Chalon sur Saône

Verallia : des salariés portent plainte contre l'entreprise pour non-respect de leur droit de retrait

Par Karim BOUAKLINE-VENEGAS AL GHARNATI

Publié le 09 Septembre 2021 à 06h00

Verallia : des salariés portent plainte contre l'entreprise pour non-respect de leur droit de retrait

Leader européen et troisième producteur mondial de l'emballage en verre pour les boissons et les produits alimentaires, Verallia est poursuivi devant le Conseil de prud'hommes par des salariés pour non-respect du droit de retrait qu'ils avaient exercé suite au suicide d'un de leur collègue. Plus de détails avec Info Chalon.

Les conditions de travail des verriers sont très difficiles, ils cumulent les pénibilités, et la direction a toujours beaucoup de mal à reclasser les salariés.


La mobilisation des salariés a souvent été nécessaire pour éviter des licenciements de salariés inaptes.


En 2018, 3 ans après la vente de Saint-Gobain au fonds américain Apollo Global Management pour 2,8 milliards d'euros, le climat social change, «la financiarisation de l'économie prenait le pas sur le dialogue social de Saint-Gobain» pour la CGT Verallia 71.


Selon le syndicat, «la direction d'alors, avec l'arrivée d'une nouvelle RH, a été d'une violence incroyable».


Un salarié qui occupait auparavant le poste de conducteur mécanicien, Dominique Guignard, 54 ans, avait des inaptitudes. Il vivait très mal sa situation professionnelle, et l'attente d'une solution viable et pérenne de reclassement lui était refusé par la direction.


La RH l'avait alors reçue dans son bureau pour lui dire «des choses dures, violentes, blessantes et humiliantes».


Dominique en était ressorti anéanti.


Lui qui, pendant 23 ans, avait tout donné à son entreprise, «y compris une partie de sa santé», venait d'être traité d'«improductif».


Ses collègues l'ont vu ressortir livide du bureau.


Ses premiers mots ont été: «Je suis foutu... ils vont me virer... je ne suis plus bon à rien...»


Ses collègues et la CGT lui avaient assuré qu'ils ne laisseraient pas la direction de Verallia «le jeter dehors comme ça», qu'ils le soutiendraient et «qu'on en arriverait pas là»...


D'après la CGT Verallia 71, «la direction a frappé à côté et a licencié un autre salarié, pour un autre motif... mais pas très éloigné malgré tout».


Dominique avait été entre temps affecté à une ligne bout chaud (four). Suite à des préconisations de la Médecine du Travail, il a fait l'objet de plusieurs autres changements d'affectation.


D'après certains témoignages, il avait fini par être affecté à des tâches ingrates et son état de santé tant physique que psychologique était de plus en plus précaire.


À tel point que dans son assignation devant le Tribunal de Grande Instance de Chalon-sur-Saône, Verallia relève les propos du médecin du Travail dans son courriel daté du 16 octobre 2018 :


«Bonjour,


J'ai bien revu Monsieur Guignard ce matin, comme prévu, il ne reprendra pas le travail ce jour. (cf. certificat ci-joint).


Le but est bien de gagner du temps jusqu'à la décision d'invalidité, si celle-ci est acquise, alors il sera plus facile de déterminer quel poste l'intéressé pourra être affecté pour les quelques heures de travail hebdomadaires qu'il aua à fournir, sans mettre ses chefs et collègues dans le désarroi et sans prendre de risque pour lui.


Bien cordialement. »


Très affecté par sa situation et ses ennuis de santé,  suite à des vexations et des pressions sans cesse croissantes, Dominique craque...


Le lundi 22 octobre 2018, pendant la nuit, il se suicide.


«C'était du harcèlement moral!», s'exclame un salarié venu ce mercredi après-midi soutenir ses collègues en procès contre Verallia.


Dès qu'ils ont appris le suicide de leur collègue de travail, l'ensemble des salariés de l'usine de la tournée de nuit ont immédiatement cessé le travail, faisant valoir leur droit de retrait.


La tournée du matin puis celle de l'après-midi enchaînait immédiatement faisant valoir également leur droit de retrait.


L'histoire ne s'arrête pas là...


D'après sa fille, le lendemain du suicide de son père, la RH avait téléphoné sur le portable de ce dernier pour «vérifier si ce n'était pas une rumeur»...


La famille devait venir récupérer les affaires de Dominique dans son placard, lequel aurait du être ouvert en présence de la direction, d'un représentant du personnel et de la famille, le mardi matin.


