Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Quand on n’est pas un bon mari, on n’est pas un bon père »

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 01 Décembre 2022 à 18h24

TRIBUNAL DE CHALON - « Quand on n’est pas un bon mari, on n’est pas un bon père »

Le garçon âgé de 9 ans a vu le fracas, et il a pleuré. Sa mère et lui ont vécu hébergé à l'Écluse, parce que sa mère était frappée par son ex-mari, mais ce jeudi 1er décembre on juge le nouveau compagnon.

Ça ne s’arrêtera donc jamais ? A la barre, le prévenu, âgé de 37 ans, est assisté par une interprète. A deux mètres de lui, madame est assise : elle ne veut pas se constituer partie civile. D’ailleurs, lors d’une confrontation, elle a d’abord dit qu’il n’avait jamais eu l’intention de la frapper, puis elle a soutenu qu’en réalité il ne lui avait rien fait, que tout ça c’est à cause de l’alcool. Misère. 

Le bruit a réveillé le petit garçon, il a vu la fin de la scène, et il pleurait

C’était le 11 octobre dernier à Châtenoy-le-Royal, après minuit. Il était rentré alcoolisé, super tard. Elle le suivait dans l’appartement, l’agonisant de reproches. Elle a senti les vapeurs d’alcool. Il voulait repartir, mais elle ne lui a pas donné les clés du scooter. Il a passé sa colère sur le mobilier, il a mis la télé par terre, puis il l’a étranglée, lui a mis des gifles. Le bruit a réveillé le petit garçon, il a vu la fin de la scène, et il a pleuré. 

Il a tout cassé dans l’appart, en plus de l’agression physique

A la police qui se présente au domicile, monsieur dit qu’il s’était énervé mais que ce n’était « que verbal ». Ce n’est pas vrai. Il avait même cassé la porte des toilettes. Il y avait les trois jeunes enfants, « qui n’ont plus la télévision » dit la présidente Barbut à ce prévenu qui ne reconnaît pas qu’il a été violent, sans discussion. La présidente lui montre quelques photos de l’appart. Il répond, « les enfants dormaient ».  A ce stade de l’audience, on sait que le parquet va le foudroyer.

« Pourquoi avait-elle des traces sur le cou ? » Mystère

Dans l’attente, il répète qu’il voulait sortir du logement, pour « respirer », « calmer le jeu ». La présidente ne trouve pas ça bien cohérent : « Vous dites que vouliez calmer le jeu et au final vous cassez tout ! » Ce couple s’est formé en février 2019, s’est marié religieusement (le divorce de madame n’est pas encore prononcé) quelques mois plus tard. Ils ont eu un enfant, les deux aînés sont les enfants de madame. « Monsieur, vous dites n’avoir que poussé madame, deux fois, ce qui est déjà une violence, mais alors pourquoi avait-elle des traces sur le cou ? » Mystère.

L’alcool : le problème est moins une question de fréquence que de rapport

La présidente ne désarme pas : ce que décrit le médecin corrobore la scène que madame a décrite aux policiers, confirmée par un garçonnet en larmes. Bah, il ne sait pas. Et puis, il n’a aucun problème avec la boisson, « je ne bois pas tous les jours ». Or le problème est moins une question de fréquence que de rapport au toxique qui modifie l’état de conscience. « Quand vous êtes alcoolisé, vous êtes violent, monsieur », lui assène la présidente. Il ne l’entend pas. Pour lui, son couple existe toujours. 

« Donc la police, votre mère, votre frère, le médecin, tout le monde a mal compris ? – Oui »

La victime (sans besoin d’interprète) dit qu’elle ne comprend pas que la police ait écrit qu’elle avait été étranglée et puis « une gifle, non plus ». Elle s’est cognée en reculant. « La police m’a obligée à faire faire un certificat médical. - Pourquoi le médecin relève un choc psychologique ? - J’ai dit oui, il a cassé la télé, j’étais un peu choquée. - Donc la police, votre mère, votre frère, le médecin, tout le monde a mal compris ? - Oui, ça fait 4 ans que je le connais, il n’a jamais été violent. J’ai un enfant avec lui, je veux continuer à vivre avec lui. »

« Vu l’incapacité de madame à se défendre et vu le positionnement de monsieur »

