Faits divers

Assises de Saône-et-Loire : «Madame, vous aviez déclaré, à l’époque : «Il m’a trompée avec ma fille. Je lui pardonne, mais sous condition». Comment une mère peut pardonner cela ?» La mère ne répond pas

Assises de Saône-et-Loire : «Madame, vous aviez déclaré, à l’époque : «Il m’a trompée avec ma fille. Je lui pardonne, mais sous condition». Comment une mère peut pardonner cela ?» La mère ne répond pas

La mère de l'accusé a été entendue dans ce procès d'une affaire qui interpelle.

...Daniel Polette avait tatoué un dauphin sur la hanche de Valérie. «Je ne vois pas pourquoi tu fais un tatouage à Valérie et pas à moi !»... ...La femme de 65 ans, ancienne commerçante désormais à la retraite et maman de celle qu’on va juger pour l’assassinat de son mari qui fut l’amant et le compagnon de sa mère, cette femme sait-elle ce que signifie «symboliquement»... ...« Le juge des enfants a dit à monsieur Polette qu’il était un maquereau»...
 
Dans un procès il y a les mots de chacun, et puis il y a ce qu’ils finissent par raconter. Il ne faut jamais être trop pressé, car journée après journée, un tableau se dessine. Celui qui s’est esquissé ce mercredi 23 juin au matin, au 3ème jour du procès de Valérie Bacot devant la cour d’assises de Saône-et-Loire, est assez terrible, très triste, et puis, complexe.

Maître Saggio, qui intervient pour le dernier fils de Valérie Bacot, seule partie civile, interroge la mère de l’accusée, témoin très attendu, forcément.
« Madame, vous aviez déclaré, à l’époque : ‘Il m’a trompée avec ma fille. Je lui pardonne, mais sous condition. Comment une mère peut pardonner cela ? » La mère ne répond pas. « Il m’a trompée avec ma fille. » Cette phrase vient raconter quelque chose de glaçant, mais aussi d’intéressant. « Il » c’est Daniel Polette, ce chauffeur routier qu’elle rencontre l’année de son second divorce d’avec le père de ses trois enfants.
 
Malsain. « Y a rien qui va dans cette histoire », comme disait un témoin
 
« Il m’a trompée avec ma fille. » La perversité à l’œuvre chez cet homme - décrit plus tard par l’un de ses frères comme « un être ignoble », « violent », « qui tapait sur son propre père », lequel se suicidera -, a trouvé un écho chez celle de cette maman, visiblement engagée dans une forme de rivalité parfaitement déplacée avec sa fille. Sa fille avait 13 et 14 ans lors des premières agressions sexuelles, puis des premiers viols.
Elle en avait ensuite 17, lorsque le violeur est revenu vivre au domicile de sa mère. L’enfant manipulée qu’elle fut (par sa mère, c’est ce qui ressort des débats de ce matin, et par Daniel Polette lui-même qui exerçait sa pression sur Valérie par des courriers) était devenue une adolescente révoltée, qui était entrée dans ce jeu malsain, et prenait la place d’une rivale en effet qui allait damer le pion à sa mère. Sa mère se défend vigoureusement d’avoir été cette femme-là, mais une question de maître Tomasini sur la question des tatouages va la trahir. Daniel Polette avait tatoué un dauphin sur la hanche de Valérie. « Je ne vois pas pourquoi tu fais un tatouage à Valérie et pas à moi ! »

« On lit beaucoup, dans les rapports, que vous est ambivalente »
Deux sœurs de Daniel Polette signalent les abus dont la petite est victime. Valérie ne dit rien. Il faut qu’un examen gynécologique « constate une défloration ancienne », pour que les faits soient avérés. La procédure pénale démarre. La mère dépose plainte mais à l’audience, en 1996, c’est un administrateur ad-hoc de l’UDAF qui veille à ce que les droits et intérêts de l’enfant soient respectés. Pourquoi ?
« J’ai pas été assez méchante à l’époque », répète la mère à la barre. « On lit beaucoup, dans les rapports, que vous est ambivalente », observe la présidente. « Ça revient à ça, maintient la femme. J’ai pas été assez méchante. » La présidente le relève : « Est-ce que vraiment c’est être ‘méchant’ que de… - Je reconnais que j’ai pas assumé ce que j’aurais dû. Mais on peut essayer d’excuser et de retenter quelque chose, Valérie l’avait écrit aussi, et elle s’était mise en colère contre le directeur de l’UDAF quand il avait refusé les permis de visite. »

« On faisait les trajets ensemble, elle faisait sa conduite accompagnée »
Visites refusées à la gamine, victime dans ce dossier, mais la mère, elle, se rend au parloir. Et elle va au centre pénitentiaire avec Valérie. « On faisait les trajets ensemble, elle faisait sa conduite accompagnée. » La mère ne semble avoir aucune conscience de ce qu’elle dit. Elle est très centrée sur les questions matérielles, « mes enfants n’ont jamais manqué de rien », et la gestion des emplois du temps.
« J’assurais les trajets pour que Valérie puisse faire ses stages, en mettant sur la porte de la boutique un petit panneau, ‘Retour dans 15 mn’. » Dans ces conditions, quoi de mieux que de rentabiliser les trajets jusqu’à la prison, en laissant la jeune fille conduire ? La mère est rivée sur les questions pratiques. Le reste…

