Agglomération chalonnaise

Chasseurs 'versus' renards : un combat inégal

Chasseurs 'versus' renards : un combat inégal

Mal aimé des chasseurs, mal connu du grand public, le renard est au carrefour de polémiques dignes d’un dialogue de sourds. Pour y voir plus clair et plus sereinement, Info-chalon a rencontré un fin connaisseur des renards et des loups : Mickaël Paul, conseiller territorial bénévole à l’association LPO.

Dans l’imaginaire collectif, on associe souvent renard et tromperie. « Serait-ce que l’homme a la faculté de projeter ses propres défauts sur un animal mal-aimé ? » s’interroge Mickaël Paul. La fable est le miroir de l’homme. Ésope ni La Fontaine ne s’y trompaient.

Opportuniste, Me Renard ? Oui, et nous allons vous expliquer en quoi. Carnivore ? Oui, quoiqu’il ne boude pas fruits, champignons ou insectes selon la saison – jusque-là, rien de bien différent de nous. Certains le décrètent nuisible, donc, la cible à abattre, d’autres le considèrent comme un auxiliaire précieux pour l’activité agricole. Tâchons d’écouter les opinions de chacun.

Pour nous éclairer sur le comportement du renard roux, nous avons longuement discuté avec Mickaël Paul, conseiller territorial bénévole à la LPO (Ligue de Protection des oiseaux), association qui étend ses actions aux espèces en danger ou mal aimées. Amateur éclairé du renard et du loup, Mickaël connait ses sources sur le bout des doigts. Loin du fatalisme, il n’a de cesse de partager ses connaissances et ses conseils.

Alors, utile ou nuisible, le renard ?

État des lieux en France : Opération « destruction massive »

En France, le renard est inscrit sur la liste1 des « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (ESOD, autrefois appelée « nuisibles »). À ce titre, et dans la majorité des départements français, il est chassé 365 jours sur 365, jour et nuit, sans aucun quota. On estime de 600 000 à 1 million le nombre de renards abattus chaque année. C’est l’animal le plus tué dans notre pays.

Toutes les techniques de chasse sont permises : « On peut aller le chercher au fond de son terrier quand il a une portée ou le piéger au lacet, c’est-à-dire le laisser agoniser pendant de longues heures » explique Muriel Arnal, présidente de One Voice, association de défense des animaux. La prime à la queue – pratique éteinte depuis que la rage a disparu de France – revient dans certains départements ; son principe est celui des chasseurs de prime : pour un minimum de 35 queues de renard récoltées, le coût du permis de chasse est intégralement remboursé. 

Alors, quel est le fondement de cette législation qui autorise la destruction organisée du renard roux ? Mickaël Paul nous aide à démêler le vrai du faux sur l’impact de notre goupil.

Que reproche-t-on réellement au renard ? Et qui gêne-t-il ?

Voleur de poules ? Occasionnellement, oui, parce que le renard roux est opportuniste : il adapte son alimentation à la saison et à l’accessibilité de la nourriture. C’est pourquoi il consomme champignons et autres végétaux selon la saison. Mais il n’attaquera jamais un élevage protégé. « Il existe des moyens sûrs pour protéger son élevage de volailles, ajoute Mickaël, il suffit de clôturer par un grillage enterré."

Rappelons cependant que la première source de nourriture du renard est constituée de petits rongeurs, qui composent 60 % de son alimentation.

En réalité, le renard peut surtout consommer les animaux élevés uniquement pour la chasse, dont de nombreux oiseaux. C’est l’argument avancé par la Fédération nationale des chasseurs : « le renard fait des dégâts sur les populations de perdrix notamment. »

En effet, en période de chasse, les chasseurs effectuent des lâchers de gibier, dont perdrix et faisans. Ce gibier, issu d’un élevage, est soudain lâché en milieu naturel. Totalement inadapté, il constitue des proies faciles pour le renard… comme pour le chasseur ! « Le cœur du problème est que le renard concurrence les chasseurs », résume Patrick Haffner, zoologue spécialiste des mammifères. Les chasseurs préfèrent éliminer la concurrence.

Ajoutons qu’autrefois, il y avait davantage de renards dans nos campagnes qui étaient pourtant beaucoup plus giboyeuses…

Surpopulation ? À la Fédération nationale des chasseurs (FNC), on se saisit de ce prétexte-là : « Nous sommes dans notre rôle de régulation, plaide Jacky Desbrosse, secrétaire national de la FNC. Sortir le renard de la catégorie des nuisibles, c’est risquer que les populations augmentent encore. » Que répondre à cet argument ? « Les renards, comme d’autres espèces, s’autorégulent de manière intelligente, explique Mickaël Paul : quand la nourriture se fait rare, les renardes ont des portées très réduites, voire aucune portée certaines années. La nature s’harmonise d’elle-même tant que l’homme n’agit pas comme un perturbateur. »

Vecteur de maladies ? « Pas la rage, rappelle Mickaël Paul, qui a disparu chez les renards depuis 1998 dans le pays. Mais il intervient dans le processus de transmission de l’échinococcose alvéolaire, une maladie qui peut se transmettre à l’homme. Précisons toutefois deux choses : d’une part les animaux domestiques peuvent aussi être des vecteurs de la maladie ; d’autre part, l’échinococcose alvéolaire ne représente que 30 à 40 cas par an. » Est-ce un argument suffisant pour l’inscrire sur la liste des ESOP ?

