Cinéma

CINEMA A CHALON - Bientôt à l’Axel : L’institutrice, de Nadav Lapid

CINEMA A CHALON - Bientôt à l’Axel : L’institutrice, de Nadav Lapid

Jeudi 9 octobre, la Bobine, en partenariat avec l’Axel, a choisi de soumettre au jugement des spectateurs du Chalonnais le dernier long-métrage de Nadav Lapid : L’institutrice [1]. Un moment de cinéma à ne pas manquer.

Qui a lu Terre des hommes [2] resongera peut-être, en voyant L’institutrice aux pages qu’Antoine de Saint-Exupéry consacre à « un long voyage en chemin de fer » au cours duquel, confronté à « des centaines d’ouvriers polonais congédiés de France », regagnant leur misère, il tombe nez-à-nez avec un enfant dont le souvenir le conduit à écrire ces lignes qui, aujourd’hui encore, figurent parmi les plus sublimes jamais écrites. Ces lignes-ci : « Je m’assis en face d’un couple. Entre l’homme et la femme, l’enfant, tant bien que mal, avait fait son creux, et il dormait. Mais il se retourna dans le sommeil, et son visage m’apparut sous la veilleuse. Ah ! quel adorable visage ! Il était né de ce couple-là une sorte de fruit doré. Je me penchai sur ce front lisse, sur cette douce moue des lèvres, et je me dis : voici un visage de musicien, voici Mozart enfant, voici une belle promesse de la vie. Les petits princes des légendes n’étaient point différents de lui : protégé, entouré, cultivé, que ne saurait-il devenir ! Quand il naît par mutation dans les jardins une rose nouvelle, (…) on isole la rose, on cultive la rose, on la favorise. Mais il n’est point de jardiniers pour les hommes. Mozart enfant sera marqué comme les autres par la machine à emboutir. (…) Mozart est condamné. Et je regagnai mon wagon. Je me disais : ces gens ne souffrent guère de leur sort. Et ce n’est point la charité ici qui me tourmente. Il ne s’agit point de s’attendrir sur une plaie éternellement rouverte. Ceux qui la portent ne la sentent pas. (…) Ce qui me tourmente, c’est le point de vue du jardinier. Ce qui me tourmente, ce n’est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s’installe aussi bien que dans la paresse. (…) Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente (…) c’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. »

            Ceci posé, s’il n’est pas impossible que L’institutrice évoque ces lignes chez nombre de spectateurs, à tout le moins chez ceux ayant Terre des hommes comme livre de chevet, il ne faut néanmoins pas s’y tromper. Si le dernier film de Nadav Lapid met en scène un enfant de cinq ans révélant un don incroyable pour la poésie, repéré et surprotégé par son institutrice, celui-ci ne raconte pas, loin s’en faut, l’histoire d’un Mozart des lettres, sauvé de l’assassinat par un jardinier semblable à celui qu’évoquait Saint-Exupéry dans Terre des hommes. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer la nature de l’attention portée par l’instit’ à son élève et l’ambivalence de l’enfant à l’égard de cette dernière : l’héroïne ressemble trop à ceux qui, croyant détenir la vérité pourrissent tout ce qu’ils touchent, pour n’être point « border-line » ; le gosse est trop conscient de la fascination qu’il exerce sur sa mère de substitution pour être innocent.

C’est d’ailleurs ce qui, outre sa critique au vitriol d’une société corrodée par le libéralisme et le consumérisme, rend ce film si intéressant et, surtout, digne d’être vu. Comme d’ailleurs presque tout long-métrage israélien, la plupart des films issus de ce pays étant souvent, comme l’écrit très bien Serge Kaganski [3], ruisselant d’intelligence, de talent.

 

S.P.A.B.

 

[1] 2014. Durée : 2 hrs

Bande-annonce :

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19545562&cfilm=225990.html

[2] Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, Gallimard, coll. « Folio », 181 p, 6 euros

[3] Les Inrockuptibles, 10.09.2014

Jeudi 9 octobre. Axel, 19 et 21 h