« Symboliquement, et pas que, je pense que c’était très compliqué pour votre fille »
La présidente est grave : « C’est assez particulier, madame… Votre fille a sans doute besoin que vous soyez en capacité de lui dire qu’il y a des choses qu’on a faites et qui n’étaient pas les meilleures pour son enfant. » La mère de l’accusée : « Oui. Non mais oui. »?Et la femme d’immédiatement ajouter : « Ça faisait l’occasion de faire ses kilomètres. »
On se dit qu’elle est perverse, mais qu’il n’est pas évident qu’elle en ait conscience. « Symboliquement, et pas que, je pense que c’était très compliqué pour votre fille » dit la présidente. La femme de 65 ans, ancienne commerçante désormais à la retraite et maman de celle qu’on va juger pour l’assassinat de son mari qui fut l’amant et le compagnon de sa mère, cette femme sait-elle ce que signifie « symboliquement » ?

« La situation est très inquiétante »
En avril 96, Daniel Polette est condamné pour des faits de viols requalifiés en agression sexuelle sur mineure de 15 ans (ce qui signifie « de moins de 15 ans) à 4 ans de prison. Il avait fait de la détention provisoire, il sort à l’automne 1997. Deux mois après son retour, la mère estime qu’il a recommencé et elle saisit les enquêtrices sociales, lesquelles font remonter leurs inquiétudes au procureur de la République, « les relations sexuelles ont repris ». Une nouvelle enquête sociale est diligentée. Il est écrit que « la situation est très inquiétante ».
Le juge des enfants convoque tout le monde à son audience, le 17 septembre 1998. « Il est assez rare, souligne la présidente Therme, qu’un juge des enfants, à quelques semaines de la majorité, se donne la peine de convoquer tout le monde. »

« Le juge des enfants a dit à monsieur Polette qu’il était un maquereau »
« L’audience est houleuse, dit la mère de Valérie Bacot. Valérie avait demandé à être émancipée, son père et moi l’avions refusé. Le 31 août, Daniel Polette avait déménagé, quittant mon domicile, et Valérie n’était plus rentrée à la maison. On était en bras de fer toutes les deux. Le juge des enfants a dit à monsieur Polette qu’il était un maquereau. Valérie, pas contente, s’est levée. Le juge l’a remise en place. J’attendais qu’on me ramène Valérie à la maison et que lui, il reparte en prison, mais… »

« L’opposition résolue de l’intéressée qui sera majeure dans 2 mois »
La présidente lit un extrait des notes de cette audience. « Valérie : j’aime monsieur Polette. C’est ma vie privée. J’envisage une vie de couple, comme tout le monde. Daniel Polette : Il y a toujours eu une attirance entre Valérie et moi et une nouvelle incarcération n’y changera rien.
Valérie : Maman a dit d’accord sous réserve qu’elle garde un œil sur mes études. Sa mère : Ils m’ont donné un papier (demande d’émancipation), je n’ai pas donné mon accord. »?L’éducateur est inquiet, mais « compte tenu de l’opposition résolue de l’intéressée qui sera majeure dans 2 mois », l’assistance éducative prend fin. Le juge des enfants transmet au parquet la note d’audience. Le substitut aux mineurs écrit qu’il ne réserve pas de suite, compte tenu de la résolution de Valérie Bacot, et de sa proche majorité.

« Toi tu n’as jamais su garder un homme, à moi de faire mieux »
« C’est pas moi qui coupe les ponts, dit la mère, à la barre. Elle m’avait écrit une lettre, qui est charmante. » La présidente va lire ce courrier, que la mère avait transmis. « Joëlle (c’est le prénom de la mère), j’ai reçu ta lettre, où je vois que tu ne me laisseras pas au calme (…). Tu parles de pilule (contraceptive), mais je fais ma vie comme je veux. (…) Toi tu n’as jamais su garder un homme, à moi de faire mieux. (…) Sache que je veux vivre ma VIE. (…)
Beaucoup de parents aident leurs enfants, toi tu veux me mettre dans la MERDE. (…) Moi je ne veux rien de toi, alors, laisse-moi tranquille. » D’un ton un peu grave, la magistrate dit à la mère : « Et vous allez le faire. Vous allez vous effacer. » La mère répond : « La justice ne le réincarcère pas. Elle est majeure. Je fais quoi ? »

« Ce qu’elle a vécu, c’est pas normal »
Un peu plus tard, « est-ce que vous êtes inquiète de ce qu’elle peut vivre avec son mari, que vous savez possessif et violent ? – Oui. – Qu’est-ce que vous allez faire ? – Rien. Elle était chronométrée (surveillée par son mari, tracée, en quelque sorte, ce point est acquis, ndla), tout le monde le savait. Il fallait qu’il l’isole pour faire ce qu’il voulait. » Que pense-t-elle du fait que sa fille, 25 ans plus tard, est accusée de l’assassinat de cet homme ?
« Il y avait peut-être d’autres solutions, mais elle a eu le courage de le faire. Ce qu’elle a vécu, c’est pas normal. Elle côtoyait sa grand-mère, elle n’était pas isolée. Quand elle a accouché, il y avait des services sociaux dans les maternités, je sais pas. Ce qu’elle a vécu, c’est pas normal. »

