Givry

TRIBUNAL DE CHALON - Alcool, vitesse et violence sur route à Givry

TRIBUNAL DE CHALON - Alcool, vitesse et violence sur route à Givry

Il est reproché à cet homme un certain nombre d’infractions au code de la route, au printemps, et une conduite sous l’empire de l’alcool, et des violences sur un autre automobiliste, à Givry, le 24 juillet dernier. Le parquet a fait le choix d’une procédure rapide de comparution, et, in fine, le tribunal reproche au prévenu une forme d’égoïsme : quand il roulait trop vite et dangereusement dans les petites rues sans trottoir de Givry, pensait-il aux autres ? Non. « Mise en danger d’autrui. »

Hier 6 septembre, Hassan X, né dans le sud de la France en 1972, s’est présenté devant les juges, avec sa conjointe, elle est femme de ménage. Sur son égoïsme, il ne sait que dire, son avocat, si. « « La paupérisation conduit à être égoïste. » Si l’audience permet d’en retracer la pente descendante et périlleuse (pas de qualifications, revenus indigents, manque des moyens nécessaires à entretenir une voiture, nécessité d’un véhicule pour sillonner la campagne, louer ses bras pour le SMIC, ne pas parvenir à assurer sa situation ni sa voiture, picoler, picoler en cachette), l’audience ne permet pas de savoir ce qui, dans le cas précis de cet homme a fait obstacle. Obstacles, plutôt, car tout est si complexe en chacun.

Le 24 juillet il se bat comme un sauvage

Maître Marceau soulève des nullités, considérant que les gendarmes n’ont pas été suffisamment précis sur leur procédure, les modalités de contrôle, et celles de placement en garde à vue : « Mon client se rend à la gendarmerie en audition libre, mais 15 jours après seulement on le prive de sa liberté au motif qu’il faut garantir sa présentation ? » Le tribunal retoque les nullités, déclare le prévenu coupable de tout. Il circulait, au printemps, au volant d’une voiture non assurée, pas passée au contrôle technique (« il y avait de grosses réparations à faire dessus, je n’en ai pas les moyens »), pas immatriculée à son nom (elle appartient à ses parents). Ces premiers faits l’auraient conduit en CRPC(1) la semaine prochaine s’il ne s’était pas, le 24 juillet, battu comme un sauvage avec un autre conducteur engagé dans la même petite rue que lui, en sens inverse, puis avait fui et conduit dangereusement, semant les gendarmes (qui eux, s’efforcent, même en poursuivant, de garantir la sécurité de tout le monde), mais laissant sur les lieux son téléphone portable.

La débrouille mène à l’infraction : tout est si réglementé, tout est si cher

Menacée avec un pied de biche, la victime a pris des coups sévères. Elle n’est pas là. « Peur de représailles », écrit ce monsieur au tribunal. Il demande une interdiction de contact. Hassan avait un passager ce jour-là, qui est descendu du véhicule pour lui ôter le pied de biche des mains. Qui est-il ? Hassan ne veut pas le dire.  Ce manque de transparence indispose le tribunal, mais dans ces milieux aux revenus misérables, faits de quelques centaines d’euros arrachés à la sueur du front, ou faits de quelques centaines d’euros du revenu de solidarité active, dans ces milieux on se débrouille, et la débrouille la plupart du temps mène à l’infraction : tout est si réglementé, tout est si conditionné, tout est si compliqué, et tout est si cher, de plus en plus cher. Il y a fort à parier que le passager en question ne souhaite qu’une chose : vivre loin des autorités de toutes sortes.

La pente descendante se met en spirale, on feinte, on slalome, on s’enferme

Dans de telles conditions de vie, on apprend aussi à composer, à faire genre, genre ça va, genre ça roule, etc., alors que rien ne va facilement, et surtout pas dans les clous. Le moyen de faire autrement ?* A un moment donné on le perd, on a raté  des coches, et la pente descendante se met en spirale. On feinte, on slalome, on s’enferme sans toujours en être conscient, dans des cercles où tout le monde ou presque vit ainsi, alors, quand un juge vous regarde droit dans les yeux pour vous demander à quoi vous pensez pour ne pas respecter, à ce point, les lois, vous avez juste le sentiment qu’on vous parle d’une autre planète, et vous biaisez.

