Chalon sur Saône

Le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation : « Si la personne adhère, on peut faire quelque chose »

Le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation : « Si la personne adhère, on peut faire quelque chose »

Un peu psychologues, un peu assistants sociaux, un peu conseillers pour l’emploi, un peu éducateurs : les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) sont mal connus du public, or ils sont un des piliers porteurs du système judiciaire français.

Ce jeudi 23 octobre, Serge Monin, directeur du SPIP 71 a organisé une journée d’accueil pour tous les partenaires sans qui les conseillers ne pourraient mener à bien leurs missions. Leurs missions : c’est un CPIP qui fait une rapide enquête sociale des prévenus avant les comparutions immédiates, mais ce sont aussi des CPIP qui assurent le suivi de toutes les personnes condamnées à des « sursis mis à l’épreuve », à des travaux d’intérêt généraux, à des contrôles judiciaires,… à toutes les mesures judiciaires qui se déroulent en « milieu ouvert », soit en dehors de la prison (« milieu fermé »), où l’on trouve aussi une équipe de CPIP pour accompagner les détenus, dans un contexte différent. En milieu ouvert, 1300 suivis en flux continu en moyenne par an sur la juridiction du TGI de Chalon sur Saône.

Ce jeudi l’un des CPIP de Chalon, Christophe Galleron, nous a parlé de son métier. Formé comme tous ses collègues à l’école nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) pendant 2 ans, il a pris son poste en 97. « Nous travaillons sur mandat judiciaire et n’avons pas de pouvoir de décision sur les gens, c’est important car les personnes condamnées trouvent ici un espace de parole et de discussion plus libre du coup. » Le CPIP transmet régulièrement au juge d’application des peines (JAP) des rapports sur l’évolution des mesures auxquelles furent condamnées les personnes dont il assure le suivi (soit 120 à 130 personnes par conseiller, c’est considérable). Les CPIP peuvent aussi donner leurs avis, favorables, défavorables, sur la possibilité de récidive, ou, en cas de récidive, sur la pertinence de la peine à venir. On appelle ce volet « l’aide à la décision judiciaire dans un souci d’individualisation » (de la peine).

Evaluation, suivi, contrôle des personnes, et, entre la date de début de peine et sa fin, tout un travail d’accompagnement pour que d’une part la personne remplisse les obligations qui sont les siennes (la plupart du temps : obligation de travailler ou de se former, et obligation de soins, soit dans le cas d’addictions, soit d’un travail psychologique, soit les deux), respecte les interdictions qui lui sont faites (porter une arme, avoir des contacts avec des victimes ou d’anciens complices, paraître dans telle ville ou tel lieu) – et un accompagnement d’insertion.
Les « sursis mis à l’épreuve » ont une durée moyenne de 2 ans (parfois moins, parfois jusqu’à 3 ans) et les « suivis socio judiciaires » sont plus longs. Le CPIP a donc souvent du temps, et il est ô combien nécessaire.

« Quand je rencontre une personne pour la 1ere fois, explique Christophe Galleron, je lui dis que nous sommes 3 : ‘il y a vous, il y a moi, et il y a le dossier pour le juge’. Qu’est-ce qu’on va faire de ce temps ensemble ? Si on peut le mettre à profit, on va creuser, chercher pourquoi il y a eu ce passage à l’acte délinquant, et si la personne en prend conscience alors on regarde ce qu’on peut mettre en place pour sortir de cette logique. Mais je ne peux pas le faire sans eux, on travaille d’abord sur l’aspect motivationnel, l’adhésion. »

Le CPIP, à l’instar de tous les travailleurs sociaux, ne peut rien faire sans un engagement minimum de la personne condamnée. Et, alors qu’on se demande ce qui le différencie d’un psychologue, un élément de réponse s’impose : on va chez le psy de son plein gré, on arrive chez le CPIP contraint par une décision de justice. Dans ces conditions, le travail sur les résistances que chacun peut opposer, le cumul des résistances inconscientes et conscientes prend une couleur particulière. Et pourtant il va falloir faire avec tout ça, et au final chaque personne est mise devant sa responsabilité une 2ème fois. La 1ere fois au tribunal : responsable de ses actes, et condamnée. La seconde chez le CPIP : que faire de tout ça ? Comment se ressaisir du cours de sa propre vie dans ce cadre hyper contraint ? Travail précieux qui donne aussi une légitimité a posteriori au travail des magistrats : en appeler à la capacité de répondre, de devenir responsable.

Dans cet espace particulier mieux vaut ne pas être psychorigide, car « les choses de la vie des gens sont plus complexes que ça » : « quelqu’un qui respecte parfaitement ses obligations peut récidiver, et l’inverse existe aussi, donc les obligations sont un élément nécessaire mais pas suffisant à éviter la récidive. » Ce qui peut changer le cours des choses, c’est de leur donner du sens, et cela passe par la singularité de chacun. Un travail d’élaboration qui rend justice à une conception de l’homme comme sujet, et comme sujet libre, même sous main de justice.

Depuis environ 18 mois l’équipe du SPIP de Chalon se réunit régulièrement pour des séances d’analyse de leurs pratiques avec une psychologue : leur métier impose des remises en question, parfois personnelles, donc qui bousculent, et puis leur place est propice aux transferts et aux projections (de l’assistant social confident au lieutenant du ‘méchant’ JAP, toute une palette), il faut y travailler aussi. Lieu d’analyse, donc de réflexion : ce que chaque CPIP peut exiger/espérer des personnes qu’il suit, il l’exige d’abord de lui-même. En gros (car la mosaïque de réalités diverses est immense) les petites phrases qui reviennent souvent en audience : « Je ne sais pas ce qui m’a pris », « j’ai pas réfléchi », vont prendre corps / devraient prendre corps au cours des entretiens avec un CPIP. On ne fait pas ce qu’on veut, on ne décide pas non plus de la capacité à penser de chacun (qui existe, mais qui peut être endommagée par des traumatismes), mais « si la personne adhère, on peut faire quelque chose ».

Christophe Galleron tient des permanences délocalisées sur le site de Montceau-les-Mines/Blanzy/Saint-Vallier, 2 jours par semaine. « Sans partenaires, on ne peut rien faire. On a besoin de toutes les ressources, comme les structures de soins, d’insertions, sociales et professionnelles, les municipalités pour l’exécution des peines de travaux d’intérêt général, les structures d’hébergement. On intervient sur un temps donné, ce temps est à la fois celui de l’exécution d’une peine, et de l’accompagnement pour ne pas récidiver. »

Parfois la vie se charge de tout. Christophe Galleron songe à cet homme, super multi récidiviste, condamné à plus de 20 peines de prison, qui a tourné en boucle pendant la majeure partie de sa vie, et qui un jour fit un AVC juste avant une sortie (ce qui lui a sauvé la vie : les secours sont intervenus rapidement). Déclic : il arrête de boire, il arrête de passer à l’acte, il arrête d’aller en prison.

La justice telle qu’elle est pensée et mise en œuvre dans ce pays impose que chacun réfléchisse au « sens de la peine », c’est en cela que les mesures en milieu ouvert sont « des mains tendues » comme le répètent les magistrats en audience, ces mains, ce sont aussi celles des conseillers pénitentiaires d’insertion de de probation. S’en saisir ou pas, telle est la question.

FSA

Photo Samuel Bon
(à gauche, Christophe Galleron, CPIP sur le secteur de Montceau-les-Mines, à droite, Serge Monin, directeur du SPIP 71)