Plainte récente pour complicité de viol par omission
Question d’Eric Jallet, avocat général : « Lors de l’instruction initiée du chef de viol aggravé, vous savez ce qui se passe ? Vous savez pourquoi il y a une re-correctionnalisation ? ?Réponse de la mère : Parce que je n’ai pas été assez méchante, on a essayé d’excuser.?L’avocat général : Votre fille n’était pas d’accord pour ces viols, comment comprenez-vous qu’après ça il revienne à la maison ??La mère : Oui, ça ne peut pas être serein. »
En fin de matinée, la mère a appris de la bouche de maître Tomasini que sa fille vient de déposer plainte contre elle, pour complicité de viol par omission.

Scénario d’une catastrophe annoncée
Le scénario d’une catastrophe annoncée a commencé ainsi, malgré la condamnation de Daniel Polette, malgré les mesures d’assistance d’éducative et malgré les rapports des enquêtes sociales. L’adolescente avait grandi, et, à deux mois de sa majorité, il était devenu impossible de lui faire entendre raison.
En 1992, un enquêteur social préconisait que le père de Valérie ait la garde des enfants, des trois. Cela n’a pas été décidé. C’est un enchaînement de malheurs auquel nous assistons, comme à chaque procès, mais le tableau qui se dessine en audience n’est pas celui qui est présenté depuis des mois au public.
Demain, les experts psychiatre et psychologue rapporteront leurs travaux : quelle femme, l’enfant psychologiquement fragile que fut Valérie Bacot, mais aussi cette « bonne grande sœur » qu’évoquait son petit frère à la barre, est-elle devenue ?
Florence Saint-Arroman



Notre  précédent article (23 juin à 0h00) :
Un procès n’est pas quelque chose de linéaire, il est fait de moments, de temps, de bascules. Un procès c’est long. Dix heures d’audience ce lundi 21 juin, par exemple. Il est 17h40 quand Lucas G. se place à la barre.
C’est un solide jeune homme âgé de 21 ans aujourd’hui. Il fut, dirait-on, la première personne étrangère à la famille repliée sur elle-même que formaient Valérie Bacot, son mari et leurs quatre enfants, à s’y introduire durablement. Sa présence a certainement permis d’ouvrir une brèche dans les murs que Daniel P. ne cessait de maintenir autour de Valérie mais aussi de ses enfants, en faisant régner en permanence la crainte, voire la peur.

« J’avais envie de faire partie de la famille »
Le garçon a 14 ans lorsqu’il tombe amoureux de l’unique fille de la fratrie. Un week-end il est invité chez elle, à partir de là il reviendra quasiment chaque week-end et les mercredis. Le gaillard qui s’exprime devant la Cour est touchant lorsqu’il explique que « ma mère ne s’occupait presque pas de moi, mon père est absent depuis ma naissance, j’avais très peu de famille pour s’intéresser à moi, et mon père de substitution est décédé en 2011 ».
Sur son bras, le prénom de ce père de remplacement : « Daniel ». « Au début j’ai pris une place de simple gendre, puis j’ai pris Valérie presque comme une mère. » Le mot « gendre », « est un peu fort », lui fait remarquer la présidente, « vous avez 15 ans ». « C’est fort, concède le jeune homme, mais j’avais envie de faire partie de la famille. »

« Fais ce que tu as à faire, tu peux compter sur moi »
Encouragé par les questions que lui pose la présidente, Lucas raconte le temps qui passe et comment un jour, Valérie lui parle du climat de terreur et des violences qu’elle subit. Au début, « je ne la crois pas », puis il la croit. Puis un jour il la voit, elle qui est toujours vêtue d’un jean et d’un tee shirt, partir maquillée, perchée sur des talons aiguilles, en robe, puis revenir « en larmes, la robe à moitié sur le dos ». « Trois semaines avant les faits » (un des fils a parlé de « deux ou trois mois »), il se rend à Paray-le-Monial, avec K., le second fils, pour tout expliquer aux gendarmes.
« On leur a tout donné. Ils nous ont dit plus ou moins que c’était pas leur problème, que c’était pas le secteur où ils faisaient des rondes. Fallait qu’on trouve une solution, d’abord dans la légalité. » Puis ils vont à la Clayette : « Le gendarme nous envoie péter. Il a dit qu’on était des trous du cul. Et qu’on avait rien à faire là. Qu’il faut envoyer madame. Elle, elle a peur que quelqu’un dise à Daniel Polette qu’on l’a vue à la gendarmerie. Mais elle en avait marre. » Lucas assure à Valérie qu’il sera là pour elle. « Fais ce que tu as à faire, tu peux compter sur moi. »

