Société

Pénuries ? Un phénomène croissant à anticiper

Pénuries ? Un phénomène croissant à anticiper

Alors que nos sociétés peinent à impulser une transformation à la hauteur des enjeux environnementaux, un phénomène grandissant pourrait provoquer les prises de conscience nécessaires : les pénuries. C'est le pari du géographe Renaud Duterme. Rencontre.

Plus de 50 % des médicaments dits « essentiels » ont fait l'objet de signalements de rupture ou de risque de rupture ces deux dernières années, ce qui a donné lieu a un plan national annoncé le 21 février. Quant aux supermarchés, bon nombre présentaient des rayons vides en janvier en raison des blocages des entrepôts par les agriculteurs. Côté énergie, voilà déjà deux hivers que EDF alerte sur les risques de micro-coupures électriques en raison d'une sur-sollicitation du réseau… Et si ces exemples étaient les arbres qui cachent la forêt ? C'est ce que démontre Renaud Duterme, professeur de géographie en Belgique, dans son nouveau livre : Pénuries, quand tout vient à manquer, paru aux éditions Payot (20 €).


COCKTAIL EXPLOSIF
Trois éléments déclencheurs sont à l'origine de ces recherches, comme nous l'a expliqué cet auteur engagé collaborant au blog Géographies en mouvement du Club de Médiapart : « la pandémie du Covid-19 » qui a paralysé toutes nos chaînes de production et d'approvisionnement, « le blocage du canal de Suez pendant 6 jours par le porte-conteneurs Ever Given » en mars 2021 et dont les répercussions se ressentaient toujours un an plus tard et « la guerre en Ukraine » avec les impacts qu'on connaît sur les céréales ou l'énergie.
La conjonction de ces « grains de sable » a en effet incité Renaud Duterme à adopter une approche globale des phénomènes de pénuries. Grâce à une documentation approfondie et d'innombrables exemples récents d'actualité qui parleront au plus grand nombre, son ouvrage propose un état des lieux de toutes les vulnérabilités de notre société, tant en termes d'énergies, de matières premières, de logistique, de santé ou d'alimentation, en mettant l'accent sur l'interconnexion de l'ensemble des sujets. Pour le géographe, c'est ainsi « l'addition de tous les problèmes existants qui tend à créer un cocktail explosif démultipliant leurs effets ». Car, si ces couacs n'ont provoqué que des pénuries partielles et temporaires sur nos biens de consommation, celles-ci sont amenées à se multiplier d'après l'auteur.


EN FINIR AVEC LES MIRAGES
À défaut de pouvoir commenter tous les constats effrayants de ce livre, la remise en cause de certains mirages modernes mérite notre attention. Concernant le pétrole, tout d'abord, Renaud Duterme prône une « anticipation des hausses de prix qui vont être de plus en plus fréquentes » puisqu'il y a moins de producteurs, tandis que les gisements les plus rentables ont déjà été exploités. Or, le pétrole irrigue littéralement tous les pans de notre société : transport, industrie, machines agricoles, etc.Quant au tout numérique vers lequel on se dirige, c'est un fantasme dangereux ! « L'immatérialité est une illusion, précise le géographe. Le virtuel et tous les objets connectés nécessitent des infrastructures très gourmandes en électricité et une extraction de minerais massive qui sont non seulement désastreuses au niveau environnemental mais induisent aussi une dépendance qui nous rend très vulnérables au moindre souci. »


De même, le concept de transition écologique n'est pas à la hauteur des enjeux, tant il est plombé par un « phénomène d'inertie lié au fait que les choix d'exploitation nous engagent sur plusieurs décennies » mais également parce que les énergies renouvelables ne peuvent pas répondre à nos besoins colossaux.


INFORMER POUR MOBILISER
Si cette analyse géo-politique met en relief d'innombrables difficultés, elle permet d'entrevoir une solution efficace bien que difficilement concevable à l'heure actuelle : la décroissance. Et non, il ne s'agit pas de revenir « à la lampe à huile », comme s'en moquait le Président Macron en 2020 pour défendre le tournant de la 5G, un non-sens écologique et inutile socialement.
Selon Renaud Duterme, « il faut concevoir la décroissance comme une opportunité d'augmenter le bien-être ». Rénover plutôt que construire, favoriser l'agriculture locale, diminuer des activités sans utilité sociale et réduire notre consommation sont autant d'axes à prioriser. Et si des changements structurels sont nécessaires, il ne faut pas les attendre pour agir. Éviter autant que possible les supermarchés, privilégier l'alimentation de proximité, cultiver son potager, limiter l'avion et le numérique sont déjà de bons réflexes. Mais « il faut aussi s'organiser collectivement contre des projets contre-productifs », tels que de nouveaux aéroports, mégabassines, autoroutes, zones commerciales, etc.


Selon le géographe, si l'on veut éviter une gestion à venir des pénuries « autoritaire, libérale et guidée par l'argent » qui conduirait à une hausse des inégalités, il est impératif de conscientiser les citoyens pour les inciter à se mobiliser.


Julie Polizzi