Chalon sur Saône

TRIBUNAL DE CHALON - Rue Aristide Briand à Chalon, la soirée s'était terminée pleine de violences entre les deux femmes

TRIBUNAL DE CHALON - Rue Aristide Briand à Chalon, la soirée s'était terminée pleine de violences entre les deux femmes

La soirée du 18 avril dernier ne fut pas bonne du tout, dans un logement de la rue Aristide Briand à Chalon. Pas bonne, non. Des nerfs bien agités, des rancœurs, des romans feuilletons, des objets cassés, des armes, du sang.

 A la barre ce lundi 2 juin, deux jeunes femmes. H., 22 ans, et S., 19 ans. Elles reconnaissent que la soirée fut violente et elles aussi, mais ne reconnaissent pas tout. H. conteste des propos insultants à caractère racial, et S. nie avoir porté le moindre coup de couteau. « Dans le feu de l’action il y a eu tellement de violences, des assiettes ont volé c’est quand A. a sorti cette serpette que... » La présidente : « Vous venez dans une démarche d’apaisement chez A., mais vous venez armée. J’ai du mal à comprendre. » 

Les faits, embrouillés au possible

La jeune femme dit qu’elle fut « une femme violente dans sa jeunesse » (elle n’a que 19 ans, sa façon de dire laisse songeur), mais ne l’est plus et à la barre conteste avec vigueur avoir été l’auteur de coups de couteau ayant causé « plusieurs plaies perforantes ». Une entaille au flanc, entre autres, 5 points de suture. ITT de 5 jours pour le tout. S. a déjà été condamnée pour violences, par le tribunal pour enfant. Les prévenues ont elles aussi des ITT (1 jour et 3 jours). 

Les prévenues disent que la petite amie de la victime (chez qui elles se trouvaient ce soir-là) est devenue « hystérique », aurait sorti une arme. Une barre avec trois lames fixées dessus qu’elle brandissait en criant « je vais vous tuer, je vais vous tuer ». 
S. soutient être venue « pour aider » son amie, qui se disait « battue, violée », par cet homme dont elle serait « sous emprise » et qu’au final elle se retrouve à la barre alors qu’elle n’a pas fait ce dont on l’accuse.

Pourtant les témoignages ne vont pas dans son sens, ni la coprévenue d’ailleurs, qui affirme que « ça ne peut-être que S », à qui H. avait passé son couteau avant d’entrer. H. quant à elle, ne sort qu’armée : couteau pliant et poing américain avec lequel elle a frappé le « sale noir ».  Eh oui, on a des propos racistes, d’ailleurs c’est ce qui a déclenché la dinguerie de cette soirée. 

« C’est qui le sale noir ? » a crié le petit copain en arrivant. Ce faisant, il n'écoutait pas sa copine qui lui avait recommandé d’aller directement dans la chambre, de ne pas s’arrêter vers ces filles car des tensions entre eux. En cause : ce qu'elle-même racontait à son amie S. sur sa relation avec cet homme, et qui mettait S. en colère (« J’avais peur pour elle. »), alors cette insulte « sale noir ».
Réponse de S. « C’est toi. » Il lui met une gifle. H. sort son poing américain et le frappe. L’homme sent un impact sur le côté, sans douleur sur l’instant mais il se met à saigner. Œuvre du couteau. On ne donnera pas davantage de détails, on n’a pas tout compris. 

« Faites autre chose de votre vie ! »

Au cours de l'audience, il est encore question d’une interdiction de contact à moitié enfreinte parce que la conjointe d’H. « regardait toutes les stories et « je voulais mes réponses » et « comment elle voyait les fameuses stories alors que je l’avais bloquée », etc., etc. La présidente, lasse, peut-être, de ces histoires à la noix qui occupent bien leur monde et parasitent les vies de ces jeunes femmes : « C’est très bien. Bloquez-vous tous, et faites autre chose de votre vie ! » Si seulement. 

Des jeunesses difficiles, certes, et on a du mal à grandir, vraiment

Des réalités (maladie, handicap, condamnations judiciaires, avortement) bien dures éprouvent des personnes déjà bien éprouvées (placements, foyers voire tiers de confiance pas si fiables) et pas mûres, pas appareillées pour aborder la dureté de toute vie humaine. Franchement, on aimerait savoir quels discours sont tenus à ces jeunes (en dehors de les inonder de morale moralisante, à la noix elle aussi et surtout inopérante, c’est là qu’on pourrait s’interroger) pour que celles-ci soient en telles difficultés à vivre sans être sans cesse prises dans des histoires avec plein d’autres et qui les conduisent devant des tribunaux, à l’occasion.

Les réseaux dits sociaux offrent un outil fantastique d’épandage et de nuisance, mais ne sont pas la cause, non, de ce défaut majeur d’éducation au sens noble du terme. Même si on ne fait jamais ce qu’on veut comme on veut avec des enfants, ni avec personne d’ailleurs - c’est une réalité -, il y a quand même la possibilité de savoir ce qu’on vise (se pose-t-on seulement la question ?). Qu’ils sachent tenir debout par eux-mêmes et qu’ils sachent, justement, aborder, traverser, encaisser, les épreuves ? Est-ce que ça se décrète ? Non. Est-ce qu’on peut agir là-dessus ? Oui.

