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Inondations, risques naturels et PPRI - "On refuse de partager une culture du risque" pour Didier Seban

Inondations, risques naturels et PPRI -  "On refuse de partager une culture du risque" pour Didier Seban

A l'heure de la clôture de l'enquête publique des PPRI du Chalonnais, il nous a semblé intéressant d'aller demander son avis à Me Seban, l'un des avocats du maire de la Faute-sur-Mer (Vendée) où la tempête Xynthia, avec la montée des eaux a provoqué 29 morts en février 2010. Reconnu coupable d'homicides involontaires, l'ex-maire a écopé de quatre ans de prison en décembre 2014, une peine jamais prononcée à l'égard d'un élu auparavant. Le procès en appel se tiendra à Poitiers en novembre prochain.

Infochalon.com : En tant qu’avocat de René Marratier, ex-maire de la Faute-sur-Mer et principal prévenu du procès Xynthia, condamné en décembre dernier à quatre ans de prison pour homicides involontaires aggravés et mises en danger, qu’avez-vous appris de ce procès-là ?

 Didier Seban : Ce que j’ai découvert avec l’affaire Marratier et le procès Xynthia, c’est un pays qui refuse de voir le risque. Les catastrophes, c’est pour les autres. La France est un pays au climat tempéré où les catastrophes gravissimes sont raresavec une culture du risque extrêmement administrative. La lutte se résume à des plans. Pas du tout à une acculturation de la population aux risques. Là où les risques sont avérés, fréquents - les gens ne sont pas idiots – ils les prennent en compte et y sont attentifs.

Vous parlez d’une « culture administrative » du risque…

 Oui. L’idée répandue dans le pays c’est que la meilleure  manière de combattre le risque c’est une addition de règlements, plus ou moins bien appliqués, plus ou moins cohérents entre eux. On ne considère pas les citoyens comme des gens adultes à qui on dit : « voilà les risques » et avec qui on débat, qui sont susceptibles de les prendre en compte eux-mêmes

Quels sont les principaux obstacles à un changement de culture, plus adaptée selon vous ?

 On se heurte à des intérêts individuels déjà, car chacun a envie que sa parcelle soit constructible, de rénover sa maison, de ne  pas faire trop de frais. Chacun a envie que ça n’arrive jamais au fond. C’est humain. Chacun nie donc ce risque. Et puis, être l’oiseau de mauvais augure, le porteur de mauvaise nouvelle, est une fonction que la plupart des élus ne veulent pas supporter. On refuse de partager une culture du risque.

La France est devenue une France de propriétaires. La propriété immobilière est sûrement ressentie comme la première source de richesse. Les maires sont soumis à cette pression là. Soit au travers de demandes de permis de construire, soit au travers de gens qui construisent de manière irrégulière. La valeur du terrain varie du simple au cent entre non constructible et constructible. Le désir des habitants de ne pas savoir, de ne pas entendre le risque est fort.

Ce qui s’est passé en 2010 à la Faute-sur-Mer, peut arriver demain dans les Alpes-Maritimes. Un tremblement de terre et on a des dizaines de morts. Tout le monde sait que c’est une zone sismique. Voilà des années qu’il n’y a pas eu de séisme.La population n’est pas informée. Le contrôle de la construction aux normes sismiques est très faible. Si le risque est récurrent, il y a une prise en compte. Si le risque n’est pas récurrent il n’y a pas de prise en compte.

Ce qui me choque pour les PPRI des rivières et des fleuves, c’est aussi une vision parcellisée. On devrait avoir une vision du cours d’eau de sa source jusqu’au moment où il se jette dans un fleuve ou dans la mer. Cette compétence devrait rester à l’Etat. C’est le seul qui puisse avoir une vision et un pouvoir globaux sur le système.

Quels changements seraient possibles et bénéfiques ?

