Chalon sur Saône

Vivement 2023 à Chalon sur Saône ? Oui !

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 29 Décembre 2022 à 19h05

Vivement 2023 à Chalon sur Saône ? Oui !

L’institution judiciaire dont l’image est aisément mauvaise (et souvent à tort, mais encore faut-il s’y intéresser vraiment pour le savoir) ne peut pas lâcher sur ses symboles, fussent-ils apparemment dérisoires comme le perron, car ils représentent ses principes et son autorité.

La dernière audience pénale de l’année a eu lieu ce 29 décembre. Une audience sans prothèse auditive (une affaire du Creusot à lire demain), une audience soumise comme souvent à une carence d’expert psychiatre, à un manque de moyens suffisants dont les effets se font bien sentir désormais, dans un palais de justice dont le perron est toujours maculé de fientes d’oiseaux, au point d’en être repoussant. Côté symbole ce n’est pas bon du tout, côté hygiène non plus, d’ailleurs. Cela fait des mois que ça dure, la majesté du lieu en prend un sacré coup.

L’institution judiciaire dont l’image est aisément mauvaise (et souvent à tort, mais encore faut-il s’y intéresser vraiment pour le savoir) ne peut pas lâcher sur ses symboles, fussent-ils apparemment dérisoires comme le perron, car ils représentent ses principes et son autorité.

Manque de moyens : aggravation 

L’année fut à nouveau marquée, après l’appel des 3000 magistrats et greffiers*, par une journée de mobilisation en novembre. L’institution judiciaire souffre. Comme tout souffre dans ce pays ? N’est-il pas surprenant qu’on parvienne à de tels « mal-être au travail » dans un pays dit riche ? Les façons de voir qui emportent certaines décisions, en faveur de prétendument plus d’efficacité donc de « rentabilité » au mépris de la nature même des professions, de leurs objets, que ça soit dans le domaine médical et du soin, à la poste et aux services qu’elle ne rend plus, aux « plateformes » de toutes sortes qui nous rendent fous, et en justice où « bien juger c’est prendre le temps » (sauf que c’est aussi dormir suffisamment, manger quand il le faut, ne pas siéger jusqu’au cœur de la nuit comme on l’a vécu bien des fois au cours de ces dernières années - une pensée au passage pour les avocats qui sont soumis à des rythmes qui leur sont imposés) ne mériteraient-elles pas d’être interrogées autrement ?

Toutes les souffrances possibles à la barre du tribunal

La souffrance s’observe partout, à commencer chez la majorité des prévenus : alcooliques, toxicomanes, dépressifs, malades mentaux (toutes choses n’étant pas égales) aux conditions de vie âpres et si difficiles, réagissant dans le passage à l’acte ou tout simplement glissant dans les infractions à cause de modes de vie qu’on leur enjoint de redresser, alors qu’à l’extérieur du palais, dans la société, les moyens manquent aussi, du coup les places manquent, le temps manque, etc.

Nous dépendons les uns des autres

Interroger autrement, c’est peut-être commencer par intégrer que nous sommes tous interdépendants, n’en déplaise à l’air du temps qui veut nous voir atomisés. N’en déplaise à l’hyper individualisation, nous dépendons les uns des autres. Interroger autrement, c’est accepter de voir (ce que les maires des petites communes voient très bien, eux) et de savoir, les effets en chaîne que la fermeture d’un accès aux services publics ici, que la numérisation obligatoire là, que le départ en retraite d’un médecin ou d’un dentiste, que la fermeture d’une école, provoquent. Tout est ramené à des prestations de service et on ose s’étonner que la déshumanisation par petites touches, mais bien réelle, cause de la souffrance, des souffrances et leurs ravages ?

Un homme ne tient pas sur ses jambes par la seule force de ses muscles

L’institution judiciaire traite en bout de course nombre d’affaires dont les histoires racontent encore et encore qu’un homme ne tient pas sur ses jambes par la seule force de ses muscles, racontent qu’on ne peut traverser l’existence juché sur une paille. La force du maillage social dans son ensemble aide les uns et les autres à se tenir debout. L’affaiblissement de ce maillage, quand ce n’est pas quasiment sa disparition, ne peut que précipiter certains et certaines dans des chutes qui par effet boule de neige ont aussi leurs coûts, même si chacun reste responsable de ce qu’il fait. Sur un autre plan que le judiciaire, on paie tous pour savoir que les services publics sont à la ramasse, que certaines professions ne recrutent plus (et pourquoi ?), et qu’on est, pour le coup, victimes de carences qui insensiblement mais efficacement modifient nos rapports à notre santé, aux relations avec les autres, etc.

S’interroger autrement, poser les problèmes autrement, on voudrait le souhaiter, mais l’engin mâtiné de son « toujours plus avec toujours moins » garde sa séduction, jusque dans les revendications du fameux « pouvoir d’achat », qui n’a de pouvoir que le nom.

Perron versus balcon

Assister aux audiences pénales c’est être au balcon, avoir une vue d’ensemble tout à fait instructive sur des difficultés (et leurs conséquences sur tous les plans et pour tout le monde) que cette société perpétue en dépit des constats (sous forme de camemberts et de statistiques, comme on les aime) terrifiants que l’on fait partout, et en dépit d’initiatives constructives et bonnes pour la santé qui se fraient un chemin un peu partout aussi. Mais le rapport de forces…

La justice est loin d’être laxiste

Fin janvier prochain, nous travaillerons avec le service des juges de l’application des peines (sur le ressort de cette juridiction ils sont trois, trois JAP comme on les appelle) pour expliquer et montrer que les peines ne s’arrêtent pas au jour du jugement et que la justice est loin d’être laxiste. Sauf que l’institution judiciaire n’est pas comptable des moyens insuffisants à l’extérieur (moyens en personnes et en temps, parce que versant médocs, ça va bien) et que le corps social, avant de lui jeter des pierres, pourrait regarder comment il fonctionne, lui.

Vivement 2023 ? Bien sûr ! La vie est là, il faut la saisir.

FSA

* https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/23/l-appel-de-3-000-magistrats-et-d-une-centaine-de-greffiers-nous-ne-voulons-plus-d-une-justice-qui-n-ecoute-pas-et-qui-chronometre-tout_6103309_3232.html 
« Aujourd’hui, nous témoignons car nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout. Nous, magistrats, faisons le même constat que les justiciables. Nous comprenons que les personnes n’aient plus confiance aujourd’hui en la justice que nous rendons, car nous sommes finalement confrontés à un dilemme intenable : juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables.
Les attentes fortes des justiciables à l’égard de la justice sont légitimes, les critiques doivent être entendues et vues comme une chance de progresser pour notre institution. Nous devons rester à l’écoute. Mais ce dialogue entre la justice et la société est aujourd’hui rendu impossible par une vision gestionnaire de notre métier à laquelle nous sommes chaque jour un peu plus soumis. »