« Deux bières, monsieur, ça ne donne pas une alcoolémie d’1.24 gramme »

Hier à la barre, Hassan a biaisé. « C’est ma vérité », disait-il. Comme si des vérités il pouvait en surgir de partout, équivalentes les unes aux autres. Il dit qu’il est alcoolique « depuis 6 à 8 mois », mais il a déjà été condamné pour CEA en 2016. Il dit qu’il n’avait bu que deux bières, « mais 2 bières, monsieur, ça ne donne pas une alcoolémie d’1.24 gramme », renvoie le parquet. Hassan est perdu dans les précisions qu’exige le tribunal, au point que la présidente Therme lui dit qu’elle le trouve « désarmant ». Il vit dans le flou. Seul le flou permet de tenir le coup dans de telles conditions, car il évite de se savoir en infraction permanente, mieux veut ne pas y penser, sinon comment tenir ?

« Plutôt désarmé par les aléas de la vie et la dureté de celle-ci »

Maître Marceau le dit « plutôt désarmé par les aléas de la vie et la dureté de celle-ci ». Son client n’a pas fait d’études, il est cantonné dans des boulots de manutentionnaire ou d’ouvrier agricole, et à son âge ça devient difficile. Cette réalité s’aggrave considérablement après 50 ans : il y a plus jeune, plus tonique, plus rapide, et même pour trier des carottes ça ne va pas le faire. « Sa consommation d’alcool est plus morbide que festive, et c’est un point pour lui car la consommation revendiquée comme ‘festive’ permet aux gens de ne pas savoir qu’ils sont pris dans l’alcool, mais lui, il sait, il sait que c’est un problème. »

Première des obligations du sursis mis à l‘épreuve : ne pas commettre d’infraction.

En avril, son permis fut suspendu 5 mois. En juillet, il n’avait donc pas le droit de conduire. Il a conduit quand même et la somme des infractions est considérable. Le tribunal le condamne à 18 mois de prison dont 6 mois assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans avec obligations de soins, de travailler, et d’indemniser la victime de 800 euros, interdiction de paraître sur les lieux des faits, et de rentrer en contact avec la victime. La suspension de permis est prolongée jusqu’en janvier. 4 amendes de 50 euros. L’année de prison est aménageable sous conditions. La première des obligations du sursis mis à l‘épreuve : ne pas commettre d’infraction.

Florence Saint-Arroman

(1) CRPC : comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, « une faveur », dit la substitut du procureur

*Il y a bien des façons d’être pauvre et de le vivre. Mais au XXIème siècle comme à ceux qui l’ont précédé, on n’aime rien tant que le pauvre vertueux, honnête (de parvenir à ce tour de force). En toute logique ce ne sont pas les gens « honnêtes » qu’on voit au tribunal d’où ce point de vue qui ne saurait être exhaustif, mais qui concerne néanmoins beaucoup de gens qui ont bien du mal à se considérer comme citoyens quand, de de micro-exclusion en micro-exclusion, ils finissent par s’enfermer en eux-mêmes et avec d’autres, partageant leurs galères, de l’alcool et des stups, souvent, pas toujours, la nourriture, aussi. Et qui, souvent, pas toujours, réinventent les réalités : complots, extraterrestres, magie, tout ce qui peut rendre l’existence supportable, en en défaussant une grande partie, en en réenchantant une autre. C’est un fait social contemporain qui se développe en dépit des dispositifs d’aides et d’insertion, lesquels baignent dans un corset administratif semblable à l’antichambre de l’enfer. C’est un fait social contemporain favorable aussi à des problèmes psychiques voire psychiatriques qui s’y enkystent. Que chaque sujet soit responsable de ce qu’il est, de ce qu’il devient, nous ne le remettons pas en question, mais d’un point de vue collectif on peut regarder ce que produisent cette société, son organisation, ses idéologies.