Journée Internationale des droits des femmes

Femmes à l'Honneur [Portrait 8] - Frédérique Molay

Femmes à l'Honneur [Portrait 8] - Frédérique Molay

L'écrivaine nous parle d'elle, de la place que prennent les femmes dans ses romans, de ce que représente pour elle cette Journée Internationale des Droits des Femmes, de sa position concernant le harcèlement...

Après l’énorme succès de La 7e Femme, Prix du Quai des Orfèvres 2007 et la sortie de deux autres romans mettant en scène le commissaire Nico Sirsky, chef de la brigade criminelle parisienne du 36 – Dent pour Dent et Déjeuner sous l’herbe – Frédérique Molay a publié Copier n’est pas jouer en janvier 2017, une nouvelle enquête de son héros : une sortie internationale, en français et en anglais. Cocktail de réalisme – on entre dans l’univers de la police judiciaire et du fameux 36 quai des Orfèvres de la police scientifique et de la médecine légale – et de romanesque, les enquêtes de Nico Sirsky martèlent le bitume parisien à un train d’enfer. Avis aux amateurs de polars et aux fidèles de Nico Sirsky : la parution du 5e opus est prévue à l’automne 2018 !

Frédérique, dans vos romans, quelle place ont les personnages féminins ?

Le roman policier a suivi l’évolution des mœurs : les portraits de femmes amoureuses ou méchantes – blondes fatales ou glaciales – ont cédé la place à des profils de femmes professionnelles, lucides, déterminées, à l’image, dans ma série autour du commissaire Nico Sirsky, de la patronne de la PJ parisienne ou de la directrice de l’Institut médico-légal. L’univers personnel de Nico est par ailleurs très marqué par la présence de femmes : sa mère, à la personnalité slave haute en couleur, et sa nouvelle compagne, chef de service d’un hôpital parisien.

Pour l’anecdote, je me souviens d’un propos du magazine Lire à l’époque de la parution de mon roman La 7e femme [Prix du Quai des Orfèvres 2007] : « À noter que son polar laisse aussi échapper quelques accents féministes, prêtés à Sirsky lui-même : ce n’est pas sa moindre qualité ! » J’ai réalisé que j’avais créé un homme qui aime les femmes, qui les respecte, les traite d’égal à égal et à la fois leur porte attention. Tout ce dont on peut rêver.

L'univers dans lequel elles évoluent reste-t-il encore très masculin ?

J’ai eu la chance de croiser la route de Martine Monteil, première femme à occuper la fonction de directrice centrale de la police judiciaire en 2004 et, plus récemment et fugacement, celle d’Isabelle Guion de Méritens, première femme nommée officier général de gendarmerie en 2013. Sur les 116 policiers de la célèbre Crim’, 36 sont des femmes, et 2 des 12 groupes d’enquête sont dirigés par des femmes, ce à quoi il faut ajouter la direction de la documentation opérationnelle de la section antiterroriste de la brigade criminelle. Si l’univers dans lequel mes personnages évoluent reste donc masculin, la situation tend à progresser en faveur des femmes.

Comment construisez-vous vos personnages féminins ? Qu'est-ce qui inspire leur personnalité ?

Dans l’esprit du romancier, réalité et imaginaire se mêlent pour donner naissance à ses héros. Il est toujours délicat de faire la part entre ce qui appartient à l’écrivain, ce qui vient de lui, et ce qu’il a emprunté à l’extérieur.

Pour répondre à votre deuxième question, un exemple : il y a un peu de ma grand-mère en Anya Sirsky, la mère de mon héros ! Elles partagent les mêmes racines ukrainiennes, des yeux d’un bleu profond et une personnalité détonante. Une façon pour moi de remonter le temps et certaines de mes racines familiales…

Que représente pour vous la journée internationale des droits des femmes ?

De grandes causes ont leur journée, leur semaine, mais rien ne remplacera jamais un engagement vrai sur le long terme. Au bout du chemin, la réussite consisterait à pouvoir s’en passer. Ce n’est manifestement pas d’actualité pour la journée internationale des droits des femmes... Cela étant dit, soyons optimistes.

Au cours de votre vie ou de votre carrière, avez-vous vécu ou avez-vous été témoin d'inégalités hommes/femmes ? 

J’ai été témoin de propos sexistes déplacés et, croyez-moi, j’ai pourtant beaucoup d’humour en la matière. J’ai connu des comportements machistes inappropriés ; être une femme a probablement été à plusieurs reprises un handicap dans ma vie professionnelle. J’ai aussi été la confidente de femmes subissant ce qu’on appelle le sexisme ordinaire, à travers des propos inconvenants et dévalorisants, l’attribution de tâches sans aucun rapport avec leur poste. Des témoignages douloureux, des actes inadmissibles quand bien même ils font possiblement écho à un déséquilibre intérieur chez celui qui les produit. Et puis il y a l’inquiétude, si ce n’est la peur, des femmes à réaliser des choses simples comme marcher dans la rue ou prendre le métro seule et tard le soir, simplement parce qu’elles sont des femmes. En France, en 2018, ça laisse songeur.

