes, donc  une forte mobilisation citoyenne, une sensibilisation beaucoup plus forte des élus. Quand on parle avec les collectivités qui sont en renouvellement de leur mandat politique aussi, on a des élus qui sont beaucoup plus sensibles à ces questions de climat. Nous ne pouvons qu’être optimistes sur notre capacité à faire réagir collectivement, et surtout notre capacité de mobilisation pour les années à venir. »

 Scepticisme ou force d’inertie à droite et à gauche (grand public, élus…), y a-t-il un adversaire plus coriace ?

«On note à l’ADEME une modification de la prise de conscience avec une observation vraiment locale des effets du climat. On a tous, ces dernières années, soit subi  une vague de chaleur, une canicule, soit observé des épisodes typiques, comme la gelée tardive dans les vignes. C’est une manifestation du changement climatique, on a eu un hiver plutôt doux, un printemps précoce qui a permis à la végétation de se développer beaucoup plus tôt, et qui a renforcé d’autant plus la vulnérabilité à l’épisode de froid et de gel. Je pense qu’il y a vraiment une modification de la prise de conscience, au niveau des particuliers également.

La marche citoyenne pour le climat, des manifestations de plus en plus intenses, des mobilisations locales avec des particuliers qui se mobilisent dans des réseaux associatifs. Au niveau de la dynamique citoyenne dans le Grand Chalon la collectivité se mobilise à travers son plan climat sur ces sujets d’adaptation au changement climatique. Je pense notamment au travail qu’ils ont pu mener sur la lutte contre le ruissellement pluvial avec une étude de ruissellement global qui permet d’anticiper les événements de pluie intense, et puis tous les travaux qu’ils mènent actuellement sur l’adaptation résiliente de leur espace public avec  la réduction des îlots de chaleur en centre-ville. Ils ont travaillé sur la désimperméabilisation de douze cours d’école à peu près. Il y a un vrai programme de travail et une vraie dynamique de fond autour de ces enjeux d’adaptation au réchauffement climatique. »

 

Crédit photo : DR                                                                             Propos recueillis par Michel Poiriault

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