Quelle désagréable surprise de constater que la RH, remplacée depuis, avait elle, fait ouvrir le placard, sans témoin, la veille!


«Aujourd'hui, plus personne ne pourra jamais savoir si Dominique avait laissé des traces de son mal-être professionnel pour qu'un lien puisse être fait entre son suicide et le travail!», déplore la CGT Verallia 71.


Le 23 octobre 2018, un certain nombre d'entre eux portait dans le registre des dangers graves et imminents la mention suivante :

«Suite au suicide d'un collègue qui avait des problèmes de santé, pas de solution de reclassement et a été insulté de non-productif...


Les salariés sont très mal, douleurs, malaises, mal-être et ne peuvent travailler sereinement, ni en sécurité».


Tous les salariés de l'établissement font donc valoir leur droit de retrait.


Cependant, seuls quelques salariés signaient le registre des dangers graves et imminents.


De façon aléatoire, 35 salariés étaient attraits devant le TGI de Chalon-sur-Saône en référé d'heure à heure afin que le tribunal dise et juge que le droit de retrait des salariés devrait être requalifié en l'exercice du droit de grève ne donnant lieu à aucun paiement de salaire.


De facto, la paie de novembre 2018 s'est vue amputée de la totalité de la durée d'arrêt de travail en raison du droit de retrait.


Si le TGI a débouté la direction de son action, le problème du paiement des journées d'interruption du travail reste entier.


La direction ayant procédé au retrait sur des salaires.


Ce mercredi 8 septembre 2021 à 14 heures, 84 salariés déposaient plainte au TGI de Chalon-sur-Saône, devant le Conseil de prud'hommes, pour non-respect du droit de retrait qu'ils avaient exercé suite au suicide de celui que ses proches et amis appelaient  Domi.


Les 84 plaignants étaient soutenus par la CGT, la section du PCF du Grand Chalon, et une trentaine de personnes réunies sur les marches du tribunal.


36 d'entre eux se sont rendus à l'audience qui a duré deux heures.


Parmi les personnes présentes dans la salle, citons entre autres Jean-Michel de Almeida,  co-secrétaire de la section du PCF du Grand Chalon, et Christine Guignard, la femme de Dominique, qui se bat depuis maintenant trois ans pour faire reconnaître son décès comme un accident de travail au lieu de maladie.


À la sortie du tribunal, Christophe Bride, délégué CGT Verallia 71, a lu un communiqué devant l'assistance avant de céder la parole à Me Ralph Blindauer, avocat des 84 salariés.


«La direction ne remet rien en cause!», s'exclame ce dernier, «elle continue de faire la chasse aux syndicalistes».


Plus loin, il parlera de «capital sans cœur» ou d'un «ministère du travail à la solde des entreprises».


«Je sais qu'une chose, c'est que ce n'est pas dans les tribunaux qu'on gagne des droits nouveaux pour les salariés! (...) Il faut créer un rapport de force national», poursuit-il.


«Vous avez renoué avec la solidarité ouvrière, continuez comme ça!», conclut l'avocat avant de céder à son tour la parole à Charlène, la fille du défunt, venue de Lyon spécialement pour ce procès dont le verdict est attendu pour le 17 novembre prochain.


Celle-ci a lu un message de sa mère. En voici le contenu :


«Je vous remercie infiniment de votre soutien et de nous avoir tendu la main à Charlène et moi. Nous vous serons toujours reconnaissantes de vos actions, démarches et de l'amitié que vous portez à Dominique.


Votre soutien nous est très précieux et nous donne la force d'avancer pas à pas.

TOUS avez fait un travail formidable sans rien lâcher pour Dominique et tout ceux qui ont eu besoin de vous.


Mes mots ne seront jamais assez forts pour toutes la reconnaissance qui vous est dû».


Charlène terminera par : «Le boomerang revient toujours à celui qui l'envoie».


Quant à la direction qui conteste le droit de retrait, elle indique que les salariés n'avaient aucun motif raisonnable de penser que leur vie ou leur sécurité, étaient en danger, qu'il s'agit en réalité d'une cessation collective et concertée du travail qui s'analyse en une grève.


Désormais, il appartient au Conseil de prud'hommes de statuer au fond, de dire et de juger si les salariés ont légitimement exercé leur droit de retrait ou non.

 

 


Karim Bouakline-Venegas Al Gharnati