Faits divers

Une immense poursuite au cœur de la nuit

Par Florence Saint-Arroman

Publié le 11 Janvier 2022 à 10h58

Une immense poursuite au cœur de la nuit

Trois gendarmes du PSIG de Louhans sont concernés. Celui qui est à la barre résume leur nuit du 8 janvier dernier : « On a traversé trois départements. »

Le prévenu a 47 ans et « 400 mois de prison » (la présidente Verger a fait le compte) à son actif, autant dire sa vie, ou pas loin, car une chose est sûre : avec autant d’années passées à l’ombre, son existence ressemble aux portes du pénitencier. Son visage lui-même, couleur de cendre, évoque les jours sans lumière et les nuits cruelles. Évidemment qu’il ne voulait pas retourner en prison ! 
Cela dit, que faisait-il à deux heures du matin sur la zone industrielle de Varennes-Saint-Sauveur au volant d’une voiture grise, lui qui vit à Villefranche, lui qui n’a pas le permis de conduire ? « Je faisais tourner la voiture » répond-il à la présidente. « Pardonnez-moi, on peut douter de la sincérité de vos déclarations. A quoi on joue, monsieur ? » 

Tout, plutôt que d’être à nouveau enchristé

Cette nuit-là, le PSIG patrouille sur le secteur, croise la voiture du prévenu. Les gendarmes font un rapprochement avec un véhicule mis en fuite le 31 décembre alors qu’un cambriolage venait d’être commis. Voilà le point de départ. Le point d’arrivée se trouvera à Bourg-en-Bresse, une heure plus tard, parce que, voyant les militaires, le prévenu appuie sur le champignon. Tout, plutôt que d’être de nouveau enchristé. Tout ? Tout. Il passe par Cuiseaux. Le PSIG le double, tente de le faire ralentir, « il a essayé de nous percuter mais on s’est déportés pour l’éviter ». Éviter l’accident. Le leur, celui de celui qu’ils poursuivent. Leur hantise c’est que le prévenu percute un autre véhicule. Les gendarmes repassent derrière.

Violence avec arme

De Cuiseaux, l’affolé arrive sur Coligny, rate un virage en pleine agglomération et se trouve nez à nez avec un camion. Coincé, mais pas longtemps car il enclenche la marche arrière, recule sur la voiture des gendarmes, en heurte l’avant gauche. Le conducteur dit s’être de nouveau déporté pour éviter une collision frontale (si on peut dire ça d’une voiture qui vous emboutit en reculant). Le gendarme à la barre montre des photos du véhicule, « on a un devis de 2 000 euros de réparations ». C’est que le prévenu reconnaît tout, sauf le plus grave : la violence avec arme (la voiture, devenue arme par destination). 

Il prend tous les ronds-points à contresens

Les hommes du PSIG appellent des renforts, « on n’est pas venu à ras de sa voiture, pour éviter un drame », et montent des dispositifs d’interception. Premier dispositif : le fuyard évite le stop-stick en montant sur le trottoir, il file sur Bourg-en-Bresse et prend tous les ronds-points à contresens. Il contourne la seconde herse. Il entre dans Bourg, à folle allure.
Il faut imaginer la tension, certes en lui, mais aussi dans le véhicule de gendarmerie. Il est trois heures du matin, les hommes du PSIG ont traversé trois départements, cela signifie que la radio n’est plus la même pour joindre des collègues, lesquels sont, de surcroît, en nombre restreint à cette heure du cœur de la nuit. Et puis le stress continu. Veiller à ne pas perdre de vue le véhicule gris, éviter l’accident, coordonner les actions avec les renforts. Voilà bientôt 50 kilomètres qu’ils roulent à tombeau ouvert. 

