Agglomération chalonnaise

HARCELEMENT SCOLAIRE - Hannelore Mougin, avocate au Barreau de Paris, est intervenue au lycée agricole de Fontaines

HARCELEMENT SCOLAIRE - Hannelore Mougin, avocate au Barreau de Paris, est intervenue au lycée agricole de Fontaines

Elle a animé deux ateliers juridiques à destination des personnels de l’établissement. Interview pour info-chalon.com.

Tout d’abord, permettez-nous une certaine curiosité. Qu’est-ce qui vous a amené en Saône-et-Loire ? Serait-ce les attaches locales de votre associé Maxime Thiébaut, originaire de Chalon-sur-Saône, avec qui vous avez créé le cabinet Fidelio Avocats ?

Le cabinet que nous avons fondé avec Maxime intervient dans toute la France pour défendre des particuliers, des collectivités territoriales et des entreprises. Il est évident que nous avons une attache toute particulière avec la Saône-et-Loire. C'est donc tout naturellement que j'ai répondu favorablement à la sollicitation du lycée agricole de Fontaines, et je prends toujours plaisir à partager mon expérience avec les acteurs et agents publics le désirant.

Comment définir le harcèlement à l’école ?

Il n'est pas aisé de définir le harcèlement à l'école. En réalité, le texte légal qui le pénalise ne donne pas de définition précise. D'une manière synthétique, il est possible de définir le harcèlement scolaire comme un ensemble de comportements et d'agissements répétés infligés par un élève ou plusieurs élèves à l'encontre d'un autre élève et ayant pour effet, une atteinte dans ses conditions d'apprentissage et une dégradation des conditions de vie. 

Les comportements et agissements répétés peuvent prendre la forme de violences verbales (insultes, moqueries, brimades par exemple), de violences physiques (bousculades, coups) ou de violences psychologiques (humiliations, mises à l'écart).

Il s'agit de comportements intentionnellement agressifs qui s'inscrivent dans un schéma d'habitude. Ils instaurent un rapport de domination à l'encontre de l'enfant, du jeune qui en est la victime, car celui-ci ne parvient pas à se défendre. 

Bien souvent aussi, la victime d'une telle entreprise subit plusieurs formes d’agissements. Le développement des réseaux sociaux a également donné naissance à un nouvel espace de conflictualité, ce qui favorise aussi les entreprises de cyberharcèlement et la violence numérique. Le harcèlement scolaire ne se limite plus à la salle de classe ou les couloirs ; il poursuit l'enfant jusque dans sa chambre, ce qui accroît considérablement sa souffrance. 

Comment reconnaître un enfant victime de harcèlement scolaire ?

Les faits de harcèlement ne sont pas toujours visibles et rendent la détection d'une situation parfois compliquée. Il faut savoir que les enfants ou jeunes, qui sont harcelés, présentent souvent une vulnérabilité (ex. situation de handicap, homosexualité, etc.), qui a pu conduire un autre élève ou camarade à l'entreprise de dénigrement. Plusieurs signaux peuvent interpeller et amener à s'interroger sur l'existence d'une situation de violence ou de harcèlement scolaire. Un enfant ou un jeune victime de harcèlement va présenter certaines caractéristiques. On peut retrouver ici une perte de joie de vivre, un changement dans le comportement avec un repli sur soi, un isolement, une perte d'appétit ou a contrario des excès dans l'alimentation, une baisse significative des résultats scolaires. On dénombre aussi du matériel scolaire détruit ou détérioré, des passages récurrents à l'infirmerie, une "phobie scolaire", une augmentation de l'absentéisme, des troubles du sommeil ou des gestes d'auto-agression. 

Je tiens aussi à préciser l’existence du réseau Canopé, opérateur du ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse. Il a pour mission la formation et le développement professionnel des enseignants. Il participe à des campagnes de sensibilisation au sein des établissements et à destination des parents. Il donne ainsi les clefs pour aider à identifier les situations de harcèlement et les gérer. En ce sens, un guide d'identification de signaux faibles existe à destination de tous les acteurs.

Quels conseils donneriez-vous aux parents qui pensent que leur enfant est victime de harcèlement ?

Je pense qu'il est important de ne pas affronter la situation seuls. A mon sens, en cas de suspicion d'une situation de harcèlement ou d’autres faits graves, il est important de parler avec son enfant et de le rassurer. L’écoute est essentielle ; parfois vitale. Il est donc important de le comprendre et de ne pas douter de sa parole. Il faut aussi l'accompagner dans cette épreuve. 

