Bourgogne
ÉVÉNEMENT à Chalon : Christophe André, Frédéric Lenoir et Sylvain Tesson, réunis pour la première date à Chalon, nous parlent du bonheur. Christophe André répond à nos questions
Par Nathalie DUNAND
Publié le 16 Janvier 2025 à 11h56 , mise à jour le 29 Janvier 2025 à 19h54

LE BONHEUR À L’ÉPREUVE DU RÉEL : vendredi 31 janvier, une conférence commune se tiendra au Parc des Expositions. Une opportunité rare et privilégiée programmée par A Chalon Spectacles.
Célèbre médecin psychiatre spécialisé dans le traitement des troubles émotionnels, anxieux et dépressifs à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, Christophe André fut l’un des premiers à introduire l’usage de la méditation en psychothérapie. On lui doit une quarantaine d’ouvrages de psychologie pour le grand public – devenus pour la plupart des best-sellers – sur les angoisses, les phobies, l’estime de soi, la méditation, la psychologie du bonheur… Christophe André n’a cessé de partager les outils et pratiques qui permettent à chacun de trouver un équilibre dans les tourments de la vie. Il aime, aussi, dialoguer et enrichir sa réflexion avec d’autres personnalités au parcours bien différent : on se souvient de sa riche collaboration avec Matthieu Ricard, moine bouddhiste, et Alexandre Jollien, philosophe, qui a donné lieu à deux livres Trois amis en quête de sagesse et À nous la liberté.
A Chalon Spectacles avait programmé la conférence Trois amis en quête de sagesse. Huit ans plus tard, voici une autre conférence commune de Christophe André, Sylvain Tesson et Frédéric Lenoir. Le médecin, le voyageur et le philosophe, tous essayistes, réunis sur une même scène pour nous parler du bonheur à l’épreuve du réel.
Et c’est à Chalon-sur-Saône qu’aura lieu la première date : une occasion précieuse pour susciter un dialogue sur la richesse et les nuances de leurs contributions respectives au thème du bonheur.
Interview
Nathalie Dunand : Comment définiriez-vous le bonheur dans une société marquée par l’incertitude et les crises ? Est-ce que le concept évolue selon les époques ?
Christophe André : Oui, je pense que le bonheur évolue selon les personnes et les cultures. Dès la Grèce antique, Aristote définissait le bonheur comme un état dans lequel on n’a besoin de rien d’autre que ce que l’on a, dans lequel on se sent pleinement satisfait de ce que l’on vit, à un moment donné. Je crois que cette définition reste valable, même dans une société où l’on attise nos désirs, nos insatisfactions – je serai heureux si j’ai tel vêtement, telle voiture, si je peux partir en vacances dans tel pays – où, finalement, on conditionne l’obtention de notre bonheur à l’acquisition de nouveaux biens. C’est vrai que la façon dont les gens se sentent heureux varie selon les moments et les cultures, c’est ce que suggère le titre de la conférence. Quand on vit dans un pays en paix, on place la barre plus haut que dans un pays en guerre où l’on se concentre sur l’essentiel : avoir à manger, un abri et que tous ceux qu’on aime soient vivants autour de nous. Une définition du bonheur pourrait se résumer à ces mots : un toit, de la nourriture et des proches avec qui discuter.
N. D. : Donc les attentes actuelles de bonheur (le “tout, tout de suite”, le “tout gratuit”) pourraient être un obstacle pour l’atteindre ?
Christophe André : Oui, il est clair que le bonheur ne se résume pas à la satisfaction de nos désirs. Évidemment, si j’ai un désir et qu’il est satisfait, cela me donne du contentement, mais on sait par expérience que ce type de bonheur n’est pas durable. En psychologie, il y a un concept très important : l’habituation hédonique. On s’accoutume à un certain type de bonheur, ceux qui sont toujours là : un toit, un métier, un conjoint, être en démocratie… Le risque est de s’y habituer et de ne plus se rendre compte qu’il y a de quoi être heureux d’en disposer. On sait aussi que l’habituation hédonique touche davantage les satisfactions liées à l’obtention de choses matérielles (achats, statut social), car ce sont des bonheurs qui s’usent beaucoup plus vite et dont on se lasse aussi plus vite que les bonheurs expérientiels – ce qui me rend heureux, c’est marcher dans la nature, jardiner, rire avec mes amis, contempler – c’est-à-dire en apprenant à savourer des expériences de la vie de tous les jours. Effectivement, les sociétés d’hyper consommation nous rendent accros à des bonheurs très labiles, qui ne dureront que le temps qu’un nouveau désir soit suscité par la pub, par la comparaison sociale, etc.
N. D. : Comment articuler bonheur individuel et bonheur collectif dans un monde de plus en plus individualiste ?
Christophe André : C’est en effet une équation qu’il faut résoudre. L’un des défis liés au bonheur serait déjà se permettre d’être heureux alors que le monde va mal, qu’il y a des gens malheureux autour de nous. On peut répondre cette question autrement qu’en fermant les yeux, en se disant : finalement, on sera plus utile aux autres en étant heureux. Quand on est malheureux, on a tendance à se replier sur soi, on a moins d’énergie pour donner aux autres. Or, on peut considérer le bonheur comme une richesse à redistribuer : et si je réinvestissais une partie de mon bonheur dans une forme d’altruisme ? Il existe en effet pas mal de travaux en psychologie qui montrent que, si l’on est de bonne humeur, on est plus ouverts aux problèmes des autres et plus enclins à les aider.
