Faits divers
« Mal-être », mal inséré, un couple qui dysfonctionne = prison
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 16 Novembre 2021 à 17h32
« C’est pas le doigt que je voulais me couper. Je voulais me trancher la carotide. » Mais, poursuit le prévenu : « J’ai vu mon fils à la fenêtre alors j’ai pas voulu faire ça. » Du coup, il s’est ouvert un doigt avec son couteau, et ça pissait le sang.
L’enfant sort-il gagnant de cette rapide délibération intérieure ? Vu la violence multiforme qui règne au foyer familial, n’importe quel gosse en souffrirait. C’est trop triste. C’est une histoire tricotée d’immaturité, de vies sociales aux limites de la désinsertion, d’un jeu de « je te tiens tu me tiens par la barbichette » entre la mère et le père, et ça s’est provisoirement terminé ce lundi 15 novembre à l’audience de comparutions immédiates.
Un mode de fonctionnement pas bon du tout pour la vie en général
Le 12 novembre en fin de journée dans le quartier Saint-Cosme à Chalon-sur-Saône, trois policiers ont eu à gérer une scène inquiétante au départ comme à l’arrivée, mais pas pour les mêmes raisons. Ce 12 novembre, un mode de fonctionnement pas bon du tout pour la vie en général (mais néanmoins assez fréquent, y compris dans d’autres milieux sociaux) a, une fois de plus, produit ses effets. Lui (46 ans) et elle sont ensemble depuis 13 ans, ils ont fait 3 enfants. L’aînée est placée, celle pour qui le père avait réussi à arrêter de boire, dit-il, à sa naissance, il y a 6 ans.
« C’est quand elle m’a remis à la rue que je suis retombé dans l’alcool »
Ces derniers temps il travaillait comme plâtrier-peintre, mais une intervention chirurgicale l’a mis à l’arrêt, et puis, pour la n’ième fois, sa compagne l’a passé dehors. Ce jeu de on/off a eu raison de lui, dit-il. Il porte, à l’audience, un blouson bleu et rouge. Il a le crâne dégarni, les traits tirés, de belles cernes et l’air grave et triste. « C’est quand elle m’a remis à la rue que je suis retombé dans l’alcool. » Ce 12 novembre il était allé vers une grande surface, comme chaque jour, boire des bières et faire la manche. Où dormait-il ? « Là où je peux. »
Les policiers encaissent les insultes jusqu’à un certain point
Il voit la mère de ses enfants, il la suit plus ou moins lorsqu’elle rentre chez elle (elle est seule locataire). Un homme est là. Le malheureux père, ivre, fait un esclandre. Il a bu, il menace. La femme appelle la police. Le temps qu’un équipage arrive, le prévenu s’était ouvert la main. Il a insulté les policiers, lesquels n’ont pas retenu l’outrage jusqu’à ce que l’alcoolisé passe les bornes en s’en prenant à la famille de l’un d’entre eux. Maître Ronfard le plaide : menaces, paroles, certes, mais c’est insupportable, et « c’est inadmissible ». Le mis en cause connaît la garde à vue, il a déjà été condamné pour des vols, des dégradations. Mais dans les 16 mentions de son casier, il y a aussi des décisions du juge d’application des peines : ce ne sont pas de nouvelles condamnations mais des prolongations du délai d’épreuve, ou des révocations partielles de sursis.
Ce dans quoi cet homme-là au visage abattu, est pris
Les réquisitions sont rudes et comme désincarnées. La substitut du procureur reprend les peines déjà prononcées, le fait que « malgré les avertissements », etc., il n’a pas cessé d’enfreindre les lois. On songe deux minutes à ce dans quoi cet homme-là au visage abattu, est pris. Entre difficultés propres à lui et difficultés sociales en nombre, et puis une addiction à l’alcool : est-ce que des sanctions judiciaires peuvent suffire à ce qu’il s’en sorte ? Est-ce qu’on peut se sortir de cet immense gourbi en quelques mois ? Bien sûr ce type de comportement violent (insultes, menaces puis sur les forces de l’ordre) doit être sanctionné, mais « l’arsenal » des peines, comme on le dit parfois en terme guerrier, peut-il répondre aux besoins ? Et les dispositifs sociaux et surtout de soins psychologiques et psychiatriques, dans l’état actuel des choses, suffisent-ils ?
« Mal-être », le mot est bien choisi
Le tribunal va user des moyens à sa disposition, et ce dans le but de doubler la sanction d’un marchepied social qui ne peut qu’aider le prévenu. Forcené le 12, malheureux quand il a dégrisé. Il ne souvient pas de tout mais il reconnaît tout. Maître Massard le plaide pour lui, et elle aborde également l’angle du pétrin affectivo-amoureux dans lequel il marine mal. « Il aime profondément cette femme, quand on discute avec lui, c’est évident. Elle joue beaucoup là-dessus : elle le fait partir, puis elle va le chercher…et il dit oui à tout. L’alcool est une béquille qui lui permet de vivre avec un mal-être profond. »
Prison puis accompagnement individuel renforcé
Le délibéré est long, le prévenu est triste. Le tribunal le condamne à une peine de 10 mois de prison dont 6 mois sont assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 2 ans. Dans le cadre de délai d’épreuve, il aura des obligations de soins, de travailler, d’indemniser les victimes. Une interdiction de tout contact avec madame, ainsi que de paraître à son domicile. L’obligation de suivre un stage de sensibilisation aux violences intra-familiales, et celle d’intégrer le dispositif AIR – accompagnement individuel renforcé, « qui permettra de vous aider », lui précise le président Madignier. Interdiction de porter une arme pendant 5 ans.
Maintien en détention, faute de domicile
Pour les 4 mois de prison ferme, il est maintenu en détention, « à cause de l’impossibilité d’aménager votre peine » (faute de domicile). Le petit garçon dont la présence aurait retenu un geste désespéré voit son père incarcéré pour la fin d’année et le début de la suivante. Pas sûr que cela lui fasse du bien, si le nœud du problème se trouve à la fois en chacun de ses parents et entre eux, mais que faire d’autre dans l’état actuel de la société ?
FSA
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