Un tifo en salle d’audience

Des esprits se croisent, au cours de l’audience, car Maître Truchy (barreau de Dijon) évoque cette question dans sa plaidoirie, prenant l’exemple de Luis Enrique : « Il a perdu sa fille, elle avait 9 ans. Il s’est relevé ! Et il a fait gagner la coupe d’Europe ! » L’avocat ne masque pas son enthousiasme, il nous offre un tifo adapté à une salle d’audience (un tifo rapide et surtout silencieux :)). Il a raison. La procureur a raison aussi, on y vient juste après. Ces deux regards ne se contrarient pas. 
Celui que porte l’avocat, est plus général : que faut-il faire, dire, pour que ces jeunes puissent grandir mieux, accéder à leurs propres vies, sans être les produits souffrants et souffreteux d’un système qui n’est pas à la hauteur de cet enjeu, qui ne vise que l’adaptation sociale nappée ou pas de bonnes intentions, et qui se plante trop souvent pour que ça ne soit pas condamnable. 
Cela n’engage pas qu’il ne s’y fait rien de bon, nulle part ! Mais l’esprit qui préside, rien que par le type de formation requis, explique à lui seul ces renoncements et leurs conséquences.

Toujours cette question : c’est quoi, un être humain ?

On l’a déjà écrit, c’est la honte, vraiment, de se soucier si peu et si mal d’enfants, tout ça parce que les questions ne sont même pas pensées un peu autrement qu’elles ne le sont. Anthony Truchy touche au nerf, c’est si rare de l’entendre en ce lieu que ça mérite d’être souligné. La question de savoir ce que c’est qu’éduquer un petit humain à supporter la vie qu’il porte, dans la mesure du possible, et dans les conditions qui sont les siennes, n’est jamais posée dans sa grande largeur. Jamais. Elle ne l’est pas davantage dans les familles, du reste, soumises elles aussi aux injonctions sociales diverses et variées et loin d’être égales, avec des effets tout aussi variés. Les audiences vraiment nous le racontent d’année en année. 
Viser l’adaptation sociale quand on forme une société, c’est logique et nécessaire. Est-ce suffisant ?  

Réquisitions - « Il y a de plus en plus de coups de couteaux. Les armes sont banalisées »

La procureur a quelques mots aussi sur ces enfances et jeunesses « compliquées, oui, mais » en appelle au principe de réalité. Et ce principe dit ceci : le 18 avril dernier, rue Aristide Briant, une toute jeune femme a sorti un couteau et l’a planté dans un corps, le 18 avril dernier, une autre jeune femme, qui ne sort qu’armée, a joué du poing américain. Et c’est grave. Impossible de ramener ces gestes et leurs conséquences à des histoires de cour d’école (on résume) : on est devant un tribunal de trois juges, à la barre se tiennent deux femmes désormais majeures.

Autre réalité : « Il y a de plus en plus de coups de couteaux. Les armes sont banalisées. On ne peut pas sanctionner une gifle comme un coup de couteau*, on ne peut pas faire l’inverse non plus. » 
La procureur requiert des peines mixtes sur la base de 2 ans mais en différenciant les prévenues, et un mandat de dépôt contre S. « La gravité des faits et les positionnements à l’audience justifient des peines de prison ferme. »

« H., elle vous dit qu’elle assume ce qu’elle a fait »

Maître Moundounga Tsigou plaide pour H., « la compréhension et la clémence » pour des faits « caractérisés ». Il fait la différence entre les deux prévenues : « Le quantum ne peut pas être le même. Elles n’ont pas les mêmes antécédents, et H., c’est quelqu’un qui vous dit qu’elle assume ce qu’elle a fait. »

« Tout le monde ment »

« J’ai trouvé ce dossier catastrophique », attaque maître Truchy qui plaide, lui, « un contexte ». L’avocat apporte un principe qu’il dit avoir entendu « d’un grand juge d’instruction à Dijon » et que nous avons lu chez le non moins grand David Simon : « Tout le monde ment. » « Dans ce dossier, ils mentent tous », insiste maître Truchy, et « vous n’avez aucune investigation qui mettrait au clair » les questions des armes, par exemple. « Je vous demande de la prudence. » L’homme victime n’est pas présent et ne se constitue pas partie civile.

Le tribunal dit les deux prévenues coupables, condamne :

H., à la peine de 15 mois entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, qui commence à l’instant : obligations de soins et de payer le droit fixe de procédure, interdiction de tout contact avec A., la victime et la coprévenue, et de paraître au domicile du couple. Interdiction de port d’arme, inscription au FINIADA.
Pas d’obligation de travail : la jeune femme est en incapacité en raison de problèmes de santé, lourds. Du moins à cette heure. Ça ira peut-être mieux plus tard, qui sait.

S., à la peine de 18 mois de prison dont 10 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, obligations de travailler, de suivre des soins, de payer le droit fixe de procédure, interdiction de tout contact avec A., la victime et la coprévenue, et de paraître au domicile du couple. Interdiction de port d’arme, inscription au FINIADA. 
Les 8 mois ferme sont aménagés en DDSE. Le suivi de la jeune femme – immensément soulagée de ne pas partir « à la rate » - relève du ressort de Mâcon.

FSA

*Ça nous évoque cette audience : https://www.info-chalon.com/articles/2025/05/06/99595/tribunal-de-chalon-il-me-cherchait-j-en-ai-eu-marre-je-lui-ai-claque-le-visage-25-mois-ferme-voila/