« Dans cette histoire y a rien qui va, du début à la fin »
Après le crime, le 13 mars 2016, « on s’est tous mis ensemble, pendant trois jours, on n’a presque pas dormi, on parlait, pour prendre les bonnes décisions ». Pendant ces trois jours seul le plus jeune des enfants va à l’école. D’août à octobre il a une relation avec Valérie, « je l’aimais, plus que sa fille ». Ils n’en ont parlé à aucun des enfants. Bien avant cela il avait pris une place de décideur dans la famille. Ce matin, 22 juin, K. a dit qu’il leur donnait des ordres et tout. Bref, on en revient toujours à la question des places qui interroge la présidente. Sur cette question qui reste au cœur du dossier, c’est encore Lucas qui s’exprime le mieux :
Présidente : « Que pensez-vous, avec du recul ? »
Lucas : « Ben que c’était un gros bordel, que dans cette histoire y a rien qui va, du début à la fin. »
Présidente : « Vous tirez une leçon de ce qui s’est passé ? »
Lucas : « Oui, que c’est pas normal ce qui s’est passé. »

Que dit spontanément ce fils ? Que sa mère est « non coupable »
Ce mardi 22 juin les trois aînés de la fratrie P. sont passés à la barre. Le premier à parler à la Cour, K., est aujourd’hui âgé de 21 ans. Le sursis mis à l’épreuve auquel il fut condamné pour recel de cadavre alors qu’il était mineur a porté des fruits : il est allé au bout d’une formation professionnelle, il a un métier et un emploi. Il a obtenu de s’occuper de son petit frère, « je ne veux pas qu’il aille dans des foyers ».
Il est tiers digne de confiance, il en est fier, « et vous pouvez l’être », l’encourage la présidente Therme. Que dit spontanément ce fils ? Que sa mère est « non coupable », qu’elle a « souffert pendant des années », qu’elle n’a eu aucune aide. « On ne savait pas comment se débrouiller. On était enfermés. En cours on était harcelés, donc renfermés, timides. C’était dur d’avoir des camarades. » Harcelés ? « Les autres disaient qu’on était sales, qu’on avait les cheveux coupés au bol, des trucs comme ça. »

« Il était toujours à gueuler, à nous taper, nous pousser. On devait baisser la tête »
Leur quotidien ? « Quand on rentrait de l’école on allait dans nos chambres. Fallait pas bouger, on n’avait pas d’activités. » La relation avec leur père ? « Relation compliquée, il était toujours à gueuler, à nous taper, nous pousser. On devait baisser la tête. On se faisait balancer par terre, on prenait des calottes. A chaque fois qu’il rentrait, il buvait, il ronchonnait. »
Des moments heureux ? « Pas vraiment. » Il était violent avec leur mère ? « Oui, vraiment. Pas devant nous, mais on la voyait pleurer, boîter. On l’entendait crier. – Votre mère dit que non, qu’elle ne criait pas. » A-t-il essayé de protéger sa mère ? « On pouvait rien faire. »
L’interrogatoire se poursuit, la présidente le confronte à tous les points importants. S’il savait ce que son père faisait à sa mère, où étaient les armes, s’il était au courant des propos du père à sa sœur - élément déclencheur selon sa mère, s’il avait des craintes pour sa sœur, et les somnifères, ils étaient où ? « Dans le placard de la cuisine. »

« Vous voulez qu’on fasse quoi quand on n’est rien du tout ? »
Ont-ils eu des discussions au sujet du recours à une arme ? « Non. Vous voulez qu’on fasse quoi quand on n’est rien du tout ? » Retour sur les visites aux gendarmes de Paray et de la Clayette. « On a donné le nom de mon père. Il a dit qu’il ne pouvait rien faire de spécial. » Quelles informations ont-ils exactement données ? demande Eric Jallet, l’avocat général. « On a donné les noms de mon père et de ma mère. On a dit, dans la 806 du père. Mais le gendarme a dit que la 806 était au nom de ma mère. On a dit qu’ils partaient à la forêt à côté de Charolles, comme quoi il la prostituait. On avait dit à ma mère qu’on allait y aller. Elle avait peur, elle voulait pas. Mais on voulait que ça s’arrête. »

« C’est une scène d’une violence extrême, vous aviez 16 ans »
La présidente : « Comment on vit quotidiennement le fait d’avoir participé à l’enfouissement du corps de son père, en pleine nuit, dans les bois ? » K. : « On se pose des questions. On a un peu peur. On ne sait pas ce qui va se passer. » La présidente :
« C’est une scène d’une violence extrême, vous aviez 16 ans. » K. : « Sur le coup, on s’est pas du tout posé de questions. – Vous éprouviez un soulagement ? – On avait un peu peur qu’il revienne nous retrouver. – Il était mort, vous l’avez enterré. – Oui, mais on avait peur quand même. » Et cette question : « Il y a un corps dans la voiture, c’est votre père, il est mort, est-ce que à un moment donné quelqu’un se dit que vous pourriez appeler les gendarmes ? » Réponse : « Je ne sais plus. »

