Info-Chalon a lu pour vous « Les crocodiles », de Thomas Mathieu

Interpellée par une interview du dessinateur Thomas Mathieu, Adèle Pantre a acquis et lu l’album qu’il vient de publier aux éditions du Lombard, intitulé « Les crocodiles » [1]. Info-Chalon publie son sentiment sur ce dernier.

Quand ils se trouvent dans l’espace public, c'est-à-dire un lieu qui est a priori celui de tous, les hommes s’attardent, stationnent, annexent les bancs des parcs sur lesquels ils restent des heures, squattent les entrées d’immeubles. Les femmes, elles, ne trainent pas. Elles tracent, choisissant le plus souvent, pour se rendre là où elles doivent aller, le chemin le plus court. De fait, elles sont rares à glander dans les rues, les cages d’escalier, les halls de gares, de HLM, de résidences ou de copropriétés. Qu’elles s’autorisent à s’asseoir à une terrasse de café est même, au regarde de l’histoire, assez récent. 

Ceci, cette différence de comportement vis-à-vis de l’espace public selon le sexe, une journaliste du Monde l’avait plutôt bien souligné en octobre 2012 [2], dans un article où elle pointait également LA raison conduisant les femmes à ne pas s’éterniser « dehors », c'est-à-dire la trouille. Plus exactement la trouille des hommes. Ces hommes dont un court-métrage de Sofie Peeters, qui a à l’époque défrayé la chronique, a remarquablement mis en lumière le comportement de prédateurs à l’égard des femmes. Femmes de la rue [3], que ça s’appelait. La réalisatrice omettait sans doute un peu de préciser que les personnes d’origine maghrébine qu’elle avait filmées n’avaient pas le monopole de la connerie et des attitudes de relous, ce n’en était pas moins édifiant : dans la rue, dans n’importe quelle rue, c'est-à-dire dans l’espace public, une femme devant s’y mouvoir a toutes les « chances » de se faire prendre la tête par un boulet, un mec qui comme la plupart de ses congénères pense que la vocation des femmes est de soulager les pulsions sexuelles des hommes et, of course, d’aimer se faire embrocher comme on le fait d’un bout de viande.

Le harcèlement de rue en bande-dessinée

Femmes de la rue. C’est après avoir visionné ce court-métrage que l’idée de ce qui n’était au départ qu’un « Projet crocodiles » est né dans l’esprit fécond du dessinateur Thomas Mathieu. En effet, profondément remué par celui-ci, Mathieu a demandé à des amies s’il leur était arrivé de vivre la même chose que ce que donnait à voir le court de Sofie Peeters. Apprenant alors que « non seulement chacune avait plusieurs histoires à raconter, mais qu’en plus certaines avaient eu lieu dans [sa] rue » [1], celui-ci s’est donc renseigné sur le sujet, avant de commencer à dessiner des histoires liées au sexisme ordinaire, incluant des histoires de harcèlement de rue. Des planches qu’il a compilées dans un percutant album, dans lequel les hommes sont tous représentés sous les traits de crocodiles. D’abord pour suggérer qu’il s’agit d’un problème de société et non pas de quelques cas isolés. Mais également pour symboliser la peur de croiser quelqu’un dans la rue sans savoir s’il va vous faire du mal. Cette trouille dont je vous parlais il y a quelques instants. Cette trouille qui détourne les femmes d’un espace public qu’elles devraient se réapproprier. Par exemple en fréquentant les militants du mouvement « Stop harcèlement de rue » [4], qui compte aujourd’hui des dizaines de membres dans plusieurs villes de France. 

Adèle Pantre

[1] Thomas Mathieu, Les crocodiles, Editions Le Lombard, octobre 2014, 174 p, 25 euros

[2] Fanny Arlandis, « La rue, fief des mâles », in Le Monde, 4.10.2012 ;  HYPERLINK "http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/10/04/la-rue-fief-des-males_1770418_3246.html" http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/10/04/la-rue-fief-des-males_1770418_3246.html 

[3]  HYPERLINK "http://www.dailymotion.com/video/xsi69g_sofie-peeters-femme-de-la-rue-bruxelles_news" http://www.dailymotion.com/video/xsi69g_sofie-peeters-femme-de-la-rue-bruxelles_news 

[4]  HYPERLINK "http://stopharcelementderue.org/" http://stopharcelementderue.org/