Faits divers

TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE CHALON SUR SAONE - Une chute de nacelle mortelle en pleine usine, quatre ans après

TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE CHALON SUR SAONE - Une chute de nacelle mortelle en pleine usine, quatre ans après

Une société spécialisée dans les matériels d’élévation de personnes et de charges a comparu vendredi 10 juin pour homicide involontaire. Le 1er février 2012, un ouvrier a trouvé la mort en testant une nacelle télescopique, en plein processus de montage. Six mois de prison ont été requis contre le directeur de l’époque, trois mois contre un ouvrier à l’origine du mauvais fonctionnement de la nacelle et vingt mille euros d’amende contre la société. Le jugement a été mis en délibéré au 8 juillet.

Vedettes de l’audience correctionnelle du vendredi 10 juin, les deux modèles réduits de nacelles, apportés par l’avocate de la société mise en cause ont été manipulées, pointées, repliées, déployées. Une journée entière, la collégiale des juges s’est penchée sur les secrets techniques de ces véhicules particuliers. Pour mieux comprendre comment, au sein d’une chaîne de montage, au Creusot, en février 2012, un ouvrier expérimenté avait pu être éjecté d’une nacelle et trouver la mort. L’expert, quelques semaines après le drame, pointe l’erreur de câblage, une inversion des branchements de deux vérins. L’expert conclut à l’erreur humaine, le rapport de l’inspecteur du travail diagnostique des défauts d’organisation générale et un manque de prévention.

Trois prévenus sont à la barre. L’ancien directeur du site du Creusot, désormais reconverti dans la papeterie, le responsable national du secteur des relations humaines du groupe et un ouvrier. Ce dernier est d’ailleurs le seul dans le prétoire à avoir assisté au drame. C’est à lui qu’on impute l’erreur tragique. Deux versions divisent les prévenus : l’ancien directeur et la société valident le rapport de l’expert technique qui les exonère de responsabilité. Pour le troisième prévenu, toujours en poste à l’usine, c’est l’inspection du travail, qui a pointé plusieurs failles d’organisation générale qui a raison. C’est d’ailleurs sur le rapport de l’inspection du travail que s’est appuyé le parquet pour les poursuites.

Deux versions : erreur humaine isolée ou défaut global d’organisation

L’erreur a fait fonctionner le mauvais vérin et la brutalité induite de la réaction mécanique  a précipité la chute du panier et la mort de la victime, Louis, ouvrier modèle et bon vivant, qui œuvrait à l’atelier « coiffage » ou capotage, c’est-à-dire à recouvrir les parties techniques d’une carrosserie.  Suite à la modification en 2010 dans la chaîne de montage de l’enchaînement des interventions, pour plus de « fluidité » dans la fabrication des nacelles, ce dernier avait confié à sa femme qu’il n’était pas  très à l’aise. Aux enquêteurs, l’ancien superviseur de la chaîne a confié ses craintes, toujours exprimées à la direction. Des craintes qui le poussaient à interdire aux agents de monter dans les nacelles pendant les tests et relayées par le syndicat CFDT Métallurgie, partie civile. La veuve de Louis, silencieuse et discrète, et se trouvant depuis le décès dans une situation financière et psychologique délicate a précisé « vouloir enfin savoir ce qui s’était passé ». Au milieu des débats hyper techniques, la détresse digne de la compagne résonnait avec beaucoup d’émotion. Me Mathieu, partie civile pour la famille a évoqué « la recherche loyale de la vérité. Le système en vigueur au moment de l’accident était mauvais. La victime a évolué dans un engin pas sécurisé, pas achevé, alors qu’il était possible de procéder autrement. Il n’avait rien à faire dans la nacelle, la manœuvre était dangereuse, l’employeur le sait ».

Reste à savoir si l’erreur de câblage, sur une chaîne qui chaque jour monte des modèles différents, avec des branchements totalement opposés,  aurait pu être évitée par une signalisation efficace ou une prévention plus marquée. C’est l‘avis de l’inspection du travail qui a noté, lors de son passage dans l’usine après le drame, le manque de visibilité de repères souvent illisibles, et « pas fiables ». Depuis, l‘usine a fourni de nouvelles gammes de montage dès mars 2012 et est passée aux codes couleurs. « Rien n’interdisait les  branchements interdits », résume l’inspection du travail pour qui « l’évitement du risque » fait défaut. Selon le parquet, « le décès était évitable. L’erreur de montage doit être rendue impossible par la conception des pièces ou les indications sur ces pièces ».

Un nouveau processus mis en place depuis l’accident

Pour Me Seriot, qui assure la défense de l’ouvrier agent de production qui a fait le mauvais branchement, un jeune homme sérieux et réservé, très affecté par le drame, « le lien entre l’erreur et l’accident n’est pas clairement établi, l’erreur était prévisible et compréhensible. La direction prétend que l’organisation n’était pas contestable, or depuis l’accident, tout a été bouleversé. Cela suppose la conscience de la mise en danger. La direction veut simplement accabler son préposé en ne retenant que l’erreur humaine». Me Seriot a donc plaidé la relaxe de son client, contre qui le parquet a requis trois mois de prison avec sursis.

Le conseil lyonnais de la  société et du directeur de l’époque, avec élégance, n’a pas voulu accabler l’agent de production, « les responsabilités pèsent sur chaque maillon de l’ouvrier au directeur ». Elle défend la réorganisation de la ligne de montage, parle d’évaluation collective des risques, évacue la légèreté de la direction qui selon certains, n’aurait pas tiré de leçon d’une précédente chute de nacelle en 2008 au même endroit. « Il n’y a eu aucun manquement délibéré à la sécurité » insiste Me Blanvillain, elle loue les qualités de la DRH de la société de l’époque, veut à tout prix éviter que la responsabilité pénale de la société soit retenue par les magistrats, ce qui n’empêche aucunement d’indemniser les  victimes.

Le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 8 juillet à 8 h 30.

 

Florence Genestier