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Christian Gravel, Directeur du Service d'Information Gouvernemental répond à info-chalon.com

Christian Gravel, Directeur du Service d'Information Gouvernemental répond à info-chalon.com

Le réseau de lutte contre la radicalisation est porté dans chaque département par les Préfectures. Interrogée à ce sujet, la Préfecture de Saône et Loire, sans répondre sur le plan départemental, nous a mis en relation avec le Service d’Information Gouvernemental, le SIG, et c’est son directeur, Christian Gravel, qui s’est entretenu avec nous : le clip qui ouvre le site « Stop Dajihadisme » n’est « pas de la contre-propagande », alors que dit-il ?

Le 7 janvier dernier, les attentats à Charlie Hebdo, la prise d’otages et les assassinats à l’épicerie casher font 20 morts en 2 jours : les réflexions menées depuis plusieurs mois sont rassemblées pour une opération de communication gouvernementale. Le SIG lance le hashtag #StopDjihadisme, et met en ligne un clip vidéo qui ouvre sur un site complet.

Cette vidéo ne cesse de faire débat, en raison de la violence des images, de son manichéisme, de la reprise des « codes de Daesh » (choix délibéré), de la mise en scène de signes religieux (la musique, un homme mourant crucifié), mais pour le directeur du SIG il n’est plus l’heure des discussions : « Je veux bien des débats philosophiques, mais à un moment donné il faut arrêter de se triturer la cervelle. D’un côté on a des actes de barbarie, de l’autre on défend des valeurs dont la liberté et le respect de la vie. Il s’agit d’une guerre (cf. discours du Premier Ministre le 13 janvier 2015 à l’Assemblée Nationale), qui se joue aussi sur le web. Il était nécessaire que l’Etat prenne position officiellement. »

Position à l’image du clip : Bien ou Mal, choisis ton camp. « Position officielle » ?

Offensive dans l’urgence.

On voudrait que ça soit si simple et si clair, mais l’on bute sur les ambiguïtés, et la confusion, générées, certes, par les terroristes, mais qui exigeraient, précisément là où ils cherchent à bloquer toute pensée, que l’on en fasse l’effort, en riposte, en prévention, en protection aussi.

En ces temps du « tout explicite », Christian Gravel revendique la pertinence de cette « communication très offensive » et, dit-il, « sans ambiguïté », concédant toutefois que, bâtie dans l’urgence, cette opération de communication à des fins de prévention et d’alerte, ne répond sans doute pas aux problèmes de fond.

L’Etat reste aux prises avec un problème de taille : le phénomène de radicalisation de certains esprits et le départ vers la Syrie ou l’Irak qui peut s’ensuivre a  pris « une tournure inquiétante » parce qu’il ne cesse d’augmenter.

Désarroi.

Il y a une forme d’impuissance face à des comportements dont les caractéristiques échappent. Jeunes en perte de repères ? Certains sont étudiants en médecine ou à sciences po. Jeunes en proie à un fanatisme religieux ? Aucune des questions des écoutants du numéro vert ouvert pour les familles inquiètes ne comporte d’éléments sur la pratique religieuse.

Les réflexions sont certes difficiles à mener, et les travaux divers récemment produits laissent perplexes. Ils indiquent une difficulté à penser ces choses en réalité complexes qui sont portées par une volonté de destruction affichée du côté des réseaux de Daesh ou d’Al Qaïda. Volonté d’ores et déjà hors catégorie, puisque sans mesure : c’est  à cet endroit qu’ils frappent, au sens propre (exécutions, massacres) et au sens figuré (via des videos, des discours de propagande). Choisir de se mettre à niveau, pied à pied, sans autre forme de réflexion, c’est se positionner aussi soi-même à l’endroit où l’on ne peut pas penser, où toute tentative d’élaboration est impossible. Ce choix est en contradiction au fond avec le souci de récupérer les jeunes ou moins jeunes en voie de radicalisation, qui sont endoctrinés et perdent peu à peu leur capacité de sens critique, finissent par coller aux discours, et se soulagent précisément ainsi de l’effort de penser ce qui leur arrive. 

Répondre à la sidération par la sidération peut s’entendre en termes d’attaque guerrière, mais en aucun cas ne saurait avoir la moindre portée pédagogique. Ambiguïté, confusion, amalgame…les terroristes gardent pour l’instant la main sur ce plan. C’est un problème majeur, car lorsque le plan symbolique est négligé, il ne manque pas de faire retour, sous une forme ou une autre. En l’occurrence, c’est une question de vie ou de mort. 

Du concret.

Plus concrètement le gouvernement a ouvert une ligne téléphonique en avril dernier, à des fins de signalement mais aussi de conseils, d’accompagnement et de soutien aux familles. En cas de signalement, chaque Préfet met en œuvre sur son département toutes les mesures qui semblent adaptées à récupérer le jeune. S’il est mineur, on engage sa famille à interdire sa sortie du territoire. La circulaire du 29 avril 2014 du Ministre de l’Intérieur laisse beaucoup de latitude quant aux dispositions possibles : chantiers et séjours éducatifs, parcours citoyens, inscription dans un établissement public d’insertion de la Défense, et même « cas échéant, des missions humanitaires en direction de pays dont ces jeunes se sentent proches peuvent être envisagées », ça laisse songeur. Une position ouverte, néanmoins, un appui aux familles via le numéro vert et des associations, et, dans le même mouvement un « appel à la mobilisation » citoyenne, sur le mode « réveillez-vous », pour un problème sérieux et grave, qui n’a pas encore trouvé une élaboration à sa mesure.

La tentation du miroir est un piège.

Le djihad désigne ici dans le vocabulaire courant un combat armé. Mais dans son sens spirituel il désigne l’effort d’aller à la rencontre de sa propre violence, sa violence intérieure. D’aucuns, comme Benoît Chantre, de l’Association de Recherches Mimétiques, se donnent la peine d’engager un travail de pensée autour de cette question, dont on ne pourra pas faire l’économie, sauf à se mettre en danger accru face à des organisations sans foi ni loi : « Le terroriste veut la violence en tant que telle, en mettant en scène des actes d’une violence inouïe. (…) C’est le refus de voir la vérité de notre propre violence qui nous empêche d’avoir une claire intelligence de la situation présente. Raison pour laquelle les djihadistes ont intérêt à brouiller les cartes. » On ne doit pas faire d’amalgame, dit-on partout. Eh bien, la première tâche consiste à trier, à distinguer. 

Reste à savoir combien de signalements sont faits en Saône-et-Loire, où, comme partout sur le territoire national, les services de police et de gendarmerie sont au travail, avec les Parquets et la Préfecture, en coordination. L’ensemble des services de l’Etat sont mobilisés mais il relève de la responsabilité de chaque citoyen, quel qu’il soit, de ne pas se laisser couper la tête : s’en servir.

Florence Saint-Arroman

http://www.stop-djihadisme.gouv.fr/

http://www.rene-girard.fr/offres/gestion/actus_57-1/les-actualites-rene-girard-association-recherches-mimetiques.html (l’article de Benoît Chantre)