Les réquisitions d’Aline Saenz-Cobo, vice-procureur, s’abattent sur le prévenu comme autant de coups. On songe à la formule de Charles Pasqua qui voulait « terroriser les terroristes ». Ici il s’agit de violenter le violent. Ça peut être une stratégie, du genre lui passer le goût d’y revenir, mais ça va au-delà puisque qu’elle requiert, « vu l’incapacité de madame à se défendre et vu le positionnement de monsieur », une peine de 6 mois assortis d’un sursis probatoire, avec l’interdiction de contact (que le cadre du contrôle judiciaire n’imposait pas), elle demande aussi le retrait de l’autorité parentale. « Quand on n’est pas un bon mari, on n’est pas un bon père. »

« Le problème c’est l’alcool. Il faut qu’il se soigne, je ne le quitterai pas »

Maître Mirek plaide contre ces réquisitions. « Le retrait de l’autorité parentale ne convient pas du tout à ce dossier, surtout à l’égard d’un enfant qui n’a pas été victime (l’enfant du couple est tout petit). Ce dossier se ramène à peau de chagrin. » (Il ne manque pas de chagrins dans cette histoire, ndla) L’avocate reprend le questionnaire auquel a répondu la victime : pas de violences verbales, ni psychologiques, elle n’a pas peur, ne se sent pas en danger. « Le problème c’est l’alcool. Il faut qu’il se soigne, je ne le quitterai pas. » Maître Mirek lit quelques passages des auditions des enfants, « rien d’inquiétant ». « Les déclarations de monsieur sont constantes. Il a parfaitement respecté le cadre du contrôle judiciaire. » Elle plaide la relaxe « ou un avertissement ».

Sous main de justice pendant 2 ans

Le tribunal déclare le prévenu coupable, le condamne à la peine de 4 mois de prison assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec obligations de travail, de soins, de suive un stage de sensibilisation aux violences conjugales et sexistes et l’interdiction de paraître au domicile de madame. Dit qu’il n’y a pas lieu de prononcer le retrait de l’autorité parentale, « puisque l’enfant de monsieur ne fut ni témoin ni victime ».

« Le tribunal vous interdit de paraître au domicile de madame »

L’homme voudrait surtout savoir quand est-ce qu’il pourra retourner vivre chez et avec madame. La présidente lui explique : « En attendant que vous ayez évolué dans votre rapport à l’alcool, le tribunal vous interdit de paraître au domicile de madame, pour la protéger de vos agissements. Il faudra nous prouver que vous ne lèverez plus jamais la main sur elle. » Il annonce son intention de faire appel de la décision. La vice-procureur signale au tribunal qu’il serait peut-être utile de lui expliquer que même s’il fait appel, l’interdiction est active dès maintenant, que l’attente de l’appel ne lui donne pas le droit d’y aller.

« Arrêtez vos salades »

Au cours de l’audience, le parquet s’est adressé à la victime : « Donc, quand vous avez appelé la police, c’était juste pour la télé cassée ? – Oui. J’aurais pas dû. – Arrêtez vos salades, vous n’avez pas appelé pour ça. » Lui, en audition, parlant de sa colère : « C’est une réaction normale, c’est comme tout le monde. » * Un petit garçon, au cœur de la nuit du 10 au 11 octobre dernier, en a pleuré. « Je l’ai vu pousser maman contre le mur. » Il avait école quelques heures plus tard.

FSA 

On peut lire dans le Monde, une enquête signée Ariane Chemin sur les violences conjugales dans l’histoire : « Si les actes et les mots se ressemblent, le regard que la société porte sur eux s’est cependant profondément transformé. Considérées comme nécessaires, voire légitimes, par les « coutumiers » du Moyen Age – qui recensaient les droits, usages et règles propres à chaque communauté et imposaient aux maris un « devoir de correction » –, les violences conjugales ont été non plus recommandées, mais largement acceptées au XIXe siècle, par une société organisée autour de la figure toute-puissante du chef de famille. Cette tolérance a fait place, un siècle et demi plus tard, à une ferme réprobation : aujourd’hui, les violences au sein du couple suscitent un opprobre moral, social, politique et pénal unanime. »
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/25/violences-conjugales-autrefois-encouragees-aujourd-hui-inacceptables_6151526_3232.html