Chalon sur Saône

Le théâtre, socle indéboulonnable de la vie de Daniel Russo, à Chalon le 8 février

Le théâtre, socle indéboulonnable de la vie de Daniel Russo, à Chalon le 8 février

Toutes les interviews ne se valent pas en termes de générosité, d’enthousiasme, d’empressement, de la part de nos interlocuteurs. On peut plus ou moins l’accepter et le comprendre, mais lorsque l’artiste se livre sans retenue en allant même au-delà de nos attentes, dans ce cas le feu roulant des questions construit pierre après pierre son édifice. Daniel Russo, on vient de parler de lui, se produira dans le cadre de la pièce des Théâtrales « Mariage et Châtiment », en compagnie de Laurent Gamelon en particulier, le jeudi 8 février à 20h, en la salle Marcel-Sembat de Chalon-sur-Saône. Interview pour info-chalon.com

Dans la vrai vie le mensonge ne porte pas systématiquement à conséquence, tandis que là…

«Vous savez, j’adore le mensonge, parce que c’est vrai que là dans la pièce le mensonge qu’il raconte est tellement énorme que ce n’est même pas une pièce sur le mensonge, c’est une pièce où il essaie de rétablir la vérité. Comme il dit, « le mensonge c’est dur, mais rétablir la vérité c’est terrifiant ». C’est-à-dire qu’il ment encore plus pour essayer de rétablir une vérité, il y a des gens comme ça. Par exemple, on peut tous mentir, même pour ne pas faire de peine à quelqu’un. N’avez-vous pas eu un jour dans votre vie quelqu’un qui a peint un tableau et qui vous le montre ? Vous ne trouvez pas cela terrible, et vous dites : »Ouais, c’est bien » (rires)… Quelqu’un qui vous dit : « Elle a acheté une nouvelle robe, regarde, comment tu la trouves ? » Comme la personne est tellement contente, on lui dit que ça lui va bien, même si on n’est pas trop d’accord ! On peut rendre service aux gens même avec le mensonge, mais ce sont des mensonges gentils, c’est rien, ça ne porte pas à conséquence, tandis que dans la pièce (rires) c’est terrifiant !»

 

Dans la salle, ne tire-t-on pas en somme une leçon de ce qu’il ne faut pas commettre hors de ce contexte?

« Quand je vois les gens après, ils sont quand même machiavéliques, parce qu’ils me disent qu’ils se demandent comment il va faire pour s’en sortir (rires), et donc ils sont témoins un petit peu d’un énorme menteur ! Une dame l’autre fois en sortant m’a dit : »Je vais vous dire une chose : mon beau-frère, eh bien c’est pareil ! » (rires). Donc c’est vrai que les gens ramènent tout à leur vie. C’est normal, parce que le mensonge fait partie de notre vie, évidemment. Que cette femme me donne l’exemple de son beau-frère, c’est quand même terrifiant ! «C’est un menteur invétéré, vous savez, Je ne le crois plus du tout », m’a-t-elle confié (rires) !   

 

N’est-ce pas une gageure que de faire rire d’un double malheur notamment, du fait de la destruction des deux couples ?

« Oui, mais les gens n’attendent que ça ! Comme ils sont spectateurs, ça ne les touche pas, c’est toujours pareil ! Regardez, à une terrasse de café par exemple. Essayez, j’ai fait le truc, de faire comme si vous alliez tomber, eh bien sur plusieurs personnes il y en a deux qui vont rire. C’est malheureux, parce que si vous tombez d’une certaine manière, les gens vont rire quand même, mais peut-être qu’après ils vont se raviser, car si la personne est vraiment blessée ils vont regretter d’avoir ri. Ca, c’est plutôt un réflexe, évidemment. »  

 

Où se situe la difficulté dans votre rôle, et quel en est l’aspect le plus jouissif ?