« Les risques pris ! »

Le prévenu finit sa course en percutant des panneaux de signalisation. Des policiers de Bourg sont là, en appui, les gendarmes de Louhans extraient l’homme de sa voiture. Il est arrêté. La présidente n’en revient pas (façon de dire, mais ce n’est pas toutes les semaines qu’on voit pareille histoire) : « Les risques pris ! Pour vous, pour les autres, pour les gendarmes, pour les policiers ! Mais vous avez quel âge ?!? » Il est né en 1974 à Lyon, le gris de sa peau est sans âge.

31 000 euros de dettes : que des parties civiles à indemniser

30 fois condamné, « tous les deux ans, puis tous les ans ». Des vols, plein, deux évasions, 14 mandats de dépôts, des assises en 1998 pour vol aggravé, recel de cadavre et modification de scène de crime. Célibataire, sans enfant. Dernière incarcération le 24 février 2020. Aménagement de peine en septembre de la même année (bracelet) puis libération conditionnelle en mars 2021, fin de peine en août suivant, et puis sous sursis probatoire. La présidente détaille la libération progressive, par paliers, pour accompagner sa réinsertion. Il a un logement et un travail. Mais tout cela arrive alors qu’il a été plus de 12 fois incarcéré et qu’il a une ardoise de 31 000 euros à verser à plein de parties civiles. Prêt à tout pour ne pas y retourner… le voilà menotté. En garde à vue il ne dira rien, « c’est son droit », rappelle maître Pépin. 

« La société doit se protéger »

Les réquisitions tombent, sans doute comme une rengaine pour ce multi-condamné. « Il n’a aucune limite, aucun respect des règles », « il ne donne pas son identité aux gendarmes », « on a tout essayé avec monsieur », « il avait de quoi se réinsérer mais il n’arrive pas à respecter les règles de la société », « la société doit se protéger ». Anne-Lise Peron requiert une peine de 18 mois de prison et son maintien en détention. Maître Aurélie Pépin défend donc le droit de son client à garder le silence, tout en regrettant que ce mutisme et la brièveté de leur entretien avant l’audience ne lui permettent pas de le défendre mieux. Elle émet un doute sur l’intention du prévenu de percuter le véhicule de la gendarmerie, « matériellement, sur le PV de constat vous n’avez pas d’éléments sur ce point ». 

La prison, à force, détruit

L’avocate pose une question de fond : « Est-ce que vraiment la prison est adaptée ? » Question qui vaut pour tous ceux qui passent leurs vies incarcérés. Parce que certes il faut sanctionner, mais la prison, à force, détruit. C’est un constat. La prison détruit tous ceux qui y passent trop d’années. On le vérifie à chaque fois. A chaque fois. L’un voudrait vivre « comme monsieur tout le monde ». L’autre est comme fou, à ressasser non-stop l’enchaînement des évènements qui l’ont comme crucifié. Un autre est abattu, ne voit plus aucune perspective parce que sans doute il ne sait plus vivre autrement. Certains en meurent. « S’il va en prison, il perd son logement et son travail. » L’homme (qui a présenté des excuses aux gendarmes « pour mon comportement ») a la parole en dernier : « Si c’était à refaire, je ne le referais pas. »

Décision 

Le tribunal déclare ce prisonnier institué (à force de cumuls de peines), coupable, et le condamne à la peine de 24 mois de prison dont 6 mois sont assortis d’un sursis probatoire de 3 ans, avec obligation de travailler et d’indemniser la partie civile. Ordonne son maintien en détention.

Réaction

Et l’on voit fuser le feu qui couve sous la cendre. Le prisonnier prend très mal la décision, il couche le micro, se lève et va pour sortir. Un membre de l’escorte est dans l’encadrement de la porte, lui bloque le passage. L’homme reste donc dans le box mais refuse de signer les conditions du sursis probatoire. Il s’écrie : « Merci ! Vous m’avez (inaudible) ma vie ! » Que faisait-il sur la ZI de Varennes-Saint-Sauveur, à deux heures du matin, à tourner (seul ?) en voiture ? 

Florence Saint-Arroman

[il est probable que le récit de la poursuite ne réponde pas en tous points à tout ce qui s’est passé, il est fidèle autant que faire se peut]