Pour lutter contre la propagation de cette maladie, Mickaël Paul rappelle les gestes d’hygiène élémentaires : ne pas ramasser les baies trop bas au sol, bien les laver, se laver les mains après avoir caressé ses animaux domestiques, vermifuger son chien et son chat et, bien sûr, se laver les mains avant chaque repas. La crise Covid nous aura au moins rappelé l’importance de ces gestes.

Voyons l’autre côté du débat : en quoi le renard est-il utile à l’homme et, plus largement, à tout l’écosystème ?  

Le renard est un policier sanitaire

C’est le constat de plusieurs études menées par des zoologistes et éthologues, explique Mickaël : en détruisant en moyenne 6 000 rongeurs par an, en éliminant des animaux malades et des charognes, le renard évite la pullulation d’épidémies.

Plus surprenant encore, en 2017, l’équipe de recherche menée par R. Hofmeester de l’Université de Wageningen a démontré, en condition réelle, que le renard contribue à limiter la propagation de la maladie de Lyme, en pleine expansion dans notre pays, en régulant les rongeurs hôtes de la bactérie responsable de ce syndrome. Même constat par le Dr Johan Michaux de l’Université de Liège, dans le Livre blanc – Stop aux dérives de la chasse.

Ce rôle de « policier sanitaire » est largement reconnu par les naturalistes qui tirent la sonnette d’alarme contre la destruction aberrante des renards.

Le renard, protecteur des cultures

C’est aussi en tant que prédateur des rongeurs (souris, campagnols) que le renard protège les cultures, rappelle Mickaël. « Le renard est un excellent chasseur, il peut capturer jusqu’à 20 campagnols par jour. Il évite ainsi leur prolifération. C’est un allié naturel, écologique et gratuit contre ces nuisibles. »

Retenons tout de même que les rongeurs causent d’importants dégâts aux cultures, ils font partie des principaux ravageurs des céréales et des grains stockés. Ils dévorent aussi les racines des fleurs, des légumes du potager et s’attaquent même aux arbres fruitiers. Les plantes ne reçoivent plus les nutriments et l’eau nécessaires à leur survie et dépérissent.

« Vous voyez l’incohérence ? souligne Mickaël Paul, moins il y aura de renards, plus les cultivateurs auront recours aux produits chimiques comme le Bromadiolone pour protéger leurs récoltes. Plus polluant et beaucoup plus cher. »

Le constat est unanime dans les études scientifiques : l’agriculture moderne favorise ces communautés végétariennes au détriment des communautés qui s’en nourrissent. Par l’absence de diversités végétales, de haies, de bois ou de forêts, la monoculture donne ainsi un avantage considérable aux rongeurs. Et pendant ce temps-là, les souris dansent !

Mickaël Paul illustre son propos par une actualité ô combien parlante : le 3 septembre 2021, le directeur général de Gradilis – numéro 2 des pépiniéristes français – a explicitement demandé au préfet de l’Hérault de réintroduire des renards pour faire face à « la prolifération des lapins qui s’attaquent aux arbres et aux céréales » !

Le renard a un rôle irremplaçable dans la chaîne alimentaire. Il est un précieux auxiliaire de l’agriculture durable, au même titre que l’abeille et le ver de terre. « La seule solution raisonnable, conclut Mickaël Paul, est de tout faire pour cohabiter avec intelligence. Il existe des cohabitations réussies avec le renard. En Suisse, dans le canton de Genève qui héberge une population de renards conséquente, à Bruxelles et ses milliers de renards protégés, au Luxembourg, à Londres même. »

La prise de conscience du rôle majeur de certaines espèces dans les écosystèmes va en s’amplifiant. L’opinion publique y est d’ailleurs de plus en plus sensible.

Les réalités scientifiques nous incitent à agir aujourd’hui pour préserver ce qu’il reste de sauvage et de biodiversité.

Pour finir sur une parole (de) sage, citons 2 phrases du texte le plus connu et le plus diffusé du Chef amérindien Seattle, datant de 1854 :

« La bête, l’arbre, l’homme. Ils partagent tous le même souffle. Car ce qui arrive aux bêtes arrive bientôt à l’homme. Toutes choses se tiennent. »

Par Nathalie DUNAND
[email protected]

C’est le préfet de chaque département qui détermine les espèces qui peuvent être classées ESOP localement. Le renard peut faire l’objet d’actes de destruction par battues administratives.

Nous remercions tout particulièrement le photographe Julien Arbez pour son autorisation à utiliser ses photos pour notre article. Elles font l’objet d’un somptueux album intitulé : Ma vie sauvage dans le Jura.

Pour plus d’informations sur le sujet :

http://www.sapn05.org/plaidoyer-pour-la-biodiversite-sortir-le-renard-de-la-liste-des-esod/

https://www.aspas-nature.org/campagnes/protection/protegeons-les-renards/protegeons-les-renards/

One Voice

http://www.association-oiseaux-nature.com/renard/

https://www.salamandre.org/article/5-idees-recues-sur-le-renard/

https://www.sudouest.fr/environnement/animaux/le-renard-nuisible-ou-utile-2429109.php

http://especes-nuisibles-invasives.com/nuisibles/renard/