« On a entendu tous les gendarmes, j’ai du mal à vous croire »
Lundi, après la déposition de Lucas, l’avocat général, Eric Jallet, l’a interrogé à son tour : « On a entendu tous les gendarmes, j’ai du mal à vous croire. » Lucas : « Je vous jure, monsieur, que nous y avons été. A la Clayette, on dit qu’on connait quelqu’un qui fait ça (qui prostitue sa femme, ndla). Il dit qu’il faut que la personne qui vit ça vienne d’elle-même. Et pourquoi ils n’ont pas pris la peine d’appeler ce foutu numéro de téléphone qu’on leur a donné ? (le 06 qui gérait les RV clients, ndla) »

« On a réellement été à ces deux foutues gendarmeries »
L’avocat général reprend le contexte : Lucas a 16 ans, se positionne en conseilleur, il conseille le Stilnox, par exemple. Il ne s’entend pas avec sa mère, n’a pas de père, il a beaucoup investi Valérie Bacot. Eric Jallet développe que par sa présence, Lucas a rendu des choses possibles. Puis : « Par rapport à une femme qui est dans la souffrance, la première chose à faire est de la sécuriser, mais en trouvant quelqu’un qui est à l’extérieur.
Lucas : C’est ce qu’on a fait, monsieur.
AG : Mais vous allez rapidement à l’irrévocable. »
Le magistrat parle de ce qui existe à l’extérieur, comme personnes ressources et comme moyens.
Lucas : « On a réellement été à ces deux foutues gendarmeries. Et d’ailleurs, à Paray, c’était celui qui m’avait arrêté maintes et maintes fois qui nous a reçus. Nous y avons vraiment été. »

Le fameux message « ça y est, c’est fait », un des enjeux de la préméditation
La présidente se fait sèche car à des questions semblables il ne répond pas la même chose, selon que c’est la cour qui l’interroge ou l’avocate de la défense (maître Tomasini). « Elle est où la vérité, monsieur ? Vous avez dit une chose et son contraire. » Silence, Lucas baisse la tête. L’avocat général y revient : « Vous dites : ‘elle m’envoie un message, j’ai compris qu’elle l’avait tué’. Puis vous dites autre chose à maître Tomasini. Où est la vérité ?
Lucas : « Oui j’ai reçu le message et j’ai compris ce qu’elle avait fait. »
Maître Tomasini : « ‘C’est fait’, quoi ? Vous ne savez pas de quoi il s’agissait. »
Lucas : « On en avait parlé deux heures avant, donc si, je me doute. »
Puis Valérie Bacot revient à la barre : « Je confirme qu’ils ont été les deux chez les gendarmes. » Elle raconte comment, alors qu’elle tapinait, deux gendarmes passent et lui demande si elle sait où est une voiture brulée. « Ils n’ont rien fait », conclut-elle. En revanche elle maintient n’avoir jamais envoyé de message à Lucas. Sa fille a été interrogée sur ce point ce matin, la présidente relève ses réponses contradictoires en audition, et précise qu’à l’époque elle fut interrogée deux fois sans l’assistance de son avocate, alors qu’elle était bien jeune.

« Je voulais tenir jusqu’à la majorité des enfants »
Avocat général à l’accusée : « Vous dites être frappée, mais pas tous les jours, et les enfants ne vous voient pas, et les médecins ne constatent pas.
Valérie Bacot : Je n’allais jamais chez le médecin, que pour mes enfants. Quand j’étais marquée, je me maquillais.
AG : Dans une vie normale, on va voir les autorités, les gendarmes.
Valérie B. : Mais vous ne comprenez rien ! Il travaillait sur la Clayette, il était là midi et soir.
AG : Vous posiez les enfants à l’école.
Valérie B. : Est-ce que vous comprenez d’avoir la peur de mourir tous les jours ? D’avoir un pistolet sur la tempe ?
AG insiste sur les assistantes sociales spécialisées, sur les logements d’urgence, etc.
Valérie : Ça, je ne le savais pas.
AG : Vous ne le savez pas parce que vous ne le demandez pas.
Valérie B. : Je voulais protéger mes enfants.
AG : Votre priorité, ça a été à un moment donné de constater que vous étiez dans l’incapacité de faire quoi que ce soit.
Valérie B. : Je me disais, si j’y vais, ils vont me garder très longtemps, et il va voir que je ne suis pas là. Mes gamins sont revenus de la gendarmerie en disant que peut-être il y aurait une mesure d’éloignement, mais après enquête. Alors… (elle pleure) »
Le magistrat insiste.
Valérie B. : « Vous ne comprenez rien.  S’ils (les gendarmes) m’avaient mise en sécurité, je l’aurais fait.
L’AG :  Vous n’avez jamais rendu ça possible, pourquoi ? »
L’accusée s’effondre : « Je voulais tenir jusqu’à la majorité des enfants. »
Florence Saint-Arroman


Notre article du 21 juin :
Le 13 mars 2016, aux environs de 20 heures, Valérie Bacot aurait (elle le conteste) envoyé un message à Lucas G., alors âgé de 16 ans : « C’est fait, prépare-toi. » A compter de ce jour, nul ne revoit Daniel P., 61 ans. Le 3 octobre 2017, les gendarmes trouvent son corps, « proche de la momification ». « Il gisait dans une fosse d’environ 25 cm de profondeur, face contre terre. »