Depuis, ces dernières années, les politiques tentent de prendre à bras le corps ce problème, la mise en place de la parité vous a-t-elle semblé être une bonne mesure ?

J’ai le sentiment qu’il fallait en passer par là pour donner aux femmes la possibilité de prendre une place dans la vie politique, même si la sincérité, le véritable engagement en faveur de l’équité ne sont pas toujours au rendez-vous. Tout ce que j’espère, c’est qu’un jour imposer la parité ne sera plus nécessaire, que la mesure ne sera plus qu’un vague souvenir dans les livres d’Histoire, et c’est à ce moment-là que nous pourrons réellement fêter l’égalité des chances et des droits. Alors, la parité s’exercera naturellement… et dans les deux sens.

Pensez-vous que l'image et la place de la femme dans la société française doivent évoluer ?

Il y a eu de grandes avancées, bien sûr, grâce notamment à des femmes courageuses, et à des hommes aussi. Il n’y a pas si longtemps, les femmes ne disposaient pas du droit de vote dans notre pays. Cependant, une femme meurt actuellement tous les trois jours sous les coups de son conjoint, l’inégalité salariale est au cœur des débats, alors comment répondre autrement que par oui ? C’est l’affaire des responsables politiques, des médias, mais aussi des parents à travers le message qu’ils transmettent à leurs enfants dès leur plus jeune âge. C’est l’affaire des femmes, cela s’entend, mais aussi des hommes qui pourraient s’engager davantage sur la question.

Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie personnelle ?

Le plus naturellement et le mieux possible. J’ai toujours tenté de faire en sorte que ce ne soit pas un sujet. Bien sûr, fonder une famille nécessite parfois de faire des choix, mais c’est aussi et surtout un bonheur.

Quelle est votre devise ou votre philosophie ?

Une réflexion de René Char : « Je plains celui qui fait payer à autrui ses propres dettes en les aggravant du prestige de la fausse vacuité ». Puisque c’est le sujet du jour, je recommande la citation à ceux qui se laissent aller à toutes les formes de sexisme ordinaire.

Que défendez-vous et que voulez-vous transmettre ?

La liberté, l’égalité, la fraternité bien sûr. Le respect que l’on doit se porter les uns aux autres. Et ce, quels que soient son sexe, son âge, sa couleur de peau, sa religion. C’est ensemble et complémentaires, hommes et femmes, que nous avançons le mieux.

De nombreuses actrices ont pris la parole ces derniers mois, qu'a suscité chez vous l'affaire Weinstein ?

Le harcèlement exercé à l’endroit des femmes est un réel sujet qu’il faut traiter, et tout ce qui permet de le révéler et de le condamner, de susciter le débat collectif, va dans le bon sens. D’une part, il s’agit bien évidemment de savoir distinguer les attitudes ou les mots maladroits d’une agression ou d’un harcèlement. D’autre part, il ne faut pas confondre la revendication des femmes à être respectées avec la volonté d’un retour à un puritanisme que je réprouve – égalité des sexes et liberté de séduire (à la française !) doivent cohabiter. À chacun d’interroger son sens du discernement, cela ne me semble pas si compliqué. Il y aura malheureusement toujours quelques excès, des erreurs d’appréciation de part et d’autre, c’est la nature humaine. Pour autant, il ne faudrait pas, sous prétexte de craindre de ne plus être courtisées, minimiser la réalité de la situation que vivent de trop nombreuses femmes, en France et partout dans le monde. Défendre la liberté de la femme et de l’amour, ce n’est pas accepter d’être prise pour un objet et qu’on se frotte contre vous dans le métro. Sans oublier qu’il y a des hommes merveilleux qui souhaitent voir notre monde changer. Que je vois mon fils grandir dans le respect de ses sœurs et des femmes et qu’il saura, j’en suis convaincue, se conduire en homme bien, qui séduit les femmes comme nous aimons qu’on nous séduise, sans les importuner, en homme qui a une vision de la virilité qui n’est pas celle de la prise de pouvoir.

Homme/femme, un message pour un "mieux vivre ensemble" ? 

Apprendre à lire, à écrire et à compter est essentiel. Apprendre à vivre ensemble aussi, et c'est l'affaire de tous. Le vivre ensemble me semble un équilibre entre l'unité autour de valeurs partagées et l'expression de la pluralité comme source d'enrichissement. Hommes et femmes, nos différences doivent être un atout et non pas nuire à notre complémentarité, à la nécessité qu'il y a à regarder dans la même direction. C'est une manière de militer pour l'Humanité. "Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots." déclarait Martin Luther King. J'ajouterais que ce ne sont pas tant nos différences que notre bêtise qu'y nous y empêche... Mais j'ai foi en l'H(h)omme, avec un petit h et un grand H.

Propos recueillis par SBR - Photo transmise par Frédérique Molay - Crédit photo : Josyane Piffaut