Politique

« Laïcité, ce mot qu’on doit dorénavant défendre alors qu’il nous défendait » : le discours courageux d'Abnousse Shalmani

« Laïcité, ce mot qu’on doit dorénavant défendre alors qu’il nous défendait » : le discours courageux d'Abnousse Shalmani

Le 9 décembre est la Journée nationale de la laïcité. Une notion trop essentielle pour la laisser aux seuls politiques. La parole est aux intellectuels issus de l’immigration.

Un mot dont le sens glisse et doit sans cesse être redéfini, parce que mal compris, voire dévoyé par ceux qu’il dérange, que ce soit par idéologie politique ou dogmatique.

Liberté de conscience

Allons sans ambages au cœur de son principe : la laïcité est l’un des piliers de la République française qui garantit la liberté de conscience et protège la liberté de croire, de ne pas croire et de changer de conviction. En France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions.

Le blasphème (parole qui outrage la divinité, la religion, le sacré) n’existe pas dans le droit français (le délit de blasphème a été supprimé en 1881). Critiquer ou se moquer d’une religion, contester l’existence d’un dieu est parfaitement autorisé en France, à l’inverse de l’injure. Ce sont les personnes réelles que la République protège, non les idées ; et un croyant ne peut se considérer « être sa religion ».

« Tout cela est permis, et c’est ce qui fait la grandeur d’un pays comme la France […] Notre conception de la liberté, celle de dire et de rire, de dessiner et d’écrire sans entrave, s’est forgée dans un long combat contre toutes les censures et nous y tenons, parce qu’elle fait partie de notre identité. » (Laboratoire Loiret de la Laïcité)

Pour les plus jeunes, explication en animation : Comprendre la laïcité en France en trois minutes

Sortons du cadre institutionnel et écoutons ces voix. Non celles de politiques de tout bord, mais celles d’un homme et d’une femme issus de l’immigration qui portent haut leur voix pour défendre cette liberté.

La laïcité est-elle en danger ?

Richard Malka est issu d’une famille juive originaire du Maroc. Fervent défenseur de la liberté d’expression, et de la liberté tout court, il est entre autres l’avocat de Charlie Hebdo. Hier, 8 décembre 2023, le magazine Montpellier en commun lui a posé la question à l’occasion de sa venue pour une conférence sur la laïcité.

« Ah oui, clairement ! Nous assistons à une régression tragique des capacités à accepter la remise en cause de nos croyances. Sous prétexte de ne pas heurter, on tombe vers une tyrannie de la pensée. Respecter tout et tout le monde, c’est ne plus parler de rien. »

En 2020, il est l’avocat de Mila, une adolescente de 16 ans harcelée et menacée de mort sur les réseaux sociaux pour avoir critiqué l’islam dans une vidéo. Il signe une tribune en défense du droit au blasphème.

C’est aussi le procès des attentats à Charlie Hebdo en 2015 qui fait connaître ses plaidoiries factuelles et implacables, publiées dans de brefs opus comme Le Droit d’emmerder Dieu (2021) et Traité sur l’intolérance (2023). « Les croyances ne peuvent jamais exiger le respect. Seuls les hommes y ont droit. Aucune croyance, aucune idée, aucune opinion ne peut exiger de ne pas être débattue, critiquée, caricaturée. »

En 2021, il recevait le Prix de la Laïcité, écoutez-le :

Vidéo : richard-malka-aujourdhui-cest-le-temps-de-laction-de-lengagement (13 min).

« La laïcité est l’affaire de tous les citoyens » dit-il ailleurs. Et de rappeler, s’adressant plus particulièrement aux jeunes générations, que des hommes sont morts pour que vivent les libertés, qu’il est illusoire de penser qu’elles sont définitivement acquises.

Le discours tonitruant et courageux d’Abnousse Shalmani

Elle est journaliste et écrivain d’origine iranienne. En 1985, elle a fui le régime iranien avec sa famille pour s’installer à Paris. L’absence de liberté d’expression, elle l’a vécue.

Récemment, lors de la remise du Prix de la Laïcité 2023 dont elle était présidente du jury, Abnousse Shalmani a prononcé un discours retentissant qui a fait se lever la salle : « Au nom d’une tolérance dangereuse, nous avons collectivement laissé prospérer une intolérance qui tue ». Et de la nommer, sans fard et sans peur. Sans illusions, sans fausse bienveillance. Et de rappeler le courage d’autres, ailleurs, « qui se battent pour nos valeurs, que nous ne voyons même plus tant nous sommes confortablement vautrés dedans. » Elle ne mâche pas ses mots, désigne, accuse et rend hommage à ceux qui, comme elle, connaissent le prix et la fragilité de cette liberté. Les commentaires des internautes affluent aussitôt : « un discours à apprendre par cœur », « un véritable credo du citoyen » ; on salue ici sa lucidité, là son héroïsme, et l’on se désole que les politiques n’aient pas le millième de son courage. Écoutez-là plutôt :

Vidéo : Discours d’Abnousse Shalmani

Quelques extraits :

« Laïcité. Ce mot qui devrait être un refuge pour tous parce qu’il garantit la liberté pour chacun de vivre sa foi ou son athéisme au grand jour sans crainte d’arrestation, de torture, de mort, qui autorise l’expression de n’importe quelle idée blasphématoire dans les limites du droit. Ce mot qu’on doit dorénavant défendre alors qu’il nous défendait […] ce mot qui se retourne en une insulte dans la bouche des ennemis de la liberté et de la France. Sans ce mot, il n’y a plus de refuge nulle part pour les amoureux de la liberté, les persécutés. Sans ce mot, je ne serais pas là. Respirer l’atmosphère de la laïcité après les voiles noirs du fanatisme et les barbes touffues de la haine, retrouver la possibilité du choix de la parole à voix haute, de la sécurité fut une nouvelle naissance pour moi comme pour tant d’autres exilés au fil du temps. La liberté sonnait alors comme une victoire.

Aujourd’hui, nous voilà réduits à défendre la liberté, la laïcité, à nous défendre de n’être ni racistes, ni colonialistes, ni islamophobes. Nous voilà sur la défensive. […]

Par lâcheté, par peur, par paresse, par culpabilité mal placée, l’Occident, l’Europe, la France se sont laissés dériver vers une tolérance qui laisse s’épanouir l’intolérance. “Il est un cas où la tolérance peut devenir funeste à une nation, c’est lorsqu’elle tolère une religion intolérante”, écrivait Helvétius à propos du catholicisme […] Ce pourrait s’appliquer à toutes les religions et aujourd’hui, ici, maintenant, surtout à l’islamisme.

[…] Le sang a coulé en France : le sang des journalistes, caricaturistes, de policiers, de juifs, d’enfants juifs, de professeurs et de juifs, encore. Le sang a coulé au nom de l’islamisme qui est un totalitarisme. L’islamisme réduit les hommes et les femmes à n’être que des agents de haine et de destruction. L’islamisme est un antisémitisme, un antiféminisme, une homophobie, un antirépublicanisme, un antihumanisme, une fabrique de malheur, un incubateur de ressentiment imaginaire, la promesse de ténèbres pour tous. »

Neutralité n’est pas passivité

La laïcité est et demeure par principe une bataille. Elle est un principe d’émancipation et non pas de soumission.

Terminons cet article par les mots de notre Voltaire, flambeau de l’esprit des Lumières, qui vacille tant de nos jours :

« Il est honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n’en aient pas. »

Par Nathalie DUNAND
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