A 17 ans, enceinte suite au viol perpétré par son beau-père
La présidente Therme lit une présentation synthétique des faits reprochés à l’accusée. Valérie Bacot - on se demande qui peut encore l’ignorer dans le pays -, était devenue l’épouse de Daniel P., après avoir été d’abord sa belle-fille, puis sa victime, puis la mère de ses enfants. Il en avait eu 3 autres lors de liaisons antérieures, dont il ne s’était jamais occupé. L’homme agressait sexuellement la gosse « sur laquelle il avait autorité », puis l’a violée. Il fut condamné, grâce à l’intervention de deux de ses sœurs qui n’ont pas été indifférentes à cette situation, à 4 ans de prison, en avril 1996. En octobre 1997, il sort de prison et revient s’installer chez la mère de Valérie, cette dernière a 17 ans. La même année elle tombe enceinte de lui. L’enfant est issu d’un viol, mais elle a toujours voulu des enfants, et puis que faire ?

L’assassinat : le meurtre avec préméditation
En ce premier jour du procès d’assises qui va juger Valérie Bacot, née en 1980, mère de 4 enfants, et responsable de la mort de son mari - elle l’a reconnu, mais poursuivie également pour l’avoir prémédité - elle est plus prudente sur ce point, la présidente Therme pose le cadre : « Seuls les débats mettront en évidence les éléments sur lesquels la Cour appuiera sa décision (NB : les jurés n’ont pas lu le dossier, ils ne prennent connaissance de tout qu’à travers l’oralité des interrogatoires et dépositions à la barre). » L’objectif de ce procès, comme de tout autre procès : « Rendre la justice en appliquant la loi et en recherchant la vérité. Cette recherche ne se fait que dans cette salle d’audience. » La magistrate souhaite que le débats soient « sereins, apaisés, et respectueux des places de chacun ».

Elle comparaît libre, placée sous contrôle judiciaire
Les places de chacun… c’est le cœur du sujet, c’est la confusion sans nom des places de chacun qui a sans doute pu conduire une jeune femme, mère de famille nombreuse très jeune, et jamais traitée comme un enfant doit l’être, à passer à l’acte, le 13 mars 2016 au soir. Elle a passé 11 mois et 30 jours en détention provisoire à compter de sa mise en examen pour assassinat. Puis elle a obtenu d’être placée sous contrôle judiciaire. Une femme plutôt menue, à la silhouette juvénile, vêtue d’une veste et d’un jean noirs, les cheveux retenus en queue de cheval, dont l’arrivée au tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône fut, selon nos confrères locaux, « honteuse », en raison de la meute de journalistes se pressant contre elle, ceux de derrière appuyant dans le dos des autres pour ne pas se laisser repousser.

« Comment vous sentez-vous ce matin ? - C’est compliqué à expliquer »
C’est dans ce contexte de médiatisation forcenée qui dure depuis des mois que la jeune femme est enfin face à la Cour, et répond aux questions de la présidente Therme. « Votre procès démarre. Comment vous sentez-vous ce matin ? Comment ça va ? - C’est compliqué à expliquer, dit l’accusée. J’ai besoin de faire ce procès, de savoir ma peine. (inaudible) …mon combat contre lui (inaudible) Je vis encore sous son emprise. » Mais aucune réalité ne peut se transmettre en un trait. Les questions, précises, permettent de dessiner des nuances, font apparaître des espaces d’interrogations. Le passé de l’accusée est lourd, la procédure lancée contre Daniel P., son beau-père, en 1995, permet de verser aux débats plusieurs documents dont le dossier de l’assistance éducative ordonnée à l’époque.

On ciselle des contours auparavant vendus grossièrement à l’opinion public
Valérie Bacot décrit son propre père comme « inexistant ». Sa mère est décrite comme une femme alcoolique, autoritaire et qui ne s’occupait pas vraiment de ses enfants. A travers les propos de l’accusée (du moins ceux que nous parvenons à entendre : le son a été réglé pour la salle de retransmission, et non pour la salle d’audience) on entend les comportements maltraitants. La peur des crises de la mère, quand elle avait trop bu, et l’enfant qui essaie de répondre à ce qui peut apaiser l’adulte, « qu’elle soit contente ». Mais sur les propos à l’emporte pièce qui ont chauffé l’opinion, on va entrer dans la précision. Les visites au beau-père quand il était incarcéré ? « On demande au juge d’instruction que vous puissiez aller le voir, les experts disent que vous en avez besoin. Le juge donne deux autorisations au cours de l’été 95 mais ensuite toutes les visites ont été refusées. »

Elle voulait des enfants, elle en a « toujours voulu », et lui, « il voulait une fille »
Il revient chez la mère de Valérie, qui s’en trouve bien, assure à sa fille qu’il ne la touchera plus. La fille se trouve très vite enceinte, elle a 17 ans, il en a 42. A l’époque, elle avait dit au juge des enfants qu’elle voulait « vivre avec mon ami », « je veux faire ma vie, je veux être heureuse », lui rappelle la présidente. Bref, le début de sa vie commune se passe bien, « jusqu’à la naissance de K. », le premier enfant, un fils. Rapidement elle a un autre garçon, puis une fille. Le dernier naîtra en 2006, il est partie civile au procès. Il est la seule partie civile, représentée par le conseil départemental de Saône-et-Loire en sa qualité d’administrateur ad-hoc. Maître Saggio parlera pour lui. Trois naissances rapprochées. « Il ne veut pas que j’aie de contraception ni rien. Je fais ce qu’il dit, quand il veut. » Mais elle voulait des enfants, elle en a « toujours voulu », et lui, « il voulait une fille ».

