Les jeunes filles aux chouettes veulent vivre

Plus que les grands évènements médiatisés, ce sont sans doute les faits apparemment anodins qui révèlent les tendances qui travaillent nos sociétés. Illustration.

Pour d’aucuns, on n’identifie clairement les tendances qui travaillent nos sociétés qu’à l’occasion d’évènements ayant pour point commun notoire d’être fortement médiatisés, peut-être trop, à tout le moins plus que de raison. Ainsi voit-on, plus particulièrement les soirs et lendemains d’élections, une horde de commentateurs « avisés » s’empresser de livrer des analyses plus ou moins sophistiquées sur les mutations de la société française, les aspirations du peuple français, etc.

Soit. Mais ils feraient sans doute mieux de s’intéresser à ce qui, passant relativement inaperçu est peut-être bien plus révélateur de ce qui agite secrètement les âmes de nos contemporains : ce que le défunt Philippe Muray, face à de tels symptômes, n’aurait probablement pas manqué de pointer avec l’immense talent qui était le sien pour rendre visible ce qui ne l’est pas de prime abord.

            Un exemple ? S’il faut en livrer un, qu’il me soit permis de prendre le suivant, qui vaut ce qu’il vaut. Il y a quelques jours, sur un marché d’une ville de Saône-et-Loire, un marchand m’a rapporté, tandis que j’observais l’acquisition par une jeune femme d’un foulard sur lequel figurait une représentation d’un rapace nocturne plus connu sous le nom de « chouette », que ce volatile aux allures énigmatiques était très en vogue depuis un moment, surtout auprès des jeunes filles. Assertion qui, le mot « chouette » googleisé, semble pour le moins conforme à la réalité, même si l’engouement suscité par la saga Harry Potter un peu retombé, « les fans abandonnent leurs chouettes » [1].

            Vous me direz sans doute, après avoir lu cela, qu’il n’y a probablement pas là de quoi casser trois pattes à un canard, pour rester dans le registre des bestioles emplumées. Pourtant, peu de doute qu’il y ait bien ici véritable matière à cogiter. La chouette, vous le savez, n’est pas un chat, encore moins un chien. Pour le dire autrement, la chouette n’est ni un animal comme les autres, ni quelque chose d’anodin. En effet, pour peu que l’on fasse l’effort de procéder à quelques recherches, on constate très vite qu’il s’agit ce que l’on nomme communément un symbole, c’est à dire quelque chose représentant autre chose, en vertu d’une correspondance analogique.

            Un symbole, d’accord, mais de quoi ? Je vous la fais courte, car on pourrait y passer des heures : un symbole de nombreuses idées, désirs, états d’âme. Ce qui me permet de dire qu’il s’agit avant tout d’un symbole polysémique : un symbole présentant plusieurs sens ou significations. Ceci posé, il est tout de même une symbolique dont nombre de civilisations investissent souvent la chouette, que ceci soit conscient ou non : celle du changement. Tant et si bien que l’on peut assez spontanément avancer, sans craindre le ridicule ou cet enfermement classiquement infligé à ceux qui ne bêlent pas avec le reste du troupeau, que la plupart des personnes arborant la représentation d’une chouette manifestent, sans en avoir forcément conscience, leur besoin, peut-être même leur volonté de changement, c'est-à-dire, concrètement, d’abandonner quelque chose pour…autre chose. Une aspiration très à la mode, soit dit en passant. En effet, le changement, tout le monde y pense, beaucoup de gens en parlent. Certains en ont même fait leur slogan de campagne pour la présidentielle de 2012. Avec le succès que l’on sait…

Mais s’il est dans toutes les bouches ou peu s’en faut, le changement est alors évoqué de façon consciente, comme on évoque le besoin de mettre du carburant dans sa voiture avant que celle-ci ne tombe en rade. Or, dans l’exemple que j’ai cru bon d’avancer, le besoin de changement, si l’on prête à la chouette cette symbolique-là, n’est vraisemblablement pas en tant que telle une aspiration consciente. Elle vient de bien plus loin que cet état de l’esprit qui sait avec lucidité et acuité ce qu’il veut ou ne veut pas. Peut-être d’aussi loin que ce que certains qualifieraient, en écho à « l’Etat profond » dont parle le Berthet de Jérôme Leroy dans son roman L’Ange gardien [2], de « Moi profond » : ce qui constitue l’individualité, la personnalité d’un être humain dans ce qu’il a de plus irréductible.

            Ceci posé, et si tout ce qui précède n’est pas que spéculations de femme saoule, il reste à savoir ce que toutes ces jeunes filles portées sur la chouette attendent comme changement. Ce qui est autrement plus difficile à commenter que les résultats des élections départementales, pour ne prendre que celles-ci…

            Pour ma part, j’ai bien ma petite idée, surtout lorsque j’observe l’acquisition par l’une d’entre elles de ce foulard bleu orné de sortes de perles dessinant en pointillés une…chouette, dont je parlais plus haut : les jeunes filles aux chouettes veulent tout simplement vivre. Vivre une autre vie que la leur, celle dont on leur rabâche qu’il est conforme à la bienséance de vivre. Et ce n’est pas moi qui vais le leur reprocher. Mais ceci est une autre histoire, qu’il n’est peut-être pas encore l’heure de vous conter.

Adèle PANTRE

[1] http://www.huffingtonpost.fr/2012/05/23/abandon-chouette-potter-harry-hibou-royaume-uni_n_1540012.html

[2]  voir la chronique d’Info-Chalon

http://www.info-chalon.com/articles/livres/2014/12/28/10679-info-chalon-a-lu-pour-l-ange-gardien-de-jerome-leroy-.html