Cinéma
CINEMA A CHALON - "Pas son genre"…Mais sans doute celui du public !
Publié le 10 Mai 2014 à 09h13
Après 38 témoins (2012), Lucas Belvaux revient avec Pas son genre [1], un long-métrage mettant en scène la rencontre d’un professeur de philosophie parisien avec une coiffeuse de la ville d’Arras. A voir absolument ? Le sentiment d’Info-Chalon.
Si Karl Marx n’est plus très « hype » de nos jours, l’approche marxiste des rapports sociaux, elle, n’a pas dit, loin s’en faut, son dernier mot. Ainsi d’aucuns continuent-ils, ici et là, de voir le monde avec les yeux de l’auteur du Capital. Pas toujours de façon consciente. Parfois même comme Monsieur Jourdain faisait de la prose : sans le savoir.
Pour se convaincre de l’existence d’une forme de retour à Marx, il suffit sans doute de visionner La vie d’Adèle. Chapitre 1 et 2 [2], palme d’or du festival de Cannes en 2013, sorti il y a peu en DVD. Dans ce dernier, comme toujours avec Abdellatif Kechiche (L’esquive, La Vénus noire, La faute à Voltaire), la confrontation entre deux mondes sociaux, en l’occurrence celui d’Adèle (jeune fille issue d’une famille modeste et rêvant « simplement » d’être institutrice) et celui d’Emma (jeune femme aux cheveux bleus issue d’une classe plus aisée, de type « petite bourgeoisie intellectuelle » [3], ambitionnant de devenir une artiste reconnue), structure tout le film, à tort considéré comme un long-métrage engagé en faveur des homosexuels, en plein débat sur le droit au mariage pour tous. Et ce qui fait précisément l’originalité de ce film de Kechiche, c’est la façon qu’il a de nous montrer la puissance du milieu social d’origine sur un individu et sa trajectoire personnelle. Car dans La vie d’Adèle, si, pendant un temps, l’amour et le plaisir annihilent la pesanteur des origines sociales au point que la formation d’un couple quasi-fusionnel est rendue possible, ces dernières finissent par réapparaître, constituer une sorte de mur invisible entre les deux femmes, et sonner le glas de leur liaison. Et c’est en rendant parfaitement visible ce processus, qui de prime abord ne l’est pas, que Kechiche s’impose « comme le grand cinéaste français de notre époque mais aussi comme un grand cinéaste marxiste » [4].
Ceci considéré, on peut aussi, en dehors du chef d’œuvre d’Abdellatif Kechiche, se déplacer pour voir Pas son genre, de Lucas Belvaux, en ce moment à l’affiche. Racontant la rencontre d’une coiffeuse pétillante de vie avec un professeur de philosophie parisien, momentanément contraint d’enseigner dans un établissement scolaire de la ville où elle exerce (Arras), Pas son genre, dont l’intrigue tourne également autour de la confrontation de deux mondes sociaux, est lui aussi, à sa manière, une « variation marxiste sur la lutte des classes en amour » [5]. Mais, si ceci est peu douteux, ce film n’est-il que cela ?
Le penser serait en réalité faire un bien mauvais sort à l’œuvre déjà imposante, et pour le moins remarquable, de l’excellent réalisateur de 38 témoins, long-métrage jetant une lumière crue sur le délitement des rapports sociaux au sein de la civilisation occidentale, que Baudelaire appellerait sans doute la « syphilisation » s’il était encore des nôtres, et dont l’écrivain Philippe Muray a cruellement chroniqué la médiocrité et la profonde vacuité. En effet, Pas son genre, c’est aussi une réflexion sur…le « prince charmant », rêvé par tant de femmes…actuelles, que leur milieu a « dressées » à attendre ce dernier, comme d’autres attendent le Messie ou bien encore Godot, autant dire la Saint Glin-glin… Plus exactement, Pas son genre est une invitation à méditer cet idéal inaccessible, que le psychiatre et anthropologue Philippe Brenot vient de disséquer dans son dernier ouvrage : Un jour mon prince… [6]. Et le moins que l’on puisse dire est que cette variation autour d’un mythe qui nourrit nombre d’imaginaires et attise la souffrance de nombreuses femmes et de nombreux hommes, dont personne ne s’est préoccupé de savoir s’ils avaient les épaules pour endosser le costume d’un charmant prince, n’est pas inintéressante, loin s’en faut.
Ceci posé, faut-il absolument voir Pas son genre ? Parlons net : dans le papier qu’il a consacré au film de Lucas Belvaux pour Le Point, François-Guillaume Lorrain [5] a écrit la chose suivante : « On pourrait aller voir Pas son genre (…), rien que pour [le karaoké d’Emilie Dequenne (la coiffeuse Jennifer)] sur ‘’I will survive’’. Elle vous y fait battre le palpitant ». Si ceci est assurément vrai, il a quelque peu omis de dire que l’on pouvait le voir pour tout le reste : l’excellent jeu des acteurs, la photographie, la musique.
Bref, à votre place, on courrait le voir. Peut-être même le revoir.
S.P.A.B.
[1] 2014. Durée : 1 h 51.
Bande-annonce : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19543807&cfilm=203982.html
[2] 2013. Durée : 2 h 55
Voir l’article d’Info-Chalon : http://www.info-chalon.com/articles/cinema/2013/10/04/2538-la-vie-d-adele-etait-en-avant-premiere-a-l-axel.html
[3] Jean-Pierre Garnier, Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires, Agone, coll. « Contre-feux », 2010, 256 p
[4] Abdeassamed Sahali, Le courrier de l’Atlas, octobre 2013, p 89
[5] François-Guillaume Lorrain, le Point, 1.05.2014, p 96
[6] Dr. Philippe Brenot, Un jour mon prince…Rencontrer l’amour et le faire durer, Les Arénes, 2014, 236 p
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