Une vie comme dans un bocal, alourdie d’insultes, de cris
Une vie fermée sur elle-même. Des dettes. Il avait contracté des prêts à la consommation, 4 crédits pour 35 000 euros en tout. En mai 2013 ils déposent un dossier de surendettement. Une vie sous cloche, pour elle, et un quotidien alourdi d’insultes, de cris, « il jetait des affaires. Même si tout était bien, il trouvait toujours quelque chose à dire pour me réprimander ». Des armes. Rangées dans la chambre, une dans l’armoire, une à côté du lit. Violences devant les enfants ? Non. Des cris ? Ah non ! Daniel P. regarde du porno, un jour il aurait dit à sa femme : « Regarde, c’est ça qu’il faut que tu fasses pour rapporter de l’argent. » On arrive au chapitre « prostitution », en bordure de la RN79 la plupart du temps. La 806 était aménagée pour, et aussi pour qu’il puisse voir ce qui s’y passe, relié à Valérie par téléphone, chacun des oreillettes.

Il lui avait tatoué « Dany » sur le bas du ventre
Le petit bizness était organisé. Elle donnait des cartes de visite avec un numéro de téléphone qu’il gérait. Parfois des passes sur rendez-vous, parfois pas. Parfois Daniel P. emportait de quoi se défendre (une barre de fer, une arme de poing), au cas où, parfois pas. Et elle, est-ce qu’il lui est arrivé, sur des rendez-vous précédant celui du 13 mars 2016, de prendre l’initiative d’emporter une arme avec elle ? Silence à la barre. Bredouille. Hésite. Puis « peut-être une ou deux fois, pour me rassurer. » Il lui avait tatoué « Dany » sur le bas du ventre, il l’avait tatouée lui-même. En 2014, leur fille a un copain, Lucas. « Est-ce que Lucas a pu assister à certaines choses ? – Oui, il l’a vu me taper dessus. Il m’a dit que c’était pas normal de vivre comme ça. – Quelqu’un d’autre vous l’avait dit avant ? – Non. – Est-ce que ça a fait germer certaines réflexions ? – Non. »

Une tentative d’empoisonnement au Stilnox échoue
« Qu’est-ce qui fait qu’il y a le passage à l’acte ? – A ce moment-là, je n’en pouvais plus. » L’émotion est plus forte, le ton monte, car la mère évoque ce que lui aurait dit sa fille. « Elle m’a dit : ‘Je comprends pas, il m’a demandé comment j’étais sexuellement’. J’ai eu peur ! Peur qu’il la prostitue. »
Le 13 mars 2016 est un dimanche. Valérie Bacot écrase 2 plaquettes de Stilnox. « Je voulais qu’il dorme. - Vous avez dit que vous ne vouliez pas qu’il se réveille, précise la présidente. Ce n’est pas tout à fait pareil. Qui écrase le Stilnox ? – Ils étaient déjà écrasés, je ne sais pas. – Non. Vous avez dit que c’était vous, madame. C’est vous ou c’est pas vous ? – Je ne sais pas. – Qui lui met dans son café ? – J’en sais rien. – Madame, vous avez toujours dit que c’était vous. – Je ne sais pas, je peux pas vous dire. »

« Il est assis où ? – A la place du chauffeur. – Et vous ? – Derrière »
Daniel P. prend une gorgée, lui trouve un goût bizarre, ne boit pas son café. Plus tard annonce à son épouse qu’il y a un rendez-vous, ce soir-là, avec un client parfois brutal. Et de la barre montent des sanglots, une voix déchirée que tous ceux qui ont regardé les interviews télévisées que l’accusée a données, ont déjà entendue. « J’ai pris peur. J’ai pas voulu, il a fait de force (une sodomie -elle n’en voulait pas). Et quand il est parti, je saignais. Et Daniel me criait dessus, il disait que j’allais le payer. » On en arrive à l’instant du crime. « Il est assis où ? – A la place du chauffeur. – Et vous ? – Derrière. – Qu’est-ce que vous faites ? – Je me souviens juste avoir fermé les yeux, et cette odeur et la lumière. J’ai pas vraiment compris. Je suis sortie de la voiture, j’ai ouvert la porte, et il est tombé. Je ne pensais qu’à partir. » Elle a tiré en plaçant le canon entre le haut du siège auto et l’appui-tête.