Un autre aspect est important : est-ce que les bonheurs collectifs sont de nature différente des bonheurs individuels ? Les plus grandes sources de bonheur et de malheur individuels, c’est le lien. Ce qui nous déchire, c’est être en conflit avec les gens qu’on aime. Il est clair que, dans le bonheur humain, la part relationnelle est très importante. C’est une réalité psychologique ces bonheurs collectifs, par exemple lors des Jeux Olympiques, des moments festifs de grande liesse parce qu’il y a un partage émotionnel avec les autres.
N. D. : N’y a-t-il pas un fossé entre la génération Z (née dans les années 90) et celle de leurs parents ?
Christophe André : La jeune génération est souvent plus sensible à certaines causes, plus dérangée par les inégalités que les générations précédentes ne l’étaient. Et d’un autre côté, dans le quotidien, quelque chose ne va pas : ils sont capables de déménager dans un endroit sans savoir qui sont leurs voisins, de fuir leurs responsabilités sociales pour donner la priorité à la satisfaction de leur quête de bonheur personnel. C’est vrai qu’il y a ce paradoxe. Concrètement, ils bénéficient de structures sociales construites sur une certaine dose de sacrifice de leurs aînés, sans se sentir eux-mêmes concernés. Quelque chose a basculé, qui ne va pas forcément durer. D’une génération à l’autre, c’est un balancier qui va dans un sens, puis dans l’autre.
N. D. : La méditation et la pleine conscience sont des pratiques que vous recommandez souvent : y a-t-il une différence et quel rôle jouent-elles face au « réel » ?
Christophe André : La pleine conscience est une approche relativement simple de la méditation. Elle a pris l’ascendant sur les autres parce qu’elle est validée scientifiquement, c’est aussi une démarche laïque qu’on peut proposer partout. Cette forme de méditation apporte deux choses.
Un équilibre émotionnel, d’abord. Les recherches montrent qu’elle diminue le stress. Mais c’est plus que ça, sinon ce ne serait qu’une super relaxation.
La pleine conscience améliore aussi les capacités de recul, de distanciation par rapport aux pièges de notre subjectivité. Elle amène les gens à mieux s’interroger sur leur fonctionnement, à moins ruminer. C’est ce qu’on enseigne aux personnes qui veulent apprendre à méditer : on se coupe un instant du monde, on se crée une bulle de confort pour mieux se comprendre : si je suis fâché avec quelqu’un, je vais chercher dans quel état je me trouve, ce qui me blesse, ce qui ne va pas. C’est une prise de conscience avec une distanciation, donc avec un peu plus de stabilité émotionnelle. C’est un bon outil d’approche du réel.
N. D. : Sylvain Tesson explore l’émerveillement dans l’éloignement et l’aventure, Frédéric Lenoir insiste sur l’importance de la philosophie et de la sagesse antique. Vos parcours respectifs (psychiatrie, philosophie, voyage) offrent des perspectives variées sur le bonheur. Quels sont vos points de convergence sur ce concept ?
Christophe André : Ah ! Justement, c’est la première fois qu’on va discuter tous les trois sur scène. L’idée est venue de Bernard Dubois : réunir trois personnes très différentes que les gens apprécient et qui, chacune à sa manière, essaie de transmettre des moyens d’être un peu plus heureux. Le point commun pourrait être : comment être plus heureux dans son rapport à soi, au monde, à la transcendance à travers le voyage intérieur et extérieur.
Finalement, on va le découvrir en même temps que le public !
N. D. : Quel avantage voyez-vous à ces conférences communes, pour le public et pour vous ?
Christophe André : Je dirais que le public découvrira trois regards sur un même thème, et surtout trois styles différents. Je ne suis pas du tout un aventurier comme Sylvain Tesson, par exemple ! Je m’intéresse plus au fonctionnement individuel et relationnel de l’humain qu’au frisson de l’aventure.
Et puis, pour moi, ce qui est drôle dans cette conférence à trois, c’est qu’on ne sait pas bien où l’autre va partir, comment il va réagir à nos propos… À trois, c’est toujours plus sportif dans le bon sens. J’ai écrit pas mal d’ouvrages en collaboration, j’aime bien me confronter à d’autres approches. Ça va ressembler un peu à un concert de jazz : chaque musicien sait jouer de son instrument, et il y aura de l’impro. J’aime bien cette idée.
Nous remercions chaleureusement Christophe André de nous avoir accordé cet interview et rappelons son récent ouvrage paru : S’estimer et s’oublier, chez Odile Jacob.
Propos recueillis par Nathalie DUNAND
[email protected]
LE BONHEUR À L’ÉPREUVE DU RÉEL
Conférence exceptionnelle organisée par A Chalon Spectacle
Vendredi 31 janvier 2025 (de 20 h à 22 h)
Parc des Expositions – Chalon-sur-Saône (71)
Tarif : à partir de 39 € sur billetweb.fr



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