Chalon sur Saône
Bernard Pivot a été le dompteur implacable du parler vrai à Chalon
Publié le 28 Avril 2018 à 13h26
Le poids des mots du maître d’œuvre Bernard Pivot a dû faire peur à certains, au regard de l’assistance squelettique ayant pris fait et cause pour l’animateur de télé-critique littéraire-journaliste et grand défenseur de la langue française devant l’Eternel, ce vendredi soir en la salle Marcel-Sembat de Chalon-sur-Saône. Il n’empêche que les puristes sont sortis requinqués de son spectacle Au-secours ! Les mots m’ont mangé, abreuvés de langage châtié par un comédien crédible dans un rôle taillé sur mesure, et c’est bien là l’essentiel.
A la force du poignet, tous neurones en éveil
Lui qui était si habitué à tirer les vers du nez aux sommités les plus influentes de la littérature, s’est depuis relativement peu de temps aventuré dans un milieu qu’il ne fréquentait pas, éprouvant désormais beaucoup de plaisir à se mouvoir seul sur scène, toujours cependant pour glorifier, certes différemment, l’armée des vocables à même de bonifier la substantifique moelle de tout un chacun. Le personnage campé revit son enfance, durant laquelle « les gros mots vous font grandir plus vite que les autres ». Il a souvenance de son copain Petit Larousse, « avec plein de mots qui étaient autant d’incitations au voyage. Il a été ma première agence de voyages. »
Devenu écrivain, sa verve très fleurie élevée au bon grain de l’humour, de l’autodérision et de la finesse d’esprit, conte les journées à batailler avec les termes, le souci étant qu’ils sont extrêmement nombreux, avec des fonctionnalités foisonnantes. Ses efforts ne seront pas inopérants, puisqu’un jour c’est le Goncourt qui vint récompenser la grandeur de sa plume. Toutes les étapes de la vie d’un homme inféodé à la splendeur de l’écrit sont passées en revue, le mano a mano avec l’inspiration démontre avec acuité que l’accouchement indolore n’est qu’une vue de l’imagination. «Les livres sont d’implacables envahisseurs », a-t-il notamment jeté en pâture. Les histoires d’amour tous domaines confondus ont aussi leurs dommages collatéraux.
La page blanche à déflorer n’est jamais une mince affaire, tandis que le lecteur n’a dans son champ visuel que la partie émergée de l’iceberg…Facétieux souvent, n’employant jamais un ton professoral, vivant, le néanmoins docte orateur aura prêché pour sa paroisse et enfoncé le clou à longueur d’interventions. Le prix à payer afin que l’obscurantisme prenne perpète et que les réjouissances livresques ne se heurtent à une fin de non recevoir.
Des témoignages frappés au coin du bon sens
Au moins un couple de Montcelliens se trouvait dans la salle, et visiblement le sujet du jour a fait mouche. « C’est émouvant, parce que ça me rappelle mon enfance. Il joue avec les mots de façon très subtile, et j’ai découvert qu’il avait beaucoup d’humour. C’est un grand homme, il nous a fait « Pivoter » !, a déclaré Maryse, encore sous le coup de l’émotion. Quant à son compagnon Joël, sa perception a été la suivante : »Je retiens les mots, il est très accessible, pas trop intellectuel, à la portée de tout le monde, il ne se prend pas au sérieux.
Il y a quand même de la poésie, un joli plan de construction du spectacle, et c’est très chronologique. On revoit tous les classiques littéraires très rapidement, mais d’une façon précise et intelligente, et ce n’est pas ennuyeux. » L’auteur régional Emmanuel Mère se devait également d’assister à cette grand-messe. «Je n’attendais rien de spécial, si ce n’est une évocation grandiose de ce que nous, auteurs, on vit. On a tous la même approche des choses, la même façon de travailler. On est tous triturés, mangés, dévorés par les mots, mais c’est un festin jubilatoire. On ne peut s’en passer et grignoter du temps sur une phrase, un paragraphe, le bon mot, quel que soit le niveau de reconnaissance de l’auteur. C’est être un petit peu esclave des mots. Je pense que Bernard Pivot ne pouvait pas trouver un meilleur titre pour son spectacle et son livre, je suis ravi de la soirée, car quelque part un auteur comme moi à la « notoriété locale » finit par se retrouver dans ses propos. On écrit intérieurement, d’où cette forme d’absence que l’on peut avoir pour les autres. Ca peut permettre aux gens de nous voir autrement. »
Michel Poiriault
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