« Ils sont dans quel état, vos enfants, quand ils enterrent le corps de leur père ? »
« Au départ, vous avez déclaré que vous aviez cherché l’arme partout chez vous, et que l’ayant trouvée, vous avez vérifié qu’elle était chargée. – C’est des passages dont je ne me souviens plus vraiment. » Daniel P. est mort. Valérie Bacot part chercher le jeune Lucas. « Pourquoi pas les gendarmes ? – Je ne sais pas. » Ils reviennent sur les lieux, ils embarquent le corps. Dans la nuit, avec ses deux fils aînés et Lucas, ils vont enfouir le cadavre dans le bois de la Garenne, sur la commune de la Clayette. « Ils sont dans quel état, vos enfants, quand ils enterrent le corps de leur père, dans la nuit ? » La réponse de l’accusée est inaudible pour nous qui sommes dans la salle d’audience.

« Est-ce que, madame Bacot, vous avez voulu tuer votre mari ? »
Il est 13 heures, ce lundi 21 juin, quand la présidente Therme demande à l’accusée : « Est-ce que, madame Bacot, vous avez voulu tuer votre mari ? – Non. – Non ? Vous vouliez quoi ? – Me protéger. – De quoi ? – De tout. »
Florence Saint-Arroman


Notre article du 19 juin :
Ainsi le procès de Valérie Bacot débutera ce lundi 21 juin pour s’achever le vendredi 25, au tribunal de Chalon-sur-Saône. Nous aurions préféré préserver son anonymat, par égard pour elle ainsi que pour ses enfants mais cela serait ridicule tant la publicité faite à cette affaire est retentissante et bruyante.
« La nouvelle Jacqueline Sauvage » peut-on lire en gros titre ici ou là. Cela reste à voir, d’autant plus que lorsque le vacarme orchestré autour du dossier « Sauvage » est retombé, on a pu entendre d’autres voix venant rappeler qu’en réalité les éléments qui avaient conduits à la condamnation de cette femme à 10 ans de réclusion criminelle, peine à nouveau prononcée en appel, étaient loin du tableau dressé pour les médias et véhiculé par eux et sur les réseaux sociaux.
L’affaire dite « Bacot » est d’ores et déjà la proie de l’opinion publique, alimentée pour et par les médias et les agitations sur les réseaux sociaux, mais peu importe car le procès se déroulera comme il le doit, dans la sérénité de la salle d’audience. L’agitation n’en doutons pas se poursuivra à l’extérieur, ce n’est pas l’affaire de la justice.
L’accusée, qui a avoué avoir tué son mari, sera jugée pour assassinat, ce qui implique qu’elle aurait prémédité son passage à l’acte. Les trois mineurs qui l’ont aidée à dissimuler le crime, poursuivis pour « recel de cadavre », ont déjà été jugés par le tribunal pour enfants du tribunal judiciaire de Mâcon.
Le déroulé du procès éclairera petit à petit le contexte dans lequel Daniel P. est mort de mort violente, ainsi que celui dans lequel le crime a été comme effacé, en tous cas volontairement dissimulé. Les circonstances de révélation de l’assassinat seront également exposées. Puis, sur un autre versant, des experts psychiatre et psychologue rapporteront leurs conclusions relatives à la personnalité de l’accusée.
Il semble acquis que le parcours de cette femme est marqué depuis son plus jeune âge par les désordres et une forme de perversité des adultes qui pourtant en étaient responsables, entraînant forcément des carences. Elle a néanmoins enfreint un interdit majeur qui est au fondement de la vie en société : l’interdit de tuer.
La peine encourue pour un assassinat est la peine de réclusion criminelle à perpétuité (parce qu’il inclut la préméditation, ce qui, au passage, n’était pas reproché à Jacqueline Sauvage, qui encourait, sauf erreur, la peine maximale de 30 ans de réclusion). Sauf révélations fracassantes il semble également acquis qu’en réalité cette peine ne sera pas requise. La peine encourue est la peine la plus haute possible mais chaque dossier est singulier, cette singularité est prise en compte et appréciée par les magistrats. Restent les jurés - le jury populaire - qui auront eux aussi à se prononcer, en se gardant de céder aux pressions qui se jouent sur une autre scène.
Il est évidemment compréhensible, et même, légitime, que les différentes formes de violences qu’a subies l’accusée dès son enfance suscitent la compassion. Serait-il pour cette raison acceptable qu’elle soit dispensée d’avoir à rendre des comptes pour le crime qu’elle a commis et dans le secret duquel elle a impliqué des adolescents, ainsi que sur sa volonté d’échapper, précisément, à sa responsabilité ?
Ce procès à venir est volontiers présenté comme comportant « des enjeux ». On ne voit pas lesquels. Cette femme a reconnu les faits les plus graves. Si elle est accusée d’avoir prémédité son geste c’est que des éléments d’enquête permettent de l’affirmer. Les seuls enjeux qui valent la concernent, elle, car il s’agit de sa vie, passée, présente, et future. Chaque jour d’audience apportera des lumières, il est à craindre que le tableau social dépeint soit terrible.
Florence Saint-Arroman