Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Il la frappe, elle dit que c’est parce qu’elle fait des crises d’angoisse

TRIBUNAL DE CHALON - Il la frappe, elle dit que c’est parce qu’elle fait des crises d’angoisse

Ça fait 8 mois qu’il est violent avec elle. Ils se connaissent depuis ? Depuis 8 mois. Mais c’est pas qu’il est violent. C’est qu’elle fait des crises d’angoisse et que ça la rend dangereuse pour elle-même, alors il la protège et elle en a des bleus. L’autre soir il tenait un couteau, « qui coupe pas », e fatti gli affari tuoi !

Le couple est arrivé d’Italie à Chalon, il y a peu, avec un autre couple, en camping-car, pour travailler dans les vignes. Le 2 juin vers 21h20, on signale au 17 une agression avec un couteau, sur la commune de Châtenoy-le-Royal. La police y trouve en effet une femme, très excitée, tantôt en pleurs, tantôt en colère. Un témoin et la victime désignent un homme, debout devant un camping-car, comme auteur de l’agression. Dans le smartphone de la victime, des photos de son visage tuméfié : ce n’est pas la première fois.

Ils ne sont plus avec le tribunal, ils sont entre eux

L’auteur est placé en garde à vue. Les enquêteurs entendent la victime, puis Simona, l’autre femme qui voyage avec le couple. Or les deux témoignages concordent sur le comportement de cet homme, ancien toxicomane et visiblement alcoolique. « Mais je ne bois que des bières. » Le président Dufour lit in extenso le PV d’audition, il est interrompu : « Elle dit qu’il y a peut-être eu un problème de traduction, mais c’est pas ça », dit l’interprète. Alors la victime peut donner une nouvelle version, et ça va prendre du temps. L’autre, dans le box, joint les mains en marmonnant « por favore, por favore ». Dès cet instant ils ne sont plus avec le tribunal, ils sont entre eux.

Si elle avait su !

« Elle dit que si elle avait connu le système judiciaire français, elle n’aurait jamais appelé la police », explique l’interprète. Celle qui regrette donc d’être tombée entre les mains de l’institution est assise sur la chaise des parties civiles. Elle ne veut pas se constituer, mais elle voulait intervenir au débat, donc elle a dit ok.  C’est une femme d’environ 30-35 ans, grande, élancée, vêtue d’un pantalon de survêtement gris qui tombe sur ses chevilles et d’épaisses baskets. Un maillot de sport tombe sur le pantalon. Ses cheveux sont attachés en bun, une ou deux dreads serpentent dans la masse. Ses avant-bras sont entièrement tatoués.

« Basta ! »

Dans le box, son copain. Massif, trapu, les cheveux très noirs, coupés courts à l’exception d’un bandeau épais de cheveux longs qui descend sur son dos. Il porte également un maillot de sport oversize, comme on dit dans les catalogues de vêtements. Elle parle, elle parle, il acquiesce, il pleure vaguement. Le président essaie de reprendre la main, il échoue, car elle parle encore. « On fait d’elle une victime de violences conjugales, alors que du tout », traduit l’interprète qui doit intervenir des deux côtés de la barre. Le président s’est positionné pour ne plus être débordé. Aussi, quand la fille reprend son souffle, il dit d’un ton sec : « Non ! Basta ! » et il ajoute, pour être correct, « Grazie ». Bien sûr on sourit. Il termine la lecture du PV. « Ce ne sont pas ses déclarations », traduit l’interprète. « Si, ce sont ses déclarations », oppose le magistrat.

Casse-bonbons (rôle super chargé)

Evidemment ces deux-là sont casse-bonbons à tenir le crachoir contre l’évidence, et ce alors que le rôle est une fois de plus bien trop chargé, à l’audience de ce lundi 8 juin. On est en comparution immédiate, la procédure la plus dure, celle qui laisse le moins de temps à la défense pour se préparer, mais enfin on ne peut pas pour autant expédier les jugements en 10 minutes. A partir de là, tout ceux qui, parce qu’ils contestent, rallongent le temps qui est compté-serré, sont perçus comme pénibles. Le prévenu reconnaît des choses mais conteste avoir proféré des menaces de mort, ajoute que c’est elle, sa copine, qui un jour lui a cassé une bouteille sur la tête, qu’il veut juste la calmer quand il intervient, et que la Simona n’est jamais qu’une fouteuse de merde.

« Souvent le principe de réalité cède devant l’emprise »

« Vous la protégez et vous lui faites des yeux au beurre noir ? » La vice-procureur sature elle aussi, et va ironiser comme elle fait souvent. La victime reste imperméable et en rajoute : « Elle devrait prendre du Xanax, mais elle ne le fait pas, pour des raisons qui la regardent », dit l’interprète, et occupez-vous de vous affaires (on traduit là ce qui n’est pas dit explicitement).  « Décidément c’est en Italie comme en France, dit Aline Saenz-Cobo. Il y a des violences contre les femmes, et souvent le principe de réalité cède devant l’emprise. Et elles disent ‘non, c’est pas ça !’ C’est toujours le même schéma. » Elle requiert 15 mois de prison et le maintien en détention du prévenu.

« Elle a déjanté »

« Elle a déjanté, plaide maître Faure-Revillet. Elle vous explique qu’elle est victime de crises de panique. Il voudrait qu’elle soit expertisée (sic, ndla). Il n’a pas de volonté mauvaise à l’égard de cette jeune femme, elle doit parfois être maîtrisée. » L’avocate développe le non-sens de l’incarcération d’un ressortissant étranger, qui ne pourra ni travailler au centre pénitentiaire, ni faire quoi que ce soit de constructif faute de parler français. Son client a été condamné en Italie, pour usage de stups, « et violences sur des policiers » complète le président.

Maintien en détention pour 6 mois

Il est 17h40 lorsque le tribunal déclare le saisonnier italien coupable, et le condamne à une peine de 12 mois de prison dont 6 mois sont assortis du sursis. Ordonne son maintien en détention pour la partie ferme. Interdiction de porter une arme pendant 5 ans.
La saison est fichue pour lui. Et ses trois compatriotes se trouvent là, avec sur les bras un camping-car qui ne leur appartient pas. « Si j’avais su… » disait la victime.

FSA