«La difficulté, c’est que je suis avec Laurent Gamelon qui me malmène, parce qu’à un moment donné il veut me jeter par la fenêtre et qu’il a une force incroyable. Il faut absolument que je résiste parce qu’il a une force, mais terrifiante, à un moment j’ai même failli y aller ! J’ai même demandé à ce qu’on mette un matelas derrière. On m’a répondu que ce n’était pas possible, alors j’ai dit : « Non, mais attendez, là j’ai failli y aller» ! J’ai dit à Laurent de faire gaffe. Ce qui est jouissif, ce sont les rires. Ca, c’est mon bonheur. Quand à la fin les gens se lèvent comme ça, qu’ils applaudissent en cadence, font des rappels, qu’ils ont la banane…C’est ce que je dis toujours : je fais office de médicament ! On amène du bonheur aux gens, ils me le disent après : « Oh là là, qu’est-ce qu’on a ri, on a oublié nos soucis, et tout.» Eh bien voilà, je sers à ça. Quand j’étais gamin, que j’essayais d’aller au cinéma ou au théâtre quand j’avais un peu de sous, j’oubliais tout, ça me faisait rêver. J’essaie un petit peu de prolonger ça avec les gamins, même aujourd’hui  je suis content lorsqu’il y a des jeunes dans la salle, parce que le théâtre c’est quand même assez cher, c’est embêtant. Vous savez, la dernière fois je jouais une pièce  à Paris, je dis bonjour à la caisse, car je dis bonjour à tous les gens du théâtre avant d’aller dans ma loge, et j’entends un gamin qui devait avoir 16-17 ans, dire à l’autre : «On a juste assez pour une place ». Ca m’a crevé le cœur, je suis allé à la caisse et j’ai payé deux places. Je suis arrivé vers les gamins, et ils m’ont dit : »Oh, Monsieur Russo, comment ça va ? Justement, on essayait de voir si on pouvait vous voir.» Je leur ai dit : « Ah ben justement, vous allez pouvoir me voir, car vous avez deux places. » Il était gêné, mais je lui ai dit : « Tu ne payes pas, voyons, tu entres dans la salle, tu te fais plaisir, voilà, c’est tout, c’est cadeau ! ».  A la fin de la pièce, le rideau est tombé, et moi derrière je regarde toujours mes accessoires comme ça avant de m’habiller ; je vois les deux gamins qui ont réussi à passer dans les coulisses, je n’oublierai jamais leur visage ! Ils m’ont dit : « Vous savez, c’est la première fois qu’on va au théâtre. Qu’est-ce que c’est bien ! Merci, Monsieur Russo ! «, ce à quoi j’ai répondu : « Ouais, mais essayez quand même d’économiser », c’est ce que je faisais quand j’étais gamin, et je comprends ça, bien sûr. Je ne savais pas que c’était la première fois de leur vie, c’est génial ! »    

 

Jouer avec Laurent Gamelon ne doit pas être d’une infinie tristesse ?

« Bien sûr que non ! On s’entend bien, c’est un vrai duo. Je dis : c’est Bud Spencer et Terence Hill ! C’est Trinita ! (rires)» 

 

Préférez-vous en règle générale desserrer le frein à main du rire, ou tutoyer la gravité pour faire couler les larmes ?

«C’est le rire, et c’est très difficile de faire rire, beaucoup plus difficile, même si de l’autre côté l’émotion aussi, ça n’est pas facile, parce qu’un film à émotion, et tout, mais enfin bon... Une belle comédie, il y a toujours aussi un peu de tendresse dedans. Provoquer le rire, pour moi c’est un réflexe magnifique. Je sens le rire qui arrive, et certains soirs ça peut mal se passer à une fraction de seconde près, parce que le rire c’est une fraction de seconde. J’ai travaillé avec les Jacques Fabbri, Michel Roux, Jean Le Poulain, Maria Pacôme, mais attendez, ce sont des métronomes. Si à la seconde tu n’as pas dit ton truc, tout ça, tu vois l’œil, ah là là je me faisais engueuler, et j’ai bien appris mon métier avec ces gens-là. Ils m’ont dit que je devais être à l’écoute du public, que c’est lui qui décide, ce n’est pas toi, tu n’es pas là pour jouer. Et j’ai toujours cette phrase dans la tête de Monsieur Michel Bouquet, qui dit toujours : »Le public il ne vient pas pour nous voir jouer, il vient pour jouer avec nous. » Donc, on est en relation constante, et il y a des comédiens comme ça qui d’un seul coup, quoi qu’il arrive, balancent leur texte comme ils le font d’habitude. Non, il y a un rire qui est plus long, on attend, on fait attention, parce qu’il faut qu’ils aient l’info de la phrase qui vient. Je me suis assez fait engueuler (rires) pour essayer de le transmettre aux autres. »  

 

Le cinéma, le théâtre, la télé, le doublage, les films d’animation, etc. votre carrière est riche en tous points. Avez-vous un ou des souvenirs inoubliables ?

