Chalon sur Saône

Femmes à l'Honneur [Portrait 15] - Véronique Bordereau : "Je suis née à Autun, la même année que la 5è République... Madonna et la Schtroumpfette !"

Femmes à l'Honneur [Portrait 15] - Véronique Bordereau : "Je suis née à Autun, la même année que la 5è République... Madonna et la Schtroumpfette !"

Après avoir choisi pendant quinze ans de faire des remplacements en tant que « Brigade » - "Quel terme choisi !" s'exclame-t-elle - elle reprend une classe fixe où elle travaille avec vingt-cinq enfants de trois et quatre ans dont c'est, pour la plupart, l'entrée à l'école et donc dans la vie sociale.

Véronique Bordereau aime tout ce qui est beau : "La littérature – les livres sont des amis fidèles - la musique (baroque et contemporaine), la peinture et l'architecture. Le cinéma et le théâtre un peu moins - moins d’éblouissements depuis quelques années. Sans oublier la gastronomie et les beaux objets. Je suis mélancolique tendance ironique, voire anarchiste", nous précise-t-elle en riant.

Que représente pour vous la journée de la Femme ?

Elle ne devrait pas avoir besoin d'exister mais est malheureusement toujours d'actualité. 

L'un des principaux combats est celui contre les religions monothéistes, dont le point commun est depuis toujours l'asservissement et le contrôle du corps des femmes. On l'a constaté dans l'histoire et on le constate encore hélas aujourd'hui.

Ce qui m'est le plus incompréhensible ce sont les violences faites aux femmes également par d'autres femmes : excision, maltraitance gynécologique (avec par exemple le « point du mari », ce geste clandestin qui consiste à recoudre une épisiotomie par quelques points de suture supplémentaires et est supposé accroître le plaisir de l'homme lors des rapports sexuels, faisant de la femme un objet et niant sa propre sexualité).

Au long de votre vie ou de votre carrière, avez-vous vécu des inégalités hommes/femmes ?

Durant mon enfance les petits garçons et les petites filles n'avaient pas les mêmes libertés, ni ne suscitaient le même intérêt. Nous étions destinées à être de bonnes ménagères, tout au plus avec un métier d'institutrice car les horaires étaient compatibles avec les tâches domestiques et familiales...

Aujourd'hui il est toujours délicat pour une femme de prendre un verre au comptoir dans un bar - j'adore être au comptoir, mais il m'est arrivé d'être avec une ou des amies dans une salle comble, celles-ci refusant de s'installer sur les tabourets au bar... Crainte du regard des autres ? De passer pour une « femme de mauvaise vie » ? Il y a encore du travail à faire en nous-mêmes...

J'ai aussi souvent ressenti une espèce de discrimination envers les femmes qui n'ont pas été mères, qui n'ont pas rempli leur quota de perpétuation de l'espèce, nommées joliment des « nullipares » ... Je me dis parfois qu'en d'autres temps j'aurais peut-être été brûlée comme sorcière...

Heureusement, on a supprimé depuis peu des formulaires légaux le  « Mademoiselle ». Il était plus que temps... Avons-nous jamais appelé un homme célibataire Mondamoiseau ?

Je suis plus que sceptique sur la parité imposée par la loi. On en a vu les effets pervers avec les « jupettes ». Choisir une femme parce qu’on y est obligé et non pour ses qualités me paraît totalement contreproductif. C'est un travail en profondeur dans les mentalités et depuis le plus jeune âge qui est à accomplir. Boris Cyrulnik avait observé dans une maternité que les jeunes mères ne touchaient pas leur bébé de la même façon selon qu'il s'agissait d'un garçon ou d'une fille...

Quelle est votre devise ? Votre philosophie ?

Dans le contexte socio-politique national et international actuel, me vient souvent la citation de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait. » Seul l'espoir en un monde meilleur peut nous sauver. Nous sommes la première génération à ne pouvoir espérer pour nos enfants une vie meilleure que la nôtre, à craindre pour eux un avenir plus sombre. C'est dramatique.

Sinon, inscrite à mon fronton celle de Jean Cocteau : « La frivolité est la plus jolie réponse à l'angoisse » ou « L'humour est une disposition d'esprit qui fait qu'on exprime avec gravité des choses frivoles et avec légèreté des choses sérieuses. »

Ma philosophie : ‘Être ce que l'on est vraiment’ et ne pas se soumettre à l'image que votre entourage a de vous ou à ce qu'il veut faire de vous. C'est un combat quotidien.

Que défendez-vous ?

L'Humanité avec un grand H dans le sens des humanistes du Siècle des Lumières, le droit à la différence. Déjà s'accepter tel que l'on est pour ensuite être capable d'accepter l'autre avec ses différences.

Que voulez-vous transmettre ?

La culture, bien sûr. « L'élitisme pour tous » pour reprendre l'expression de Jack Ralitte.

Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ?

Le respect n'est pas chose naturelle chez tout le monde, contrairement à ce que j'ai longtemps cru. Se faire respecter est une construction de chaque instant, dans toutes les circonstances de la vie.

Quel est le meilleur conseil que vous ayez donné ?

Apprends à dire « non ».

Quelle est / Quelles sont les femmes qui vous ont le plus influencée ?

Je dirais plutôt qui m'influencent ou que j’admire en ce moment. L'an dernier j'aurais certainement pensé à d'autres, au gré du vagabondage de mes pensées et réflexions. En ce moment, je suis fascinée par Monique Pinçon-Charlot, sociologue et ethnographe de la haute bourgeoisie et des élites dominantes. Elle analyse leurs systèmes de caste et de reproduction. On la voit en ce moment affronter certains politiciens et démonter de façon très claire et intelligente leurs arguments fallacieux.

De par mon métier, Maria Montessori qui, dès 1907, fut l’une des premières à s’intéresser au monde intérieur de l’enfant, bien avant l’avènement des neurosciences et des confirmations, par imagerie médicale, de ses observations. Elle prônait le concept de bienveillance qui est au cœur des nouveaux programmes de 2015...

Les enfants entre trois et six ans sont des êtres particuliers, non pas des adultes en réduction. Ils arrivent toujours à me surprendre et à m'épater.

Et bien sûr, Christiane Taubira – tellement évidente que j'allais l'oublier... D’une intelligence et d'une dignité incroyables (elle l'a encore démontré dernièrement par son intervention sur France Culture). Je regrette beaucoup qu'elle ne se soit pas présentée à la présidentielle... Mais elle a déjà encaissé tant de coups bas, en tant que femme et noire...