En France, on raisonne sur un risque centennal. A la Faute sur mer, la récurrence était de 4000 ans pour que cela arrive. Un risque centennal  peut arriver une fois ou deux dans la vie d’un homme. A la Faute-sur-Mer, pour Xynthia, le risque centennal maximal calculé par le BRGM, c’était 3,90 m, les digues étaient à 4 m. Ce jour là, c’est monté à 4, 50 m.

Aux Pays-Bas, on raisonne sur un risque millénaire. Ce n’est pas du tout pareil. Les Hollandais, avec un tiers du pays sous la mer, considèrent qu’une alerte est donnée quand on a un contact humain avec la personne, soit au moins un contact téléphonique. En France, on considère qu’une alerte est donnée quand on a envoyé un mail. Ou un fax… C’est extrêmement administratif, c’est un système où tout le monde se couvre : « j’ai écrit », «  j’ai averti » « j’ai transmis » … mais personne ne prend les mesures nécessaires ! Plus que dans un système de l’efficacité de l’action publique, on est dans un système de couverture par chacun de l’action publique.

Vous attendez un changement de dispositif, de pratiques ou de mentalité par la suite ?

Avec la montée des risques naturels, le réchauffement climatique, la culture du risque doit être pensée différemment. Avoir un bouc émissaire dans cette affaire, en l’occurrence le maire et son adjointe, permet de se préserver de l’idée d’une responsabilité collective. « Des personnes ont mal fait, c’est que de leur faute, donc on peut dormir tranquilles ». Pour moi c’est faux.

 La seule vertu du jugement du premier procès Xynthia, du fait de sa lourdeur exceptionnelle,- anormale et injustifiée à mon avis - c’est que tout le monde a pris peur. La compétence GEMAPI, dans la loi Notre transférait des compétences aux intercommunalités pour qu’elles deviennent responsables de la lutte contre les inondations. Les élus ont refusé le principe du transfert de cette compétence. D’habitude ils sont toujours favorables aux transferts de compétences. On voit bien que ça a créé une crainte majeure.

Les services de l’Etat sortent blanchis du procès Xynthia alors qu’ils instruisaient les permis de construire. René Marratier, dans sa ville de 1000 habitants, n’avait pas de service urbanisme mais une simple convention avec la DDE (devenue DDT). Les services de l’Etat lui proposaient des permis qu’il signait. L’Etat n’a pas été poursuivi dans cette affaire. Il a donné son avis mais n’est responsable de rien : « c’est vous qui êtes responsables, puisque vous signez ».

Au-delà d’un allègement de peine ou une relaxe pour votre client, qu’espérez-vous de manière plus globale du procès en appel ?

J’espère à travers ce procès qu’on comprendra que ce n’est pas la responsabilité d’un homme mais d’un système et de ses défaillances. J’espère aussi que cette culture qui manque à notre pays évoluera et que Xynthia ne deviendra pas une de ces catastrophes naturelles que le monde a oubliées. Les gens n’ont pas envie d’avoir peur mais rien n’empêche de les rendre intelligents sur le sujet, de les faire participer à cette information pour que ce ne soit pas qu’une affaire de technocrate, c’est surement le meilleur moyen de faire adopter les bons réflexes. En France, on n’évacue jamais les zones contrairement au Japon ou aux Pays-Bas.

 On peut construire en zone inondable avec des conditions : 1/ que les gens soient informés. 2/ qu’il y ait un système d’alerte qui soit clair, correct et pas qu’administratif.  3/ qu’il y ait un dispositif de précaution qui permette aux gens d’avoir un étage. A La Faute, le service d’architecture commun entre le département et l’Etat a encouragé les maisons de plain-pied car c’est la tradition en Vendée. Informer les gens sur des risques naturels, informer sans les affoler et sur les mesures à prendre et cette information doit être en permanence renouvelée.

 

Propos recueillis par Florence Genestier

Un rapport du Sénat, publié en début de semaine pointe les ratés de l'après tempête, les retards dans les travaux et un système d'alerte inondation encore inadapté.

 "Xynthia 5 ans après, pour une véritable culture du risque dans les territoires" , rapport sénatorial 

http://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-536-notice.html