«Ce qui m’a marqué à jamais, c’est toujours un petit peu les débuts, parce que j’étais au Conservatoire, et on avait passé les concours de sortie. J’ai deux souvenirs justement, dont l’un avec cette personne dont je vais vous parler, Jacques Fabbri, qui avait la Compagnie Fabbri. On attendait les résultats, j’étais avec Bernard Giraudeau, Jacques Villeret, mes potes. A un moment donné, je vois Jacques Fabbri qui s’avance, il dit bonjour à tout le monde, il s’adresse à moi et me dit : « Que vous ayez un prix ou pas, moi je m’en fous, je vous engage dans la Compagnie à la rentrée ! » Il me tend sa main. Comment j’ai pris sa main ?...Alors il me dit : »On se voit en septembre et on commence les répétitions »,  puis il s’en va. Villeret dit : »Ah là là t’es engagé, et t’as même pas de prix encore ! » (rires).  Et là, une heure après j’obtenais quatre prix ! Au moment où j’allais sortir, parce que Giraudeau disait qu’on allait fêter ça en buvant un petit coup, parce que lui avait aussi le premier prix, c’était extraordinaire, Jacques Fabbri était là et me dit : « Hé ! J’ai du pif, hein ! » (rires) L’autre histoire, c’est difficile à croire, mais elle est tellement vraie…c’est Jean-Paul Belmondo.  En deuxième année, on passe devant le jury pour être admis à concourir. Et moi, je m’étais dit : j’adore Belmondo, je vais voir ce qu’il a passé, puisqu’il était au Conservatoire. Je vois l’Ardent Artilleur de Tristan Bernard, et me dis que j’allais passer la même scène que lui. Donc ça se fait devant le jury, on s’en va, et Giraudeau et Villeret me disent le soir qu’on ne savait pas encore si on allait concourir, mais au moins qu’on allait bouffer ensemble. On va dans un restaurant. Qui entre ? Jean-Paul Belmondo !  Je dis : « Attendez, les gars, je ne peux pas ne pas aller le voir, j’ai passé sa scène de concours ! » Villeret me dit de ne pas aller l’emmerder, tandis que Giraudeau disait qu’il fallait que j’aille le voir, ce n’est même pas du hasard, ça ! J’ai dit : « Les gars il faut qu’on soit d’accord tous les trois, sinon je n’y vais pas. » Villeret a fini par dire : « Bon, ben vas-y ! » J’y vais, alors c’est l’enfer, la star, elle est là. Je lui dis : « Excusez-moi Monsieur Belmondo, je ne veux pas vous embêter… » Il me répond : »Non, non, pas du tout, qu’est-ce qu’il se passe ? » Je lui répond : « Je suis au Conservatoire en deuxième année, et j’ai passé l’Ardent Artilleur de Tristan Bernard. Il me fait : »Oh ! Est-ce que vous avez bien fait des coupures ? » C’est-à-dire ? Et il me raconte sa scène de concours.  Il me dit : «La bonne, il ne faut pas la faire entrer là où elle est, il faut la décaler. » Eh bien c’est ce que j’ai fait, on l’a décalée. « C’est exactement ça, c’est bon. » Alors c’est bon ? Il me dit alors : «Bon, ben merde, merde ! » Je suis devant un mec qui est tout simple, génial, sublime ! J’arrive à la table, et je dis : »Putain, il est génial ce mec ! Tu te rends compte, il te parle, te raconte sa scène de concours ! » Alors je ne suis pas reçu en deuxième année, donc pas admis à concourir. L’année suivante, où j’ai les quatre prix et Fabbri qui m’engage, Giraudeau dit : »Bon, allez, ce soir on bouffe. » On prend la voiture, et c’est vrai, un an après jour pour jour après le concours, il faut le faire, et au moment où on arrive sur le boulevard, je dis : «Il est là, Bernard ! » Belmondo était sur le trottoir. Il me fait : « Vas-y, l’année dernière  tu lui as dit que tu passais sa scène, et va lui dire que tu as les prix ! » J’arrive sur le trottoir. « Monsieur Belmondo, voilà, je ne voulais pas vous déranger, mais je vous ai vu l’an dernier parce que je passais l’Ardent Artilleur »…Il me fait : »Ah oui, oui, oui ! Alors ? » Ben, ils m’ont recalé…Il me répond : « Normal, comme moi. Ils n’ont rien compris à cette scène. Et alors ? » J’étais en troisième année, j’étais obligé de concourir, j’ai eu quatre prix. « Il me dit : « C’est génial, c’est mieux que moi, moi je n’ai eu qu’un accessit. » Après j’ai tourné avec lui, je lui ai raconté tout ça, et puis maintenant je le vois et je suis heureux de le voir, puisque son maquilleur est un de mes amis intimes. C’est une histoire incroyable, une histoire de fou ! Je l’ai vécue, à un an d’intervalle ce type est au rendez-vous de mon concours du Conservatoire. On ne peut pas faire mieux, mais comme disait Bernard, ce n’est pas du hasard, ça devait arriver… »     

