Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Auriez-vous l’amabilité de nous communiquer le code de déverrouillage de votre smartphone ? »

TRIBUNAL DE CHALON - « Auriez-vous l’amabilité de nous communiquer le code de déverrouillage de votre smartphone ? »

Il est 12h30, ce 17 septembre 2021, quand la sécurité du magasin Carrefour appelle la police. On a repéré un individu "au comportement suspect".

Il a pris deux manettes de jeu Nintendo Switch, puis il est allé au rayon automobile de la grande surface. Il a dissimulé les manettes, puis il a pris une photo de la cachette. Puis il est sorti. La sécurité garde l’œil rivé à cet endroit (via une caméra). Tadaaaam ! A 13h10, un autre arrive au rayon auto. « Il regarde son téléphone plusieurs fois. » Il trouve les manettes, se cache pour enlever l’antivol spider.

C’est quoi, un antivol spider ?
Le président Dufour marque une pause : « Je ne sais pas ce que c’est, un antivol spider. » Mais il est bientôt 19 heures et finalement tout le monde se passe de l’info. Nous, on a regardé sur internet. On a rentré « antivol spider », et on a trouvé ça : 
« L’araignée est spécialement adaptée aux produits volumineux à forte valeur ajoutée. En cas de coupure de câble, l’alarme se déclenchera automatiquement prévenant le personnel du magasin d’une éventuelle tentative de vol. Elle incorpore une ferrite AM ou RF si bien qu’elle est détectée par les antennes du magasin. Le voyant clignotant indique le bon état de son fonctionnement. Alarme 95 dB »

C’est quoi, une valeur ajoutée ?
Bon. On se demande jusqu’où deux manettes de jeu sont des produits à forte valeur ajoutée. En réalité, on se demande : c’est quoi, une valeur ajoutée ? On regarde derechef. On trouve ça : « Un produit à valeur ajoutée est un produit dont la transformation va faire augmenter de façon considérable la valeur commerciale. Des expressions dérivées comme à forte ou haute valeur ajoutée qualifie le degré de supériorité qualitative du produit par rapport à une norme établie ou implicite. »
Le gars n’est pas nécessairement diplômé en sciences économiques, mais il sait bien que voler ces manettes c’est toujours mieux que de sortir de la grande surface avec une bassine volée, sans compter qu’elle ne rentrerait pas dans sa poche. Les manettes, si. Il prend donc la peine de payer deux bières, et il quitte le magasin. Il rejoint son pote dans une Clio, la police les arrête.

Refus de remettre une convention secrète de déchiffrement*
Dans le véhicule, « c’est un peu la caverne d’Ali Baba, mais on ne sait pas d’où ça vient », dit le président. Le porteur des manettes déclare aux enquêteurs : « Je suis allé acheter une bière, je suis passé au rayon automobile pour regarder les prix des pare-soleil. J’ai vu les manettes, sans antivols… Euh, si, je les ai enlevés, avec mes mains. » Le pote qui avait pris le volant ne sait pas, lui, ce qu’il a fait. Il a juste pris un pare-soleil en photo. « Auriez-vous l’amabilité de nous communiquer le code de déverrouillage de votre smartphone, qu’on puisse admirer ce pare-soleil ? » s’enquiert l’OPJ (on a reconstitué le dialogue, nous n’étions pas présent à l’audition, ndla) Le bougre refuse. « Il y a des choses trop personnelles dans mon téléphone, mais j’ai rien fait. »

Le pare-soleil est un produit sans grande valeur ajoutée
En parlant de pare-soleil, on a aussi cherché ça sur internet juste pour savoir comment ça s’écrit au pluriel. Manifestement, on n’accorde pas. On apprend de surcroît au passage que : « Un pare-soleil pour pare-brise n'est pas un accessoire coûteux. Vous en trouverez à partir de 5 €, mais le prix dépend de sa taille, du modèle et de la marque. En moyenne, comptez une dizaine d'euros pour un pare-soleil pour pare-brise. » A tous les coups, y a pas d’antivol spider dessus. 5 euros, c’est pas le tarif d’une valeur ajoutée, sans compter qu’à une époque, on voyait des cartons tout bêtes sur les pare-brise, ou les pare-brises, parce que depuis les rectifications orthographiques de 1990** (sacrée année que 1990, ça oui) on peut accorder, sans que ça soit toutefois obligatoire. Y a pas qu’en matière législative qu’on turbine sur les changements, à l’Académie française ça farte aussi, mais on n’est jamais au courant.

Peines non aménageables
C’est ainsi que deux géorgiens, l’un né en 1971, l’autre en 1986, ont déployé une stratégie de haut vol pour chourer deux manettes à forte valeur ajoutée (pour un montant d’un maximum de 60 euros la boîte de deux), et sont condamnés, en leur absence, l’un à 2 mois de prison (condamné à Annecy en novembre dernier, pour… vol en réunion), l’autre à 2 mois de prison, pour complicité et refus de donner le code de déverrouillage de son smartphone. 
Ils avaient chacun demandé l’asile, en furent déboutés tous deux, deux OQTF ont été délivrées à leur encontre, on ne sait pas où ils vivent. Ces peines ne sont donc pas aménageables, c’est la valeur ajoutée quand on se balade en volant de-ci de-là.

FSA

* « L'article 434-15-2 du Code pénal punit quiconque refuse de remettre une convention secrète de déchiffrement de moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisée pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit. »

**https://www.academie-francaise.fr/sites/academiefrancaise.fr/files/rectifications_1990.pdf