Les parents doivent ensuite prendre rendez-vous avec la direction de l'établissement et échanger avec elle du vécu de leur enfant. En suivant, l’ensemble des acteurs (professeurs et infirmières quand elle est présente) doivent être informés de la situation pour mieux y faire face.

Pour finir, il est toujours possible de proposer à l'enfant ou à l’adolescent de rencontrer un tiers pour échanger plus librement. Ce peut être un médecin de famille, un psychologue, une association. Il existe également un numéro vert (3018). Je le répète : libérer la parole est essentielle pour surmonter l’épreuve et, in fine, retrouver de la sérénité et reprendre une scolarité normale.

Malheureusement, on ne sait que trop bien qu’un harcèlement ignoré peut tuer. Au mieux, il laisse des séquelles profondes et peut perturber irrémédiablement la croissance de l'enfant. 

Enfin, il reste bien évidemment la possibilité de déposer plainte à la gendarmerie ou auprès d'un service de police. A ce propos, je souligne que le Conseil National des Barreaux, qui est l'organisation nationale des avocats, a lancé une campagne de communication à destination des enfants pour leur rappeler qu'il n'y a pas d'âge pour avoir un avocat et pour défendre leurs droits.

Quelles sont les sanctions qui peuvent être prononcées contre les harceleurs ?

Plusieurs types de sanction peuvent être prononcées à l'encontre des enfants ou ados qui se rendent auteur ou complice de harcèlement scolaire. 

Le harcèlement à l'école est un délit qui est sanctionné par une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende. Bien évidemment, le délit est réprimé différemment en fonction de l'âge de l'auteur (mineur ou majeur). 

En parallèle, l'élève harceleur peut aussi voir sa responsabilité disciplinaire engagée. Il peut par exemple être renvoyé de l’établissement scolaire à titre définitif. On espère seulement qu’il comprendra sa faute et ne recommencera pas ailleurs… 

Pourtant la justice ne semble pas sévère, ainsi que nous l’a rappelé l’affaire du suicide de Lucas où quatre mineurs poursuivis pour harcèlement ont été relaxés en appel. Que pensez-vous de l’arrêt de la cour d’appel de Nancy ?

Cette affaire est très triste à l'image d'autres affaires qui déchirent des familles. Pour autant, je ne crois pas que l'on puisse opposer à la justice un certain laxisme du fait de la relaxe des quatre mineurs poursuivis dans ce dossier. Il faut se rappeler que la loi, qui incrimine le délit de harcèlement scolaire, est encore récente puisque le délit a été inscrit dans le code pénal en 2022. Aussi dramatique fut l'issue de ce dossier, la justice se doit de juger avec les yeux secs. Les commentaires qui ont été faits de cette affaire mettent une exergue un débat juridique et non une remise en cause de la réalité des agissements matériels dénoncés. Tout l'enjeu était de savoir s'il existait un lien de causalité entre les faits commis par les quatres mineurs poursuivis et le décès de Lucas. La cour d'appel de Nancy ne l'a pas retenu. A ma connaissance, le Parquet Général et la maman de Lucas ont fait pourvoi en cassation. Notre plus haute juridiction sera donc amenée à trancher le dossier et à dire si les juges d'appel ont correctement appliqué la loi. 

Que pensez-vous de la proposition de loi de la sénatrice Marie Mercier visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement de l’harceleur pour protéger la victime ?

Madame la sénatrice a visé juste par sa proposition de loi. Elle a su faire preuve de réalisme en la matière. On notera que le décret n°2023-782 du 16 août 2023, relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires, a permis le durcissement des sanctions pour une meilleure prise en charge des situations de harcèlement scolaire.

Trop souvent, la victime qui révélait les faits était celle qui devait changer d'établissement pour retrouver de la sérénité. Il est temps aujourd'hui que la peur change de camp et que les enfants auteurs de tels faits prennent conscience de la gravité de leurs actes et des conséquences que ceux-ci peuvent avoir, même s'ils n'escomptent pas un certain résultat. Il faut protéger l’enfant victime et recadrer l’enfant harceleur. L’un et l’autre sont voués à devenir des citoyens à part entière. Tel est – rappelons-le – l’objectif de notre Education nationale.