 

Exercez-vous le plus beau métier du Monde ?

« Disons que j’exerce ma plus belle passion du Monde, c’est ma passion, j’en ai tellement rêvé ! Du jour où Robert Lamoureux m’a invité au théâtre, parce que je décorais son appartement, j’étais à l’Ecole Boulle, ça a bouleversé ma vie. J’ai eu ça pour la première fois de ma vie, je ne peux pas vous l’expliquer, c’est la même chose que lorsque j’ai rencontré mon épouse, c’est trop fort, c’est une alchimie. On ne peut même pas aller contre, ce n’est pas possible, c’est vital, ma femme aussi c’est pareil. Va savoir pourquoi Fabbri m’a invité ? Je joue cette pièce, et puis un jour un couple d’amis vient me voir. Je regarde à l’œilleton avant que l’on joue pour savoir s’ils étaient bien placés, et puis je ne sais pas pourquoi, je tombe sur une jeune fille blonde magnifique, je ne voyais qu’elle au milieu des sept cents personnes. Je dis à la femme de Fabbri : « Regarde comme elle est belle ! » Elle regarde, et me dit : «Tu es complètement fou, c’est une spectatrice qui est dans la salle, après le spectacle tu ne la reverras pas ! «Je me suis dit non, je ne sais pas pourquoi ! A la fin du spectacle, j’ai mes amis qui entrent en coulisses, elle les accompagnait…Quarante-trois ans plus tard je viens de dire au revoir à ma femme avant de venir à Poitiers (il jouait dans cette ville le soir même NDLR). Je rencontre ma femme parce que Fabbri m’a engagé aussi, ma vie part du théâtre ! Je suis toujours avec mon épouse, que j’aime de plus en plus, avec qui j’ai eu deux filles magnifiques, que j’appelle tout le temps, quand je suis dans le train, quand j’arrive à l’hôtel. C’est un moment sublime ! L’amour de ma vie, je l’ai eu par le théâtre aussi, donc par ma passion, c’est dingue ! »       

 

Avez-vous des projets artistiques en vue ?

« Oui, il y a encore des choses qui se préparent pour le théâtre, j’en suis très heureux. J’ai eu des appels tout à l’heure, les choses sont en train de se voir. J’ai deux-trois hypothèses, il est possible aussi que je reprenne à 19h la pièce avec Pierre Arditi, « L’être ou pas ». Jean-Pierre Mocky m’a appelé, il m’a dit qu’il fallait absolument que je vienne, et je lui ai répondu que bien sûr je viendrai, je l’adore. »

 

Où  prendre son billet ?

Il reste quelques places (à 37,00 euros et isolées les unes des autres) pour « Mariage et Châtiment », la comédie de David Pharao mise en scène par Jean-Luc Moreau. Points de vente : www.les-theatrales.com Office de tourisme et des congrès du Grand Chalon (03.85.48.37.97), FNAC –(www.fnac.com), Magasins carrefour (www.spectacles.carrefour.fr), Géant, Magasin U…

 

Photos DR                                                                               Propos recueillis par Michel Poiriault

                                                                                                 [email protected]