Chalon sur Saône
La rencontre d'Info-Chalon avec Catherine Corsini, réalisatrice de "La Belle saison" : "Le cinéma, c'est de la croyance"
Publié le 15 Novembre 2015 à 19h38
Lundi 9 novembre, la Bobine recevait Catherine Corsini, la réalisatrice de « La belle saison », film projeté le soir-même à l’Axel. Une femme engagée, qu’Info-Chalon a pu rencontrer.
Avec La Belle saison [1], Catherine Corsini a, d’une certaine façon, réussi quelque chose d’assez rare : redonner vie à une époque où l’on avait le militantisme politique joyeux, celle des années 1970. En effet, en filmant comme elle l’a fait de jeunes femmes braillardes, spontanées, culottées, c’est un peu la vie avec un grand « V » qui déferle sur grand écran. Les luttes – contre ce que Bourdieu appellera plus tard « la domination masculine », contre la tentation d’enfermer tout ce qui apparaît déviant au regard de la norme sociale (homosexuels notamment) – ont beau être sérieuses, dures, ponctuées de violences, on est emporté. On a presqu’envie de croire qu’on a failli changer le monde. On se sent presque nostalgique d’une époque que l’on n’a pas connue. Du moins est-ce ce que peut ressentir celle ou celui qui, à l’instar de votre serviteur, n’a vu le jour qu’à l’extrême fin des années 1970.
La joie de vivre, la fougue et la qualité des débats dans des amphis enfumés où l’on chante le poignant hymne du MLF [2], à mille lieues de ce que l’on peut y trouver aujourd’hui – quand on y trouve encore quelque chose… –, comme des pathétiques « flash-mob » auxquels s’adonnent aujourd’hui des candidats aux élections régionales de décembre dans notre future grande région… Devant tout cela, on regrette presque de ne pas être né plus tôt, ce qui nous aurait permis de connaître cette époque a priori bénie, cette sorte de « parenthèse enchantée », quand tout était politique, y compris les questions de cul. Surtout les questions de cul et de rapports (de domination) entre hommes et femmes.
« Le cinéma n’a pas a à véhiculer des ‘’canons’’ de beauté féminine »
Pour le coup, il faut l’avouer, Catherine Corsini, qui confie volontiers le plaisir qu’elle a eue de pouvoir se confronter à ces années – là, a sacrément bien réussi son affaire, sans sombrer dans le pittoresque, ce qu’elle ne voulait pas. Elle a tellement bien réussi son affaire que la réalité actuelle paraît bien fade, limite glauque, en tout cas bien moins gaie. Ce dont convient assez facilement Catherine Corsini qui, non sans relever que beaucoup de choses ont changé dans le bon sens, souligne que la condition des femmes est encore loin d’être satisfaisante. En effet, quand on lui demande si tout va bien désormais, s’il n’y a plus besoin du Planning familial, la réponse fuse : « Non, tout ne va pas bien. Les femmes, dès qu’il y a guerre ou crise, demeurent les premières victimes. Souvent, on les voit comme si elles représentaient quelque chose de diabolique. Dans le monde et en France, on se moque du féminisme. La pub continue de les traiter comme des objets. Qu’on en soit encore là…c’est très régressif. Dans la vie, la plupart des gens sont plutôt mal foutus. Ce que j’ai essayé de faire dans mon film, en les montrant avec des poils sous les bras, c’était justement de lutter contre ce diktat de la perfection, presque fascisant, qui conduit à l’anorexie, au recours à la chirurgie esthétique. J’ai voulu montrer que la beauté est plus dans la personnalité des êtres, le cinéma n’ayant pas à véhiculer de ‘’canons’’ de la beauté. J’ai voulu montrer quelque chose de plus juste, de plus vrai. »
« Le film de Khechiche m’a bluffée »
Avec La belle saison, Catherine Corsini n’a pas seulement ressuscité, sans pour autant les idéaliser, la fraicheur des années 1970. Elle a réussi à filmer une histoire d’amour entre deux femmes, ce qui n’était pas particulièrement facile après le chef-d’œuvre d’Abdellatif Khechiche : La vie d’Adèle. Chapitres 1 et 2 [3].
« Quand j’ai commencé l’écriture de La belle saison, j’ai appris que Khechiche, un réalisateur que j’aime beaucoup, était en train de tourner « La vie d’Adèle ». Ça m’a un peu bloquée dans mon élan. Alors j’ai vu le film assez vite. Khechiche m’a bluffée. Son parti pris très audacieux… L’opposition entre deux classes sociales… L’histoire d’initiation assez terrible… J’ai trouvé ça très bon. Ça ne m’a toutefois pas arrêtée. Je me suis dit qu’avec moi, il y aurait le militantisme. Et puis que je suis une femme, et lui un homme, qu’on n’a pas forcément le même point de vue. Qu’il n’était pas possible qu’il n’y ait qu’un film possible sur un tel sujet. J’ai juste revu le personnage de Carole qui, au départ, était prof de dessin, comme Emma, dans La vie d’Adèle. Et puis, j’ai moins filmé de scène d’amour, même s’il y en a. »
« Mon prochain film devrait être sur ceux qui croient encore au militantisme politique et ceux qui n’y croient plus »
A l’écouter, et on veut bien la croire, La belle saison a « beaucoup pris » Catherine Corsini, qui considère que ce dernier film a occupé trois ans de sa vie. Aussi, quand on lui demande sur quoi elle travaille en ce moment, si toutefois elle travaille sur un prochain film, reste-t-on un peu sur sa faim. « Je me pose des questions. Je gratouille comme ça, je fais mes petits pâtés. Mais je peux vous dire que ça devrait être un film sur ceux qui croient encore au militantisme politique et ceux qui n’y croient plus. Pas trop noir. Vous savez, le cinéma, c’est de la croyance. Les diffuseurs ont vachement envie de comédies, de trucs qu’on va voir. Alors pour l’instant, je réfléchis. »
Du côté d’Info-Chalon, on espère qu’elle y croit encore.
S.P.A.B.
[1] Voir l’article d’Info-Chalon :
[2] Pour écouter cet hymne du Mouvement de libération des femmes (MLF), cliquer ici :
https://www.youtube.com/watch?v=lIE9HtFv0fc
[3] Voir la critique d’Info-Chalon :
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