Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Il avait percuté la voiture devant lui à Allerey sur Saône...

TRIBUNAL DE CHALON - Il avait percuté la voiture devant lui à Allerey sur Saône...

Il était là, tranquille, avec sa maman, à picorer des bonbons en mangeant l’immense salle d’audience de ses yeux ronds. Puis l’escorte pénitentiaire est entrée dans le box. Entre deux hommes en uniforme, le gosse repère alors un pull gris clair surmonté d’un visage si familier et si essentiel à sa vie. Le petit ne fait ni une ni deux, il file, porté par l’énergie de ses trois ans et le besoin de se nicher immédiatement dans les bras de son père. Ça fait trois semaines qu’il ne l’a pas vu. L’enfant met le turbo, fend la salle comme un petit bolide, il entreprend de grimper les quelques marches qui mènent à l’estrade du tribunal, elles sont collées au box. Sa mère le rattrape. Ce n’était pas ces bras-là que l’enfant espérait. Il a commencé par grimacer, puis le déchirement l’a emporté et ses pleurs ont monté dans le vaste hall du TGI de Chalon, saturant l’espace. Le tribunal a pu alors juger son père, ce mardi 12 novembre.

Il veut doubler une voiture au niveau d’une intersection

Un papa encore jeune, il a 31 ans. Sa fille a 5 ans, et son fils qui à cet instant se trouve en vrac à l’extérieur du palais de justice, en aura 3 en décembre prochain. Cette famille fait partie des gens du voyage, comme on doit dire maintenant, et navigue entre Perpignan et la région chalonnaise. Récemment, monsieur X avait loué un emplacement pour sa caravane au camping de Gergy. Le 24 octobre il traversait Allerey lorsqu’il a percuté la voiture qui le précédait, pile à une intersection avec la départementale 5. La conductrice, âgée de 79 ans, allait tourner sur sa gauche, elle avait mis son clignotant, mais lui, « ébloui par le soleil », n’a pas vu, et voulait la doubler… Les pompiers ont dû désincarcérer la dame, qui s’en sort avec des côtes cassées et une ITT de 15 jours.

Délit de fuite, et comparution immédiate « à délai différé »

C’est à cause du certificat médical qui manquait à la procédure le 25 octobre que le parquet a requis devant le juge des libertés et de la détention le placement en détention provisoire du chauffard, pour le juger, plus tard, selon la procédure de comparution immédiate. Cette nouvelle déclinaison de la procédure a été introduite dans les textes via la loi de réforme de la justice en avril dernier. Le conducteur n’est pas en état de récidive légale mais il a un casier judiciaire émaillé de délits routiers et un parcours déterminé par une consommation excessive d’alcool. Et puis, le 24, il a délaissé son véhicule et dans son affolement a appelé sa femme pour qu’elle vienne le chercher, ce qu’elle fit. Il y avait suffisamment de témoins pour reconstituer toute la scène. Délit de fuite. Pourtant il s’est rendu de lui-même à la gendarmerie de Verdun quelques heures et une bière plus tard.

« Votre relevé intégral d’information de permis de conduire fait cinq pages »

C’était sa quatrième. Des Heineken « de 33 cl », précise-t-il au président Dufour qui lui demandait quel alcool et en quelle quantité. « Ça fait presque 1 litre, constate le président. – Ah ça, je ne sais pas combien ça fait, répond candidement le prévenu. – 33 x 3 = presque un litre. » Une évidence pour qui sait calculer. Quand on ne sait pas, c’est pire qu’un trou noir, cette affaire-là. Le président lit tout le casier du prévenu. 10 condamnations, à Dôle, à Chalon, à Dijon, à Perpignan. Pour quelques vols, des défauts d’assurances, des conduites sous l’empire de l’alcool, puis conduites sans permis (perte des points, à force), etc. « Votre relevé intégral d’information de permis de conduire fait cinq pages. Ça serait bien, monsieur, que vous preniez conscience que sur la route, vous n’êtes pas tout seul. »

« C’est malheureux qu’il faille que ce soit l’autorité judiciaire qui vous contraigne »

« J’avais jamais fait d’accident auparavant. Je vais tout faire pour ne plus boire d’alcool.
- Monsieur, vous aviez eu un sursis mis à l’épreuve, pendant 2 ans, avec des soins obligatoires pour vous sevrer de l’addiction à l’alcool.
- Oui, mais après j’ai plus vu de médecin, et j’avais plus de cachets, je suis retombé dans l’alcool.
- C’est malheureux qu’il faille que ce soit l’autorité judiciaire qui vous contraigne. Vous êtes grand, monsieur. Je veux dire : vous êtes un homme, quoi. »
Cette parole du président porte un coup. Le prévenu, rouge, baisse la tête et ne dit rien.

« Je ferai tout pour m’en sortir. Vous avez ma parole d’homme »

Le parquet requiert 12 mois de prison avec le maintien en détention. « Il faut qu’il comprenne que cela doit cesser, et s’il veut des soins, il pourra les suivre en prison. » « Donc 3 infractions et un casier comportant un seul sursis mis à l’épreuve, ça donne 12 mois d’enfermement ? Je trouve ça un peu simpliste, répond maître Mirek. Si juger était si simpliste, ça se saurait. » L’avocate (qui, au passage, avait mis en garde la maman sur la difficulté pour des enfants de se trouver là) plaide le repentir, « il a pris des nouvelles de la victime », et l’idée que le tribunal doit trouver une sanction qui permette à son client de sortir de ce qui le mène avec la régularité d’un ressac devant des juges.
Le prévenu a la parole en dernier : « Je m’excuse pour cette petite dame. Vous avez ma parole de père que je vais me soigner parce que c’est pas une vie pour mes enfants de voir leur père toujours dans les bras de la justice. Je ferai tout pour m’en sortir, que je sois incarcéré ou pas. Vous avez ma parole d’homme. »

1 an de prison ferme et 2 ans de mise à l’épreuve
Le tribunal le condamne à 15 mois de prison dont 3 mois sont assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans, avec une obligation de soins (il a un travail, en auto-entrepreneur). Son permis de conduire est annulé, il a interdiction de le repasser pendant 1 an. Le tribunal ordonne son maintien en détention.

Le petit garçon a trouvé à s’apaiser vers une de ses tantes qui a rappliqué vers le palais de justice pour que la mère puisse retourner assister à la fin de l’audience. La mère se rend donc seule sur le côté du bâtiment, là où se garent les escortes. Elle tient le coup. Le véhicule sort du garage, s’engage dans la petite rue, puis son conducteur actionne le deux tons et le fourgon file comme un poisson. Le visage de la maman à son tour grimace, puis le déchirement l’emporte.

Florence Saint-Arroman