Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Un contrôle d'attestation de confinement qui part en vrille rue du Pont

TRIBUNAL DE CHALON - Un contrôle d'attestation de confinement qui part en vrille rue du Pont

Etrange personnalité, de celles qui vous mettent dans le malaise. En parlant de malaise, l’homme de 51 ans - à qui on en donne bien moins vu dans le rectangle de l’écran des visio -, soutient qu’il en a fait un, le 7 avril en fin de journée, quand des policiers lui ont fait si peur qu’il a défailli. Les policiers ont un tout autre récit. Bienvenue à l’audience des comparutions immédiates de ce lundi 18 mai.

Benoît Diry reprend le thème d’une plaidoirie de la semaine dernière qui désigne ce que l’avocat appelle : la maladie de l’interpellation. « Une fois encore, on prend du temps judiciaire pour juger des circonstances d’une interpellation. On a un mauvais zèle, en quelque sorte. Mon client avait été contrôlé (contrôle de l’autorisation de déplacement dérogatoire pendant le confinement) la veille. On peut faire preuve de discernement, quand on est policier. La veille il est écrit dans le procès-verbal que monsieur était ‘condescendant’. Une personne condescendante, c’est désagréable, mais enfin le contrôle est fait, et monsieur reçoit une amende. » L’attestation était en règle mais il traversait un parc en trottinette, or l’accès aux parcs est toujours interdit.

« On a pu se dire, ‘on va l’embêter un petit peu’ »

« Sauf que le lendemain, poursuit l’avocat, on le contrôle à nouveau et c’est le même policier, qui connaît donc son identité. Finalement on arrive à la situation où on a pu se dire, ‘on va l’embêter un petit peu’. Et ça tombe sur cette vulnérabilité et les pathologies dont il souffre. » Puis maître Diry produit une lettre d’excuses envers le policier outragé. L’avocat souligne une fois de plus, le temps et le nombre de professionnels mobilisés longtemps, pour juger quelqu’un qui n’a pas commis d’infraction mais qui pète un plomb pendant le contrôle.

Les faits

La présidente Verger résume le tout : vers 19 heures, une patrouille de policiers municipaux croise vers la rue du Pont le client de la veille, et lui demande son attestation. L’homme revient du boulot, il présente une attestation de son employeur, puis on lui demande sa carte d’identité et là, il s’agace, car il a justifié de son identité la veille. La police nationale passe par hasard, voit ce grand type vociférer et l’équipage arrive en renfort. Un policier (police nationale) avance une main en signe d’apaisement, mais le prévenu le repousse. Ensuite il tombe à terre et « simule un malaise » dit le PV, puis il se relève et « là je perds le contrôle », dit le prévenu. Il crache sur un des policiers (police municipale). Le policier écrit « dans les yeux », le prévenu dit « c’est tombé sur le côté droit de son uniforme ». Dans un cas comme dans l’autre, c’est une agression, le prévenu ne le conteste pas et s’en dit désolé.

« Le contexte »

Le problème c’est que les yeux représentent, avec la bouche et le nez, une porte d’entrée pour ce virus (comme pour les autres, au passage) qui nous met la vie en chantier depuis mi-mars. Alors les yeux, vrai ou faux, c’est plus anxiogène qu’une veste. Maître Bourg qui intervient pour les policiers ne manque pas de le rappeler et d’insister. Le parquet à son tour insiste, « dans ce contexte ». Il y a deux ans environ, les attentats terroristes faisaient « le contexte », printemps 2020, ce qu’on appelle une « crise sanitaire » fait « le contexte ». Anxiogène à tous les coups. Décidément. Serait-il possible de vivre autrement que dans l’anxiété ? Les philosophes diraient que non, que ça fait partie de toute existence et du tourment de tout être humain que de se savoir mortel. Dans les scènes de rue, ça joue avec ça, forcément. Devant le tribunal, c’est une autre histoire, forcément.

Une personnalité étrange, rivée sur le « nobody hurts »

L’homme qui se tient devant la caméra installée au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand n’est pas en détention provisoire. Il a été condamné en juin 2019 à une peine de 4 ans de prison dont 2 ans ferme, pour proxénétisme aggravé (un de ses fils était victime). Il aurait pu demander un aménagement de cette peine, mais le voilà poursuivi pour violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique, en récidive, vu la condamnation récente. Du coup, le parquet a mis sa peine à exécution, il comparaît donc détenu.
Le juge d’application des peines écrit qu’il pense que son fils est à l’origine de sa condamnation, il ne veut plus lui parler. Le prévenu, un peu précieux dans sa façon de s’exprimer, discute quasiment tout. Il se dit même « blessé » qu’on lui apprenne qu’un crachat volontaire est une violence. « Moi je pratique le nobody hurts », répète-t-il, abasourdi qu’avec une telle philosophie de la vie, on puisse le juger pour des violences.

Un on-ne-sait-quoi de spontanément malsain chez cet homme-là

Il avait trouvé du travail, bien que bardé de médicaments (neuroleptique, anti-dépresseur, anxiolytique), il fait une dépression. Il semble bien fragile en effet, il est aussi très centré sur lui-même. Il injecte au passage, une petite pointe angoissante, sur « le peu de temps qu’il me reste à vivre » … La présidente relève et l’interroge, au cas où il aurait des idées suicidaires. Mais non, c’est juste que d’ici 10 ans « je serai une personne âgée ». Les magistrates qui siègent sont toutes jeunes, dans la salle on rigole moins, mais la présidente a la délicatesse de souffler que « tout de même, à 50 ans, on peut encore se projeter ». Ouf. Et puis il a une maladie, enfin, bref, il ne va pas bien, et on sent sa tendance à manipuler qui pourrait s’y prêter, y a un on-ne-sait-quoi de spontanément malsain chez cet homme-là.

« C’est grave d’en arriver là, tout de même ! »

La substitut du procureur est jeune, elle aussi. Sur ce dossier, elle met le ton : « Il dit ‘je n’avais pas plus le contrôle’… mais c’est grave d’en arriver là, tout de même ! Son attestation de sortie était en règle, mais rien ne justifiait d’en arriver à cracher sur des policiers. » Elle requiert 6 mois de prison ferme et un mandat de dépôt. « Dans ce dossier, les causes sont aussi lamentables et désolantes que les conséquences, plaide la défense. La mission initiale de la police municipale, mission louable, a été dévoyée. »

Un vademecum en trois points, pour un contrôle réussi

« Je m’en veux beaucoup, mais pourquoi ils m’ont retenu après m’avoir dit ‘c’est bon’ ? » déplore le prisonnier qui estime avoir appris une leçon en trois points d’un major avec lequel il a parlé au cours de sa garde à vue : « Je ferme ma g…, je m’écrase, et je fais ce qu’on me dit. C’est exactement ce que j’aurais dû faire. » Certes, mais mieux vaut ne pas perdre le contrôle, en ce cas.

Le ciel lui est tombé sur la tête, saleté de contexte

Le tribunal le déclare coupable, et le condamne à 5 mois de prison, décerne mandat de dépôt, « compte tenu de faits commis pendant le délai d’épreuve, vu la gravité des faits dans un contexte de crise sanitaire ». Il devra verser 200 euros à un policier et 400 euros à un autre, ainsi que 600 euros pour leurs frais d’avocats. De toute façon il vient de perdre son travail, et il était déjà endetté. Sa fin de peine est repoussée à fin 2021. D’ici là "le contexte" aura sans doute changé, mais on ignore en faveur de quel autre.

Florence Saint-Arroman